EnglishEspañolPolskie

La science appliquée, bien commun

Maître J.-Ernest Grégoire le mercredi, 01 décembre 1943. Dans Sous le Signe de l'Abondance

Sous le signe de l'Abondance - Chapitre 29

Télécharger l'audio Enregistrer

(Article de Maître J.-Ernest Grégoire, paru dans Vers Demain du 1er décembre 1943.)

Qui de nous ne s'est arrêté quelquefois — malgré toutes les occupations, les préoccupations et les soucis qui rendent la méditation difficile — qui de nous ne s'est arrêté un jour ou l'autre à se poser des questions comme celles-ci : Comment se fait-il qu'avec tant de progrès dans tous les rayons de la production — progrès dans l'agriculture, progrès dans l'industrie du vêtement, des chaussures, du bâtiment, progrès dans la médecine, progrès dans le transport, progrès dans l'entreposage — comment se fait-il qu'avec tout cela, on soit encore aux prises avec les inquiétudes du lendemain, quand ce ne sont pas celles du jour même ?

Inquiétude, soucis, vie fiévreuse

Et remarquez bien qu'il ne s'agit pas d'inquiétudes apportées par la guerre. La guerre, au contraire, diminue l'inquiétude du pain quotidien dans bien des foyers. Il s'agit de l'inquiétude en temps de paix, lorsque les élévateurs regorgent de blé, lorsque les vitrines étalent des produits de toutes sortes, lorsque les annonces nous invitent à prendre l'abondance avide de s'écouler.

Comment se fait-il qu'avec l'invention de tant de machines perfectionnées pour le servir, l'homme soit obligé, ou de mourir de faim en croisant les bras, ou de travailler comme un forcené dans des usines, dans des trous de mine, le jour, la nuit, le dimanche, quittant sa maison en vitesse de grand matin, ou tard le soir, pour être rendu au coup de sifflet ; quittant l'usine fatigué, ahuri, aigri par les exactions sans cesse croissantes de ses employeurs, ceux-ci eux-mêmes en proie à des activités et des calculs enfiévrés ?

La science qui punit

A quoi bon la science, à quoi bon les inventions, à quoi bon les machines, à quoi bon l'électricité, à quoi bon la chimie, si tout cela ne sert bien l'homme que pour la tuerie, si tout cela laisse l'homme dans la misère et le besoin dès que cesse la destruction d'hommes et de choses sur une grande échelle ?

La science est devenue un agent de souffrance et de mort, parce que les bienfaits de la science n'atteignent pas le consommateur, la masse des consommateurs.

La science multiplie les produits en diminuant le nombre des salariés ; or, on n'a pas encore établi de moyen de distribuer les produits de la science à ceux qui ne touchent pas de salaire. D'où des misères et un désordre croissants au sein des nations où brillent les applications de la science. Pour entretenir les activités de production, chaque pays cherche à pousser sa production accumulée vers les autres pays et ne veut rien recevoir d'eux ; d'où des frictions qui aboutissent aux guerres entre nations.

Ce qui faisait dire, le 2 octobre 1942, en pleine guerre donc, au professeur Frederick Soddy, l'un des plus grands savants de l'heure actuelle (Prix Nobel de chimie en 1921) :

« La science sans le Crédit Social est pur suicide ».

La science avec le Crédit Social

Pourquoi le professeur Soddy ditil : Sans le Crédit Social ? Parce que, avec le Crédit Social, les produits de la science, tous les biens sortis de la ferme, de la forêt et de l'industrie, et répondant aux besoins des consommateurs, iraient aux consommateurs, même si les salaires sont enlevés par les machines.

Les créditistes jugent, à bon escient, que ça vaut la peine de se démener pour mettre un peu plus de joie sur la terre, même en temps de paix, même quand on cesse de mobiliser les hommes et les machines pour creuser des tombes.

Mais qu'est-ce que le Crédit Social apporte donc de nouveau, pour que la science serve au lieu de punir ? Le Crédit Social fait une chose bien simple ; il reconnaît que la science est un apanage commun, et que plus la science etre dans la production, plus des droits sur cette production doivent aller à tous et à chacun des membres de la société.

Exemple — Le courant électrique

Pour mieux comprendre cela, passons cinq minutes devant une lampe électrique. Tout le monde sait ce que c'est qu'une lampe électrique, même ceux qui n'ont pas encore l'électricité dans leur maison.

Je presse un bouton : la lampe devient lumineuse et éclaire toute la chambre. Pourquoi ? Parce que, en pressant le bouton, j'ai fait se joindre deux fils, et un courant électrique se précipite immédiatement dans les filaments de l'ampoule et les rend incandescents.

Mais d'où vient ce courant électrique ? D'où vient ce courant si commode, prêt à éclairer, à chauffer, à faire tourner des moteurs, sur simple pression de boutons ? Ce courant qui court dans les fils à la vitesse de la lumière, d'où vient-il donc ? Avec quoi est-il fait ?

Ce courant vient d'une chute d'eau. Quelque part, dans une forêt canadienne, sur le flanc ou au bas d'une montagne, une rivière fait un bond, ou une chaîne de bonds, dans sa course vers la mer ; une masse d'eau tombe de vingt, quarante, soixante pieds.

Nos ancêtres ont vu ces chutes d'eau : c'était beau pour les poètes, mais très malcommode pour les canoteurs qui devaient faire du portage. Nos ancêtres ne tiraient pas parti de la masse d'eau tombante, sauf parfois pour faire tourner les aubes d'un moulin. Pas pour obtenir de la lumière, de la chaleur, ou une force transportable à de grandes distances. Pourquoi ? Il leur manquait la science, la science qui, accumulée et transmise de génération en génération, parfois lentement, plus vite à d'autres époques, a fini par les belles découvertes d'Ampère et de Faraday. Et aujourd'hui, la chute d'eau est un trésor.

On construit des barrages, on installe des turbines, puis des pylônes, puis des fils, et la chute d'eau fournit le courant, sans se lasser, sans s'épuiser, sans demander de congé, à des dizaines, à des centaines de milles de distance.

Voilà d'où vient le courant qui rend mon ampoule électrique incandescente et lumineuse.

Une chute d'eau — de la science — du matériel — du travail — et voici le courant électrique.

Les propriétaires

La chute d'eau — à qui appartient-elle ? Qui pompe l'eau de la mer pour la transporter en pluie sur les sommets et les flancs des monts ? N'est-ce pas l'œuvre du soleil, sans une once de labeur humain ? Qui a moulé les montagnes, les pentes, les déclivités de terrain qui font l'eau se précipiter en cascades ? Qui, sinon les forces de la nature, les soulèvements, les affaissements, les volcans, les érosions ?

Qui donc peut se constituer propriétaire absolu de cette chute d'eau ? Cette chute d'eau est un bien commun. Dans la province de Québec, elle appartient à la province, donc à tous les habitants de la province, pas à l'un plus qu'à l'autre, mais à tous au même degré.

Et la science, donc ? L'accumulation des inventions qui a permis la production du courant électrique, à qui appartient-elle ? A qui, sinon à toute l'humanité, à tous les hommes sans exception ? Au petit qui vient de naître, au vieux qui ne peut plus travailler, au malade comme au bien-portant, à tous et à chacun sans exception et au même degré.

Quant au matériel pour le barrage, il a été acheté et payé. Le travail pour le barrage a été payé en salaires.

Ce qui est propriété privée a été reconnu et payé. Mais ce qui est propriété commune là-dedans a-t-il donné un revenu à tous et à chacun, puisque tous et chacun en sont co-propriétaires ?

Demandez au colon, au cultivateur qui ne peut électrifier sa ferme, à l'ouvrier pauvre qui s'éclaire au pétrole ou ne s'éclaire pas du tout — demandez-leur quelle part de la production du courant, ou quelle part équivalente d'autres produits, ils ont reçue en retour de leurs droits de co-propriétaires.

Nous pourrions aller plus loin. Il n'y a pas que la chute d'eau qui soit propriété commune. Il n'y a pas que la science qui soit propriété commune. Il y a l'organisation sociale, sans laquelle rien de toutes ces choses ne serait possible. L'organisation sociale, qui multiplie les possibilités de production, est, elle aussi, un bien commun.

Des droits de naissance

Tout cela veut dire que tous et chacun, du seul fait de leur entrée dans une société organisée, du seul fait de leur naissance dane un pays à ressources naturelles et dans un monde de science appliquée, tous et chacun ont droit au moins à quelque chose, à titre de copropriétaires de beaucoup de biens communs. Non seulement dans le domaine de l'électricité, mais dans tous les domaines de la production moderne, qui emprunte de plus en plus les fruits de la science appliquée et de moins en moins le labeur humain.

Laissons maintenant la lampe électrique, et venons auprès du berceau d'un nouveau-né, auprès du lit d'un malade, auprès de la femme qui fait son ménage, auprès du pionnier qui abat des arbres et arrache des souches pour se faire de peine et de misère un petit patrimoine en pays neuf, et demandons-leur si un revenu annuel ou mensuel sur leur part du capital commun ne leur ferait pas du bien, s'ils ne l'emploieraient pas utilement.

Eh bien, c'est ce capital commun que reconnaissent les créditistes. Ils croient à la propriété privée et la respectent. Ils croient à la récompense du travail et la maintiennent. Mais ils croient aussi à de la propriété commune, et ils disent que c'est justement parce qu'on refuse à chacun sa part de revenu de cette propriété commune, que des biens se perdent, sont détruits sous les yeux d'une multitude qui en a besoin.

Le dividende national

Un capitaliste touche des dividendes quand son capital produit, même si ce n'est pas lui qui fait l'ouvrage.

De même, chaque citoyen, du berceau à la tombe, étant capitaliste, co-propriétaire d'un capital commun, doit tirer un dividende sur ce capital commun lorsque ce capital commun produit. Il doit tirer son dividende à titre de capitaliste, pas à titre de travailleur. Lorsqu'il travaille, il touche un salaire ; mais, en plus de son salaire s'il travaille, et sans salaire s'il ne travaille pas, il doit tirer son dividende sur un capital qui lui appartient. Ce capital lui appartient en commun avec tous ses concitoyens ; et c'est pourquoi tous et chacun ont droit au même dividende en ce qui concerne ce capital commun devenu productif.

Comprend-on maintenant pourquoi les créditistes demandent un dividende national ?

Et les faits leur donnent tellement raison, que, pour alimenter la production moderne, il faut absolument en donner beaucoup quelque part. On la donne sur la tête des ennemis en temps de guerre, sous forme de bombes et d'obus. On la donne aux rivières, au feu, à la mer, aux égouts, à l'oisiveté déprimante en temps de paix, sous forme de produits détruits ou sous forme de chômage abject. Dans le premier cas, on tue des frères humains d'une autre nation. Dans le second cas, on anémie et on tue des frères à côté de soi.

La science sans le Crédit Social est un suicide pour l'humanité. Avec le Crédit Social, elle mettrait l'abondance, la joie et la paix dans les maisons et les nations.

Maître J.-Ernest Grégoire

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.

Panier

Dernière parution

Infolettre & Magazine

Sujets

Faire un don

Faire un don

Aller au haut
JSN Boot template designed by JoomlaShine.com