Oui, c'est d'une marche sur Québec qu'il s'agit. Et elle est commencée. Et elle progresse.
Où sont-ils, les hommes qui marchent sur Québec ? Partout. Ils viennent des quatre coins de la province. Les uns, de bien loin, et ils ne connaissent pas encore la fatigue.
Un putsch ? Que fait la police pour l'arrêter ? — La police n'a pas de prise sur les esprits.
Et que veulent-ils, les créditistes et autres qui font la marche sur Québec ? Renverser le gouvernement ?
Bah ! C'est vieux jeu, ça, renverser le gouvernement. Ce ne serait pas la peine de se démener tant, si longtemps, si constamment, pour une "job" qui semble demander surtout des piastres, du whisky, de la gueule pendant trois semaines et une conscience de caoutchouc.
Mais c'est pourtant sur le Parlement qu'ils marchent, vos hommes, avec leurs bannières et leur élan ? Et c'est bien le parlement provincial, à ne s'y pas tromper : Parlement des sacrifices ! Que veulent-ils ? Chasser les députés ? Mettre le feu aux édifices ?
Admettons qu'un bon foyer flambant sous le siège de chaque parlementaire aurait sans doute un effet salutaire sur l'occupant : la chaleur à défaut de lumière !
Mais les marcheurs n'ont pas de ces malices. Ils s'en vont délier les députés, délier les ministres, pour leur donner une chance de devenir des hommes nouveaux qui établiront un ordre nouveau.
Cent mille aujourd'hui, les marcheurs seront deux cent mille demain, six cent mille après-demain. Si des gouvernants hésitent encore entre cette foule déterminée et la petite clique des écumeurs, ils seront mûrs pour subir la transformation de Nabuchodonosor au moins pendant sept ans.
Que réclament-ils, les marcheurs ? Une chose qu'ils jugent bonne et qu'ils savent possible : la sécurité économique pour donner du sens à leur liberté politique.
Des dividendes pour reconnaître le droit de vivre à chaque citoyen de la province. Un dividende à chaque homme, femme et enfant, pour reconnaître que l'héritage de huit générations de bâtisseurs appartient à leurs fils et que ces fils doivent pouvoir vivre dans le pays arrosé des sueurs et du sang de leurs pères.
Un dividende à chaque consommateur de la province pour entretenir la circulation du sang dans le corps économique.
Un dividende qui fasse du bien à tout le monde et du tort à personne ; qui permette trois repas par jour et un gite pour la nuit aux trois millions d'habitants d'un pays qui pourrait aisément faire vivre dix fois cette population.
Un dividende, pour ramener la logique dans un monde où règne la bêtise ; pour faire fleurir la charité dans une économie où domine la barbarie.
Un dividende pour écouler les surplus, activer la production, soutenir les salaires en les complétant, honorer le travail en faisant rayonner ses fruits sur toute l'humanité.
Le dividende qui va enfin reconnaître que l'homme est plus qu'un animal et que l'entretien de sa vie animale ne doit pas absorber toutes ses activités.
La grande offensive de l'été 1941 va grossir l'armée des marcheurs et le temps n'est pas loin, espérons-le, où le Parlement des Sacrifices deviendra le Parlement des Dividendes.