Son émission doit relever de la société
Je suis, disons, un cultivateur. J'ai besoin d'un homme pour m'aider dans mes travaux. A défaut d'argent pour le payer, je puis convenir avec lui de quelque autre moyen pour le récompenser de son travail.
Je puis, par exemple, convenir de lui donner 10 livres de pommes de terre, 3 livres de viande, 1 livre de beurre et 1 gallon de lait pour chaque journée de travail qu'il fournira, ces produits-là provenant de ma propre ferme.
Je puis aussi estimer son travail en piastres, sans lui en passer, puisque je n'en ai pas. Dans ce cas, je puis, par exemple, lui signer chaque semaine un billet lui permettant de choisir, parmi les produits de ma ferme, ceux qui lui conviennent, pour une valeur de un dollar pour chaque heure de travail fourni. C'est encore sur mes produits que je lui donne droit.
Mais, je ne puis certainement pas signer un billet lui donnant droit, comme récompense, à des produits faits par d'autres cultivateurs ou par des artisans des villes. Je ne puis lui donner des droits que sur ce qui m'appartient.
Si je le payais en dollars, en argent, oh ! alors, avec ces dollars il pourrait se procurer les produits ou les services de n'importe quelle source dans le pays. Mais pour le payer en argent, il faut d'abord que j'aie de l'argent.
La différence entre un billet émis par moi et l'argent, c'est que le billet émis par moi ne donne droit qu'à mes propres produits, tandis que l'argent donne droit aux produits des autres comme aux miens.
Je puis émettre mon propre billet, parce que je suis le maître de mes produits. Mais je ne puis pas émettre (fabriquer) de l'argent, parce que je ne suis pas le maître des produits de tout le monde.
Les deux — mon billet et l'argent — peuvent bien être deux morceaux de papier de même grandeur. Les deux peuvent porter les mêmes chiffres. Mon billet, sur mes produits, peut être libellé à dix dollars de valeur, tout comme un billet de dix dollars de la Banque du Canada. Mais mon billet ne peut acheter que mes produits, tandis que le dix dollars de papier-monnaie achète n'importe quels produits, paie n'importe quel service pour cette valeur.
Tout cela pour dire que l'argent est un instrument social. Et parce qu'il donne droit aux produits de tout le monde, il ne peut être justifiablement émis par un individu, pas même par un groupe de particuliers. Ce serait s'attribuer le droit de disposer des produits des autres.
Il faut pourtant bien que l'argent nouveau commence quelque part. Celui qui est en circulation n'est pas tombé du ciel ; il ne s'est pas fait tout seul. De même, quand la production du pays augmente, quand la population d'un pays devient plus nombreuse, il faut bien que le volume d'argent augmente. L'industrie et le commerce du Canada d'aujourd'hui seraient paralysés si l'on n'y avait pas plus d'argent qu'au temps de Champlain.
Il s'est donc fait des additions d'argent. Il devra s'en faire encore avec un plus grand développement des activités économiques. Mais d'où doivent venir ces augmentations, puisqu'aucun individu ne peut émettre des droits sur la production des autres ?
L'argent nouveau, les augmentations du volume monétaire ne peuvent venir d'autre source que de la société elle-même, par l'intermédiaire d'un organisme établi pour accomplir cette fonction au nom de la société.
Or, aujourd'hui, qui donc accomplit cette fonction sociale par essence ? Certainement pas le gouvernement, puisqu'il ne dispose pas d'autre argent que celui qu'il obtient par ses taxes, ou par des emprunts qui l'engagent à taxer un peu plus fort plus tard.
L'argent moderne est fait, pour une petite partie, de pièces métalliques et de papier monnaie, et pour une grosse partie, de crédits dans les livres de banques.
Tout le monde sait que l'individu qui a un compte à son crédit à la banque est capable de payer son marchand sans sortir d'argent de sa poche. Il n'a qu'à signer un chèque pour le montant à payer. Le marchand qui reçoit le chèque n'aura qu'à aller à sa banque pour le déposer à son propre compte, ou, si'il le désire, pour en obtenir le montant en argent de papier ou de métal.
Tout le monde sait cela. Mais ce que tout le monde ne sait pas encore, c'est qu'il y a deux manières d'avoir un compte créditeur à la banque : la manière de l'épargnant, qui dépose de l'argent à la banque ; et la manière de l'emprunteur, qui demande à la banque d'en déposer à sa place.
Il existe une grande différence entre ces deux manières.
Quand vous portez de l'argent à la banque, le banquier met votre argent dans son tiroir, plus tard dans la voûte de la banque, et en retour, il inscrit le montant de cette somme dans votre compte, à votre crédit. Vous disposerez de ce crédit comme vous voudrez. Vous pourrez, comme il vous plaira, faire des paiements en tirant des chèques sur ce crédit. ce n'est plus de l'argent palpable comme celui qui vous avez porté à la banque, mais c'est de l'argent quand même.
Mais la manière de l'emprunteur ? — L'emprunteur ne porte pas de l'argent à la banque. Il va en demander au banquier. Souvent une grosse somme — disons 50 000 $. Le banquier ne va pas prendre 50 000 $ dans son tiroir pour les passer à l'emprunteur. L'emprunteur ne tient pas du tout à sortir de la banque avec pareille somme dans sa poche. Ce qui va faire l'affaire de l'emprunteur, c'est d'avoir dans son compte, à la banque, un crédit de 50 000 $, sur lequel il pourra tirer des chèques selon ses besoins. Et le banquier fait cela pour l'emprunteur. Mais, remarquez-le bien, sans que l'emprunteur ait apporté un sou, et sans que le banquier sorte un sou de son tiroir, et aussi sans diminuer le compte d'aucun autre client de la banque.
Dans le cas de l'épargnant, il y a eu transformation d'argent palpable, enfermé dans le tiroir du banquier, en argent de crédit inscrit dans le compte de l'épargnant. Cela ne met pas un sou de plus en circulation.
Dans le cas de l'emprunteur, il n'y a pas eu de transformation, puisque l'emprunteur n'a pas apporté un sou. Et comme rien n'est sorti d'aucun tiroir, d'aucun coffre, d'aucun autre compte, il arrive qu'il y a dans le livre de la banque, au crédit de l'emprunteur, une somme nouvelle qui n'existait nulle part auparavant.
C'est cela qu'on appelle une création d'argent par le banquier. Une création de crédit, d'argent d'écriture. Argent aussi bon que l'autre, puisque l'emprunteur peut tirer des chèques sur ce compte comme si c'était un compte d'argent épargné.
Avec cet argent nouveau, l'emprunteur peut payer du travail, des matériaux, des produits — travail des autres, matériaux des autres, produits des autres.
En créant ces 50 000 $ pour l'emprunteur, le banquier a donc donné à l'emprunteur le droit à la production des autres, non pas à la production du banquier, mais à toute production offerte dans le pays. Le banquier, qui ne possède pas du tout la production du pays, s'est quand même permis de donner à l'emprunteur un droit sur la production du pays.
C'est bien là ce que nous appelons l'usurpation d'une fonction sociale. Seule la communauté dans son ensemble peut justifiablement accomplir cette fonction. Fonction que la société peut fort bien faire accomplir par un organisme compétent, sous sa dépendance. Mais, il est inadmissible qu'une fonction sociale de telle importance soit déléguée à une institution privée qui en fait le trafic pour ses propres intérêts.
L'emprunteur doit rembourser à la banque, à date convenue, l'argent créé par elle pour lui. Quand l'argent rentre à la banque, il n'est plus en circulation. C'est de l'argent mort. Pour une autre mise en circulation, il faut un autre prêt, une autre création d'argent d'écriture.
Le prêt met donc de l'argent en circulation. Le remboursement retire l'argent de la circulation.
Dans une période donnée — disons une année — si la somme des prêts bancaires accordés a été plus grosse que la somme des remboursements effectués, le volume d'argent en circulation a augmenté. Si, au contraire, les banques ont été plus difficiles pour les prêts tout en continuant d'exiger les remboursements dus, le volume de l'argent en circulation a diminué. On appelle cela restriction du crédit.
Comme le banquier exige de l'intérêt, chaque prêt engage un remboursement plus gros que l'argent prêté. De sorte que, rien que pour maintenir le flot d'argent à son volume, il faudrait activer les prêts plus que les remboursements.
Le fait de rembourser à la banque plus d'argent qu'il en est sorti, alors que personne autre ne peut créer d'argent, oblige continuellement des particuliers ou des corps publics à retourner aux portes des banques, pour d'autres emprunts, d'où des endettements croissants. Sans cela, tout l'argent en circulation tomberait graduellement à rien. La fonction du banquier lui confère donc un pouvoir, une suprématie sur toute la vie économique du pays. Plus puissant que le gouvernement, il a le pouvoir d'accorder ou refuser, et de réglementer le crédit, argent moderne, nécessaire à la vie économique du pays.
Des hommes d'Etat, en Europe, aux Etats-Unis, au Canada aussi, ont déjà dénoncé, même vertement, cette suprématie du système bancaire.Mackenzie King disait, en 1935, qu'à moins de casser cette puissance, il est vain et futile de parler de démocratie ou de souveraineté du Parlement. Il en est, comme lui-même, qui ont promis de remettre à la nation le contrôle de son argent et de son crédit. D'autres, comme l'ancien ministre canadien des Finances, Donald Fleming, ont attaqué publiquement l'action arbitraire et nocive des plus hautes sommités bancaires.
Et pourtant, aucun d'eux n'y a rien changé. Et les politiciens les plus volubiles contre cette dictature, pas plus ceux du parti qui usurpe le nom de Crédit Social que les autres, n'y changeront jamais rien, tant que le peuple lui-même n'aura pas constitué une force plus puissante que celle de la Finance, pour forcer son gouvernement à agir.
Ce n'est pas là une affaire d'élection. C'est affaire de former un nombre assez grand de citoyens qui se renseignent, qui se concertent, qui s'affirment et décident de se faire entendre de leur gouvernement, quel qu'il soit.
C'est aussi — vu que l'ennemi est de nature diabolique, qu'il peut s'appeler Légion et que la dictature d'argent n'est qu'un de ses multiples visages — c'est aussi la nécessité de l'aide céleste. C'est cela qu'ont compris, que comprennent de mieux en mieux, les créditistes de Vers Demain.