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L’Économique – Programme Intérimaire Albertain

Louis Even le samedi, 15 mars 1941. Dans L'économique, L'expérience albertaine Aberhart

Plusieurs fois déjà, nous avons expliqué en détail le Programme Intérimaire inauguré en Alberta, il y a deux ans.

Programme Intérimaire — donc pas définitif. Programme en attendant le parachèvement du Crédit Social.

La preuve qu'il n'est pas définitif, c'est qu'il vient de subir une modification. Et cela nous fournit l'occasion d'en reparler. Nous tâcherons d'être compris des nouveaux lecteurs sans trop ennuyer les anciens avec des répétitions.

Comptabilité

Il s'agit, en somme, d'une simple comptabilité. Mais d'une comptabilité instituée par le gouvernement d'Aberhart pour aider les Albertains, pas pour les entortiller dans des dettes.

On sait que la comptabilité remplace l'argent aujourd'hui dans le gros commerce. Les compagnies paient et vendent ; leurs achats et leurs ventes se règlent par des chèques. L'argent ne bouge pas de place, mais il y a des comptes qui grossissent et d'autres qui diminuent dans les livres des banquiers.

Ce sont les banquiers qui tiennent cette comptabilité-là. Comme les créditistes le savent bien, les banquiers ne font pas rien que diminuer et grossir des comptes, en passant les dépôts du client qui signe le chèque au client qui dépose le chèque. Ils profitent de leur position et de la confiance que le public a dans les comptes des banques, pour faire naître des comptes nouveaux au nom de leurs emprunteurs, au lieu de prêter de l'argent qui existe déjà.

Le malheur, c'est que la naissance d'un compte de cette manière impose une dette quelque part, sur l'industrie ou sur le gouvernement, et en définitive c'est le public qui paie la charge.

En Alberta, où la population a étudié, le gouvernement veut servir le peuple. N'ayant pu décider les banques à mettre leur comptabilité au service du peuple, sans dette, le gouvernement a simplement institué un système de comptabilité tenu par lui, et il invite les citoyens à s'en servir au lieu de se servir du système des banques.

Les succursales

Le gouvernement d'Edmonton a donc couvert l'Alberta d'un réseau de succursales du Trésor. On sait que le Trésor, c'est le département des finances du gouvernement. Les succursales du Trésor sont donc des bureaux du gouvernement établis dans les villes et les villages de l'Alberta.

Dans les succursales du Trésor, on tient des livres, tout comme dans les succursales des banques. Dans ces livres, des comptes.

N'importe quel citoyen peut déposer son argent dans la succursale du Trésor au lieu de le porter à la succursale de la banque. Il recevra un intérêt un peu plus gros.

Le déposant a ainsi un compte sur lequel il peut tirer des espèces de chèques appelés là-bas vouchers. Ce sont des certificats par lesquels le signataire dit à la succursale de diminuer son compte au profit d'une autre personne dont il a acheté de la marchandise.

Jusque-là, ça ressemble en tout point aux affaires de la banque, sauf pour la création de comptes nouveaux, à laquelle nous faisons allusion plus haut.

Si les succursales du Trésor ne faisaient rien que tenir les comptes, ce ne serait pas la peine d'en avoir, puisque les banques les tiennent elles-mêmes exactement.

Mais les succursales du gouvernement, elles aussi, font des augmentations dans des comptes sans diminuer nulle part. Et lorsqu'elles font cela, elles créent, comme les banques, une augmentation de pouvoir d'achat. Mais elles le font sans imposer de dettes à personne, et c'est en cela qu'elles sont supérieures aux banques. Elles servent au lieu d'asservir.

Cependant, les succursales du Trésor y mettent une nuance ; elles prennent une certaine méthode pour qu'on ne les accuse pas d'être des banques sans charte fédérale.

Elles recourent à la formule : commerce sans argent, simple troc modernisé, troc comptabilisé. Or, n'importe qui a le droit de troquer et n'importe qui a le droit de tenir de la comptabilité.

Tout de même, une fois que les gens accordent autant de confiance à la comptabilité du gouvernement qu'à celle des banques, rien n'empêche le gouvernement de grossir des comptes pour permettre aux clients d'acheter davantage lorsqu'il y a tant de produits qui attendent des acheteurs. Et y a-t-il besoin de faire le public payer des dettes pour cela ?

C'est le bon sens même. Un exemple va montrer comment ça fonctionne.

Les bonis, dons gratuits

Je suis un fermier d'Alberta et je vends pour $800 de produits à un exportateur. Il me paie en argent ordinaire : billets de la Banque du Canada, ou chèque sur une banque à charte.

Ce revenu me permet d'acheter pour $800 de marchandises ou de services d'autres personnes.

Au lieu de me servir directement de cet argent, je le porte d'abord à la maison du Trésor de mon village et j'obtiens, en échange, dans un compte tenu par cette maison du gouvernement, une inscription de $800 qui me donne droit à $800 de biens — la même chose que quand je dépose de l'argent à la banque.

Je n'ai rien perdu ni gagné jusque-là. Argent dans un livre, au lieu d'argent dans ma poche. Titres du gouvernement au lieu de titres bancaires : cela me donne droit exactement à la même quantité de produits.

Je décide maintenant d'acheter pour $800 de marchandises dans les magasins de la province. Je m'adresse de préférence aux magasins qui portent une certaine marque d'enregistrement, parce que je sais que je vais y obtenir, outre la marchandise, une faveur appréciable.

Pour payer mes achats, je signe des certificats de transfert, ces formules qui ressemblent à des chèques, et je les passe au marchand. Lui va les déposer à la succursale du Trésor. Les $800 vont être retranchés de mon compte et ajoutés au compte du marchand ou des marchands dont j'ai acheté.

Sur les $800 d'achat, il y a, disons, $250 de produits marqués "Alberta-made", parce qu'ils sont de provenance albertaine.

À la fin du mois, le gouvernement me fait un cadeau de $25, en écrivant à mon compte, sans que je lui apporte rien, un crédit de $25.

Pourquoi $25 ? Parce que j'ai acheté, par l'intermédiaire de sa comptabilité, pour $250 de produits albertains sur mon total de $800. Le cadeau, qu'il appelle boni, est de 5% sur l'achat total lorsque au moins la moitié de l'achat est du "Alberta-made". S'il n'y en a pas la moitié, comme dans mon cas, le 5% est calculé sur le double de la quantité qui est du "Alberta-made". Cela veut dire que, si sur mes $800 d'achat, j'avais choisi au moins pour $400 de produits faits en Alberta, mon boni serait de $40, au lieu de $25.

D'oÙ vient le boni ?

Voilà donc $25 qui rentrent dans mon compte et vont me donner droit à $25 de plus de marchandises. Je n'ai pas travaillé pour les obtenir : ce n'est pas une paie. C'est un pur cadeau du gouvernement. Mais où le gouvernement a-t-il pris ce cadeau-là pour me l'offir ?

Provient-il des taxes levées par le gouvernement ? Pas du tout.

Le $25 est crédité à mon compte. À qui est-il débité ? À personne.

Mais où donc le gouvernement a-t-il délogé ce $25 ? Il l'a pris dans son encrier, comme le banquier.

Combien le gouvernement aura-t-il d'intérêt à payer là-dessus ? Pas un sou ; c'est lui qui a mis le $25 au monde.

Est-ce que j'aurai à rendre le $25, et dans combien de temps ? Je n'aurai pas à le rendre, puisque je ne l'ai pas emprunté. C'est un cadeau, un don gratuit que m'a fait le gouvernement d'Alberta qui n'est pas un fou.

Mais cet argent-là est-il bon ? — Pourquoi pas ? Aurait-il plus de vertu si c'était le banquier qui l'avait pris dans l'encrier en y attachant une dette ? Lequel détient l'autorité, le gouvernement ou la banque ? Où va-t-on quand on est dans le chemin, au gouvernement ou à la banque ? Pour qui vote-t-on pour conduire la province, pour le gouvernement ou pour la banque ?

Qui est-ce qui va accepter ce $25 ? Les mêmes qui ont accepté mes $800. Par le même moyen, par des certificats de transfert. Croyez-vous que, quand je fais transférer un montant de mon compte dans le compte du marchand, le marchand se demande comment le montant était entré dans mon compte ?

Dès lors que le marchand a l'enregistrement, c'est qu'il a passé un accord avec le gouvernement pour promettre d'accepter les paiements par l'intermédiaire de la comptabilité du gouvernement. En retour de cet accord, il voit sa clientèle augmenter, parce que les clients vont de préférence là où les achats donnent droit à des bonis.

Meilleur que l'argent des banques

Voyons un peu ce que va devenir ce $25 sorti de l'encrier du gouvernement et reçu gratuitement par moi.

Je vais chez un marchand-tailleur et je m'achète un habit de $25. Je paie avec un certificat. Le $25 va maintenant passer au compte du marchand-tailleur.

Que va faire le marchand-tailleur avec ce $25 ? Ce qu'il voudra.

Disons que le marchand, par un certificat de transfert paie son employé, $25.

Qu'est-ce que l'employé va faire avec ce $25 ? Ce qu'il voudra. Peut-être va-t-il payer un médecin pour avoir présidé à la naissance d'un petit Albertain.

Que fera le médecin avec le $25 ? Ce qu'il voudra. Peut-être acheter une tinette de beurre d'un cultivateur-éleveur.

Que fera le cultivateur avec le $25 ? Ce qu'il voudra. Peut-être payer $10 de taxes au gouvernement, $2 à son curé et $13 à son épicier.

Et ainsi de suite.

Le $25 est né sous la plume du gouvernement. Il m'a été donné gratuitement, pour me récompenser :

1° d'avoir stimulé la production de la province en achetant de la production de la province ;

2° d'avoir aidé la province à se débarrasser des tentacules des banques en me servant de la comptabilité du gouvernement au lieu de l'argent-dette des banques.

La récompense m'est très agréable. Elle est en même temps très utile à la province, comme on voit, puisqu'elle active l'écoulement de la production partout où le titre est transféré.

Si le $25 était sorti de l'encrier du banquier, celui qui l'aurait reçu se serait engagé à le rapporter, ou plutôt à rapporter $27. L'emprunteur serait donc aux aguets partout, pour vendre avec profit, par tous les moyens, et pouvoir rapporter au banquier $27, au terme fixé.

Là finirait le cycle des $25. Ils mourraient en entraînant $2 de plus dans la tombe de la banque. Pour recommencer un cycle, il faudrait un nouvel emprunt par quelqu'un, un nouvel acte de loup quelque part, une nouvelle défalcation du pouvoir d'achat quelque part.

Quand c'est le banquier qui tient la plume monétaire, l'argent a une vie courte et suscite des actes de dureté sur son chemin. Puis il tient continuellement le pays sous le bon vouloir des banques pour avoir d'autre argent-dette.

Quand c'est le gouvernement d'Aberhart qui tient la plume, ça déclanche une activité qui passe d'une place à l'autre sans arrêter son cours, parce que cet argent n'est ni condamné à mort ni condamné à payer tribut.

Lequel est plus humain ? Lequel a plus de bon sens.

Conclusion

Nous voulons seulement ici tirer quelques conclusions intéressantes pour les bons citoyens de notre province de Québec.

Il y a des gens, chez nous, qui prêchent l'achat des produits de la province. Pourquoi, disent-ils, ne pas consommer notre beurre, notre fromage, les œufs de nos poules, les conserves sorties de nos établissements, plutôt que les produits analogues, et pas meilleurs, de l'Ontario, de la Nouvelle-Zélande ou d'ailleurs ? Pourquoi ne pas préférer nos Fameuses, nos Macintosh aux pommes de la Colombie ?

À la bonne heure, mais pourquoi ne pas demander à Monsieur Godbout de nous accorder 5 pour cent de boni sur les achats de produits québécois ? L'inconvénient, c'est que M. Godbout et son cabinet n'ont pas appris à faire des cadeaux, des octrois, sans les prendre dans la poche de leurs administrés. Aussi les grands prédicateurs de l'Achat chez nous, qui ont l'avantage d'avoir accès aux colonnes des journaux, pourraient profiter de l'occasion pour parler de l'encrier où l'on peut prendre des 5 pour cent. Cet encrier-là finirait peut-être par reléguer aux reliquaires le vertueux encrier où le gouvernement charge aujourd'hui sa plume pour signer des débentures et rédiger des exhortations au sacrifice.

Puis un petit sujet de méditation en deux points :

Premier point — Considérons les bonis d'achat du gouvernement d'Aberhart : 5 pour cent sur les achats du mois.

Deuxième point — Considérons la taxe de vente du gouvernement de Godbout : 4 pour cent ou 2 pour cent, selon le cas, payable avec chaque achat.

De cette méditation, si nous ne sommes pas tout à fait des imbéciles, tirons une résolution énergique.  

Louis Even

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