Les créditistes, depuis qu'ils sont créditistes, c'est-à-dire depuis qu'ils ont ouvert les yeux, ont dit beaucoup de mal déjà des fonctionnaires.
Ils les ont taquinés sur le peu de zèle qu'ils mettent à leur travail, sur leurs petites ambitions, sur leurs méthodes de courtisans, etc...
Mais, depuis quelques semaines, les créditistes ont bien des remords de toutes ces paroles.
Enfin, le croiriez-vous, il nous a été donné de rencontrer, parmi les fonctionnaires, un homme qui travaille pour un idéal !
Cet homme fût-il le seul de son espèce, nous devons bien vite faire amende honorable.
Et nous affirmons notre ferme propos de ne plus recommencer.
Pour notre pénitence, nous ferons connaître à tout le public les grandes vertus de ce merle blanc qu'est monsieur Victor Dubé, officier de la Gendarmerie Royale dans le district de Québec.
Nous sommes heureux d'annoncer à toute la province créditiste que monsieur Victor Dubé s'est donné pour mission de faire une grande propagande au Crédit Social.
Autour du Crédit Social et de VERS DEMAIN, monsieur Dubé a remarqué que les journaux et les partis politiques faisaient la conspiration du silence. Et l'âme droite de monsieur Dubé s'est émue, et a réagi. Pour un défenseur de la justice, comme l'est un officier de Sa Majesté, il est odieux qu'un idéal comme le Crédit Social soit ignoré systématiquement par un si grand nombre de personnes.
Aussi, monsieur Dubé a-t-il pris sur lui la responsabilité de réparer cette erreur.
Mission difficile, certes, mais d'autant plus méritoire.
Du matin au soir, monsieur Dubé ne pense plus qu'à sa sublime vocation.
Depuis que l'État-Major du Crédit Social a installé ses bureaux dans la capitale de la province, monsieur Dubé a commencé son œuvre.
Il y a quelques semaines, dans Limoilou, il abordait l'automobile de Gérard Mercier, et demandait au propriétaire d'ouvrir la porte afin de permettre une inspection bienveillante. Mais, comme notre Gérard est bien Canadien français et qu'il exigeait une identification de gendarme en français, ce que monsieur Dubé ne pouvait pas produire, monsieur Mercier refusa d'ouvrir les portes de l'automobile. Conséquence : monsieur Dubé fit amener l'automobile par une grue, et la fit ouvrir par un serrurier... pour n'y rien trouver, oh ! douleur ! Admettons que le Commissaire Gérard Mercier était bien ingrat d'apprécier si mal les attentions de monsieur Dubé !
Mais, en digne apôtre, monsieur Dubé ne se rebuta pas.
Il continua à suivre le Taureau. (C'est ainsi que s'appelle l'automobile en question).
Oui, créditistes, vous pouvez être fiers : depuis leur entrée dans la capitale, vos directeurs et les Commissaires se voient escortés discrètement, mais sûrement, par des officiers de Sa Majesté.
Et le bureau de l'Association Créditiste, 94 de la Couronne, a l'honneur d'être étroitement surveillé, et même visité avec mandat portant sceau de Sa Majesté.
Deux Voltigeurs du Crédit Social furent solennellement arrêtés dans leur travail de créditistes, et amenés en grande pompe dans l'édifice du Parlement, pour y passer une bienheureuse nuit sous le toit qui hospitalise régulièrement les lumières de la province.
Au Palais de Justice, les officiers de tous les corps policiers du pays se réunissent en grand secret, avec procureurs et juges, pour trouver la meilleure méthode de patronner le Crédit Social.
Et tous ces préparatifs ne sont que des préparatifs, messieurs. Monsieur Dubé s'est juré de faire resplendir le Crédit Social, et il est têtu comme un créditiste. Il réussira.
Créditistes, soyons donc tous très attentifs à apporter notre entière collaboration à ce fonctionnaire qui marie si bien le zèle pour sa fonction avec le zèle pour son pays, chose si difficile et si rare !
Et félicitons-nous de voir enfin la nuit se terminer et le jour se lever sur notre merveilleux idéal, à qui on va bientôt donner droit de cité.