On parle beaucoup d'inflation de ce temps-ci. Le gouvernement, d'une main, fait tout ce qu'il faut pour amener l'inflation ; de l'autre main, il intervient tant qu'il peut pour empêcher l'inflation.
L'inflation est créée par la rareté de produits en face du pouvoir d'achat. L'inflation, c'est la montée des prix, parce qu'il y a plus de demande que de produits offerts.
Or, le gouvernement, pour obtenir de la production de guerre, interdit ou restreint la production civile ; par ailleurs, la production de guerre, que le public n'achète pas, distribue du pouvoir d'achat. D'où la tendance des prix de vente des produits à augmenter parce qu'il n'y a pas assez de produits pour faire face à la demande.
La demande, la demande réelle, a toujours existé. Mais elle ne pouvait s'exprimer pendant les années de crise : la demande était réelle, mais pas effective. Aujourd'hui, l'argent rend la demande réelle effective, et cette demande réclame d'autant plus impérieusement qu'elle a été plus longtemps comprimée.
Pour éviter l'inflation, le gouvernement fixe des plafonds de prix. Le plafond défonce assez souvent par endroits. Le gouvernement est le premier à le défoncer en augmentant les taxes : manufacturiers et commerçants introduisent les taxes dans les prix de revient. Comme le prix de vente doit au moins égaler le prix de revient, la commission des prix est obligée de permettre des augmentations de temps en temps.
Les augmentations ici et là haussent le coût de la vie. On décrète alors des bonis de vie chère. Les bonis de vie chère doivent nécessairement entrer dans le prix de revient.
La meilleure preuve que le mécanisme anti-inflationnaire est une machine artificielle, en contradiction avec les faits, c'est la rudesse de son fonctionnement, la multitude d'employés qu'il exige, la longue liste d'infractions signalées, malgré les sanctions sévères qui menacent les transgresseurs. C'est un mécanisme violent.
C'est encore moins mal que l'inflation, dira-t-on. Assurément, comme il est mieux de se laisser couper une jambe que permettre à la gangrène de gagner tout le corps. Mais il serait tout de même préférable d'avoir le corps et tous ses membres sains et indemnes.
Ce n'est pas en temps de guerre, ajoutera-t-on, qu'il est possible d'étudier et inaugurer des mécanismes plus parfaits ; il faut bien continuer, avec le système inflation-déflation d'avant-guerre et essayer de freiner ses sauvageries par des interventions gouvernementales.
Comme on voudra. Mais pendant vingt années avant la guerre, l'école créditiste a dénoncé le double vice du capitalisme actuel : monopole du crédit de la société par des institutions à profit, déséquilibre entre les prix et le pouvoir d'achat. Mieux que simplement dénoncer : l'école créditiste n'a cessé d'expliquer et préconiser les propositions du plus grand génie en économique, le major Douglas, pour corriger ce double vice.
Le monde devra choisir entre les trois :
1. — Continuer dans le pétrin d'avant-guerre ;
2. — Passer au socialisme d'État vers lequel la guerre mène à grands pas et qui, au fond, ne corrigera rien ;
3. — Adopter l'économie créditiste (capitalisme corrigé).
Nous avons assez souvent, dans ces pages, expliqué l'argent, le crédit, et exposé les moyens de rendre à la société le contrôle de son crédit. Plus rarement avons-nous parlé de l'ajustement des prix, condition pourtant indispensable de toute réforme monétaire qui ne veut pas être un fiasco.
Lorsque les créditistes emploient l'expression "prix juste" ou "juste prix", ils n'entendent pas cela dans le sens de prix équitable, de prix conforme à la justice — ce qui est plutôt du ressort de la morale.
Ils veulent dire "prix exact" — prix exactement correspondant à l'état du pouvoir d'achat des consommateurs du pays. Puisque les produits sont faits pour le consommateur, leur prix doit être à laportée du consommateur. C'est toujours l'économie ordonnée à sa fin.
Le Crédit Social arrive à cet équilibre entre les prix et le pouvoir d'achat, non pas par des interventions à la Baruch : défenses, restrictions, plafonnements, accompagnés d'espionnage, de délations, de punitions. Le Crédit Social établit l'équilibre par une simple règle d'arithmétique.
Il n'y a ni récompenses, ni châtiments dans l'arithmétique. Il y a simplement exactitude.
La technique créditiste prend deux nombres qui sont faits par les gens du pays eux-mêmes, non pas arbitrairement fixés par des hommes qui ont la manie d'imposer leur volonté aux autres. Deux nombres : le nombre exprimant la somme des prix (c'est le fait des producteurs eux-mêmes) ; le nombre exprimant le pouvoir d'achat des consommateurs (c'est le fait de la volonté des consommateurs jointe à l'argent dont ils disposent). Puis, pour pouvoir mettre le signe égal (=) entre ces deux nombres, le crédit social abaisse le premier au niveau du second.
Expliquons, en présentant d'abord quelques notions peu familières et pourtant de grande portée.
Le prix exact d'une chose est la somme des dépenses encourues pour la production de cette chose. Et cela est vrai, que l'on compte en piastres, en ergs, en heures-hommes, ou en ce qu'on voudra.
Tel ouvrage réclame quatre heures de temps, dix onces de sueurs, un repas de travailleur, une usure d'outil. Si l'énumération est complète, le prix exact de cet ouvrage, c'est quatre heures de temps, dix onces de sueurs, un repas de travailleur et une usure d'outil. Ni plus ni moins.
Comme on a coutume d'évaluer le prix en dollars, au Canada, et comme on a aussi coutume d'évaluer en dollars le travail, l'usure et tous les autres éléments qui forment des dépenses, il est possible d'établir une relation entre les deux, en termes de dollars.
Si, en tout et partout, les dépenses de matériel, de travail, d'énergies, se chiffrent à $100., le prix exact du produit est de cent dollars.
Mais il y a le prix comptable. Au cours de la production d'un article dans une usine, compte est tenu de la matière première achetée, des frais de transformation, des salaires, des frais de capital, etc., etc. Tout cela constitue le coût financier de production de l'article.
Le prix comptable et le prix exact, sont-ils les mêmes ? S'ils le sont accidentellement dans certains cas, il est facile de constater que, dans l'ensemble, ils ne le sont certainement pas.
Prenez un pays qui fournit, en une année, tant en biens de capital qu'en biens de consommation, une production totale évaluée à 100 millions de dollars. Si, dans le même temps, les dépenses totales du pays sont évaluées à 80 millions, il faudra bien admettre que la production du pays cette année-là a coûté exactement 80 millions, puisqu'il a été consommé en tout 80 millions au cours de la production. La production a été évaluée par la comptabilité des prix de revient à 100 millions, mais elle n'a coûté que 80 millions de dépenses réelles. C'est un fait inéluctable : les deux totaux sont là.
Donc, le prix exact de la production des 100 millions, ç'a été 80 millions.
Dans le même temps où la richesses produite a été de 100 millions, la richesse consommée a été de 80 millions. La consommation de 80 millions est le véritable prix de la production de 100 millions.
Le véritable prix de la production, c'est la consommation.
Si la production existe pour la consommation, il faut que la consommation puisse payer la production.
Dans l'exemple précédent, le pays mérite sa production. Si, en dépensant 80 millions, il produit 100 millions, il devrait pouvoir obtenir ces 100 millions en dépensant les 80 millions. Autrement dit, en payant 80 millions, les consommateurs devraient obtenir les 100 millions. Autrement, il reste 20 millions pour la contemplation, en attendant que ce soit pour le sacrifice, pour la destruction devant un peuple privé et exaspéré.
Un pays s'enrichit de biens lorsqu'il développe ses moyens de production : ses machines, ses usines, ses voies de transport, etc. Ce qu'on appelle biens de capital.
Un pays s'enrichit de biens lorsqu'il produit des choses pour la consommation : blé, viande, meubles, habits, etc. Ce qu'on appelle biens de consommation.
Un pays s'enrichit de biens, lorsqu'il reçoit de la richesse de l'extérieur. Ainsi, le Canada s'enrichit de fruits lorsqu'il reçoit des bananes, des oranges, des ananas. Ce qu'on appelle importations.
Les biens d'un pays diminuent lorsqu'il y a destruction ou usure de moyens de production : usines brûlées, machines usées, etc. C'est ce qu'on appelle dépréciation.
Les biens d'un pays diminuent lorsqu'ils sont consommés. Les aliments mangés, les habits usés, etc. ne sont plus disponibles. C'est la destruction par consommation.
Les biens d'un pays diminuent lorsqu'ils sortent de ce pays : les pommes, le beurre, le bacon, envoyés en Angleterre, ne sont plus au Canada. C'est ce qu'on appelle exportations.
Supposons maintenant que les relevés d'une année donnent :
Production de biens de capital | $ 3,000 millions |
Production de biens consommables | $ 7,000 millions |
Importations | $ 2,000 millions |
Acquisitions totales | $12,000 millions |
D'autre part:
Dépréciation de biens de capital | $ 1,800 millions |
Consommation | $ 5,200 millions |
Exportations | $ 2,000 millions |
Diminution totale | $ 9,000 millions |
On va conclure :
Pendant que le pays s'enrichissait de 12,000 millions, il usait, ou consommait, ou devait céder 9,000 millions.
Le coût réel de la production des 12,000 millions, c'est 9,000 millions. S'il en a réellement coûté au pays 9,000 millions pour produire 12,000 millions, le pays doit pouvoir jouir de ses 12,000 millions tout en ne dépensant que 9,000 millions.
Avec 9,000 millions, il faut pouvoir en payer 12,000. Payer 12 avec 9. Cela demande un ajustement du prix : abaisser le prix comptable 12 au niveau du prix réel, 9. Et le faire sans violenter personne, sans nuire à personne. Notre prochaine leçon dira comment.