L’article suivant a été écrit par Louis Even en 1940, pendant la deuxième guerre mondiale. Nous pouvons constater que ce sont les financiers qui déclenchent les crises économiques et les guerres.
L’étalon-or avait été aboli en Angleterre, dès les premiers jours de la grande guerre, en 1914. L’argent rare, c’est bon au temps ordinaire, pour empêcher le monde de vivre. Lorsqu’il s’agit de tuer et qu’il faut de l’argent pour tuer, on prend les moyens.
La guerre finie, les maîtres de l’or réclamaient le retour au règne de l’idole. Il fallait d’abord revenir à l’argent rare. Donc, diminution draconienne de l’argent en circulation.
Ce fut l’œuvre de Montagu Norman, devenu gouverneur de la Banque d’Angleterre en 1919. Il commença immédiatement une politique de déflation.
Résultat: Dès 1923, trois millions de chômeurs anglais, soit dix fois plus qu’en 1920; salaires diminués de 40%; pauvreté; mécontentements; ferments de révolutions; 30 000 suicides. Pendant ces quatre années, les banquiers de Londres infligèrent des coups plus rudes à l’Angleterre que les Allemands pendant les quatre années de la grande guerre.
Même politique anti-humaine sur le continent européen. Ruine économique et contorsions financières analogues en Allemagne, en France, en Italie, en Espagne, en Russie.
Pendant ce temps-là, l’Autriche étonnait les visiteurs étrangers par sa prospérité et le contentement de sa population.
Après la guerre, la reconstruction était nécessaire en Autriche tout comme dans les autres pays. Mais le gouvernement de Vienne avait une manière à lui de financer la reconstruction. Au lieu d’emprunter des banques pour rembourser en taxes, le gouvernement émettait de l’argent directement aux marchands, à condition que ces derniers réduisent les prix de ventes en conséquence.
C’était une compensation aux marchands pour une diminution de prix aux consommateurs. C’était financer directement la consommation par un escompte compensé, comme le préconise la technique créditiste.
Il en résulta un essor remarquable de l’industrie et du commerce. Pratiquement pas de chômage en Autriche. Les ouvriers de Vienne vivaient dans des logis modèles. Les taxes furent abaissées à un minimum. Abondance de produits à prix peu élevés.
Voici ce qu’écrivait à cette époque le colonel Repington dans After the War:
«On installe des machines modernes. Les cultivateurs achètent des bêtes de race ayant remporté des prix. On améliore les installations sur les fermes. De la Haute-Autriche comme la Basse-Autriche, de la Styrie comme du Tyrol, mêmes rapports d’expansion agricole et industrielle. L’Autriche nouvelle s’efforce de se suffire à elle-même, de se rendre indépendante d’importations devenues difficiles à cause des contrôles du change.»
Que firent les maîtres de l’argent de Londres et de Paris en face des résultats aussi remarquables? Croyez-vous qu’ils dirent: «Mais c’est merveilleux! Faisons la même chose en Angleterre et en France».
Jamais de la vie! Ils s’écrièrent: «Cela n’est pas permis! Une nation vaincue se payer un tel confort, lorsque les nations victorieuses croupissent dans la pauvreté et crèvent de faim! Il faut arrêter cela immédiatement!»
Et les maîtres de l’argent appliquèrent les vis à l’Autriche. Ils exigèrent le paiement des indemnités de guerre et l’équilibre du budget.
On sait que les indemnités ne peuvent se solder, en définitive, qu’en nature, par l’exportation de produits aux créanciers. Or, les nations victorieuses ne voulaient pas accepter de produits autrichiens: pareille importation eût accentué le chômage de leurs nationaux. Impossible donc de servir les réparations exigées.
L’Autriche dut finalement placer son cas devant la société de nations. Le comité des finances de cette institution, composé de messieurs orthodoxes de la trempe de son président, Sir Arthur Selter, recommanda un prêt international à l’Autriche pour qu’elle pût payer ses réparations. Les pays créanciers, au lieu de financer leurs propres citoyens, fournissaient à l’Autriche de l’argent qu’elle leur reversait en intérêt!
Mais en retour de cette faveur, l’Autriche dut ouvrir ses finances nationales à l’inspection et à la surveillance. Elle dut établir une banque centrale d’après un modèle approuvé par les gouverneurs des banques centrales d’Angleterre et de France.
L’Autriche n’eut pas la force de résister à la pression. Ce fut le commencement d’une politique de déflation avec son cortège de privations et de souffrances.
Le New Republic de New York, dans son édition du 3 décembre 1924, écrivait:
«La Ligue des nations, à sa dernière assemblée, imposa de sévères restrictions financières au gouvernement autrichien. Ces circonstances ont rendu les conditions de vie en Autriche pires que jamais depuis l’effondrement qui suivit l’armistice.»
Le correspondant autrichien de l’Observer écrivait le 15 février 1925:
«Il est regrettable qu’une nouvelle ère de dépression se soit abattue sur l’Autriche, à tel point qu’on y a enregistré 149 suicides au cours du mois dernier.»
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Faut-il s’étonner qu’on ait eu l’Anchluss? L’avènement de Hitler lui-même, comme celui de Mussolini, furent favorisés par les conditions impossibles auxquelles les financiers acculaient les pays sous leur botte.
La finance ne recule pas devant rien pour atteindre ses fins. Les ruines, les détresses humaines, l’abrutissement des multitudes — ça ne l’émeut pas.
S’il faut en croire le News Chronicle du 24 février 1940, «l’un des buts secondaires de la présente guerre est de rendre le monde propice au rétablissement de l’étalon-or.» Pour qui nous battons-nous?