Un de nos abonnés du Manitoba nous écrit qu'il vient de lire un article de Nogaro dans L'Actualité Économique de décembre 1939. L'auteur de l'article met en doute la grande possibilité de production. On nous demande ce qu'en pensent les créditistes.
Mon Dieu, les Créditistes, qui n'ont pas le phosphore des vers-luisants, des Hautes-Études de Montréal, pensent simplement d'après ce qu'ils voient avec les yeux que le bon Dieu leur a donnés.
Je me promène sur la rue Ste-Catherine, ou Mont-Royal, ou combien d'autres, et si ce n'est pas de l'abondance que je vois affichée dans les vitrines, qu'appelle-t-on abondance ?
J'ouvre mon journal, et n'est-ce pas encore l'abondance qui s'étale à pleines pages d'annonces ?
Ni le marchand, ni le journal nous laissent entendre que, si on a le malheur d'y puiser, la production capitule.
Je croise des chômeurs sur le trottoir : abondance paralysée.
Je salue des soldats : on les entraîne pour la destruction de l'abondance.
Voici une ferme abandonnée : abondance chassée.
On me montre des hommes qui travaillent au pic et à la pelle pendant que la machine attend la fin de la crise : abondance immolée à la bêtise.
Des sacs-au-cou distribuent des circulaires commerciales à toutes les portes ; des agents de toutes sortes, de tous âges, de tous sexes, de toutes lignes, importunent nos Canadiennes dans leurs maisons : abondance qui fait du cancer à force de vieillir sur place.
L'abondance est telle qu'il faut plus de monde pour l'offrir que pour la produire.
Et l'abondance d'un autre genre qui sort de nos usines de guerre ne rend-elle pas hommage à la capacité de production du pays ? Celle-là démontre ce qu'on peut faire lorsqu'on n'est pas limité par un pouvoir d'achat déficitaire. Celle-là n'a pas besoin de placer des annonces dans les journaux ni des agents sur la route. Celle-là s'écoule librement parce qu'elle ne pose point de problèmes au consommateur par ses factures. Le jour où l'on attendra que l'Allemand paie avant de le gratifier de nos bombes, nos usines de guerre feront comme les autres, et Nogaro dira qu'on n'est pas capable de produire !
La capacité de production éclate partout. L'abondance fermente dans tous les coins, excepté dans nos poches — et pour cause, parce qu'il y a un secteur qui, lui, s'évertue à produire la rareté.
Ne nous étonnons pas trop que les grands savants de L'Actualité Économique ne voient pas comme nous. Leurs yeux sont supra-terrestres. Ils voguent dans des sphères lunaires, d'où ils distribuent des blâmes partout sur notre pauvre planète, sauf sur le magnifique système d'argent rare qui reflète la quintessence d'une humanité détraquée. De si haut, ils ont beaucoup de peine à distinguer entre capacité de produire et capacité de vendre, entre capacité de manger et capacité de payer. Tout comme d'autres distinguent mal entre capacité de penser et capacité d'encenser.