Après toutes les attaques et tous les sarcasmes que, de son vivant, feu William Aberhart dut essuyer de la part de la presse à solde, on ne peut que trouver remarquable le magnifique éloge décerné au grand défunt par l'Edmonton Bulletin. Ce journal est l'organe albertain du parti libéral, donc nullement créditiste.
Le Jour, de Montréal, hebdomadaire qui n'est non plus d'aucune manière lié ni intéressé au mouvement créditiste, a fait de l'éditorial de l'Edmonton Journal une excellente traduction reproduite dans son édition du 5 juin. Nous la donnons en entier :
William Aberhart est mort, et, sa mort clôt une ère en Alberta.
Cela ne veut pas dire que les principes que défendait Aberhart ou que le parti qu'il a fondé finiront avec lui. Les principes sont éternels. Et les partis survivent aux individus.
Mais l'ère qui finit est l'ère d'une individualité robuste et brillante ; c'est la phase de notre histoire provinciale qui était dominée par une personnalité impressionnante et fascinatrice.
Car personne ne peut nier la puissance intrinsèque du défunt Premier. Il fut haï. Il fut aimé. Il ne fut jamais ignoré.
Le procédé mystérieux de la mort qui arrache l'âme humaine aux angoisses et aux laideurs de la lutte terrestre est un mystère insondable. Il soustrait pour toujours l'individu aux affaires de ce monde. Par conséquent, lorsqu'on mesure les qualités d'un mort, il faut distinguer les choses qui appartenaient à César de celles qui appartiennent à Dieu.
Il faut juger, non pas les doctrines proclamées par celui qui n'est plus, mais la pureté de ses intentions. Il faut considérer, non pas ses accomplissements temporels, mais les intentions qui étaient dans son cœur.
En un mot, il faut penser, non pas à Aberhart, le leader du Crédit Social, non pas à Aberhart, l'administrateur, non pas à Aberhart, le politicien, mais à Aberhart l'homme. La mort l'a séparé de tout excepté de sa valeur intérieure. Cette valeur est la seule chose qui importe maintenant.
Le défunt Premier vivra dans les annales de son pays, à cause de sa profonde humanité.
Quelles que fussent ses obsessions, quels que fussent ses actes politiques, quel que fût son credo économique, le tribut final qu'il faut lui rendre, c'est qu'il aima ses frères humains.
Tout, dans son existence, visait cette direction. Tout ce qu'il a fait et dit, fut fait et fut dit dans ce but.
Durant vingt-cinq années il servit le pays comme principal d'une grande école supérieure. Le professorat est un acte d'amour.
L'expérience acquise en cette capacité lui permit de donner à l'Alberta le meilleur système, d'éducation qui existe au Canada. Et l'éducation est un acte de foi.
À cette heure de sa mort, il n'est pas important d'admirer l'excellente législation sociale dont il dota la province. Mais il est important de se rappeler que cette législation fut enfantée par une brûlante sympathie pour les vieillards, les malades et les faibles.
Quoi qu'on pense de ses idées politiques, on ne peut lui refuser l'épitaphe de "Champion des opprimés".
Il y a, dans une carrière de ce genre, quelque chose qui dépasse les hauts faits d'un homme d'état, quelque chose de plus beau et de plus durable que les phrases creuses de la politique.
Il a aimé ses frères humains.
Le défunt Premier d'Alberta avait fait à ses électeurs des promesses qu'il n'a pas pu tenir : personne ne douta jamais qu'il les eût faites de bonne foi.
Par contre, il a érigé des monuments administratifs et sociaux qui ne périront pas. Il a doté la province d'un système scolaire à grandes unités territoriales, qui permet d'égaliser les dépenses et de distribuer aux enfants des municipalités pauvres le même enseignement qu'à ceux des municipalités riches.
Il a institué le traitement gratuit de tous les malades atteints de tuberculose et de cancer. Je connais moi-même un Canadien français de Montréal, venu dans l'Ouest pour y soigner sa tuberculose. Guéri après trois années de traitements gratuits dans les hôpitaux d'Edmonton, la municipalité l'aida financièrement à suivre les cours de l'école normale. Devenu professeur, il se maria et est père de famille.
Les moratoriums protecteurs ont sauvé de la ruine des milliers de fermiers d'Alberta. Où en serait aujourd'hui l'agriculture de la province si les sociétés de prêt avaient pu foreclore leurs hypothèques et jeter les fermiers hors de leurs fermes ?
Ce dernier point donne l'explication des haines et des sympathies dont fut l'objet Aberhart. Aimé par les petits fermiers dont il sauva les terres, sa mort n'apaisera pas l'hostilité de ceux à la convoitise desquels il mit un frein.
VERAX