W.G. Serra est un ingénieur des Mines de Paris qui a travaillé dans différents pays, et qui a connu C. H. Douglas personnellement en 1932, se faisant depuis lors un ardent apôtre de la Démocratie Économique. Il a laissé plusieurs livres et articles sur le sujet, collaborant entre autres avec le journal Vers Demain depuis 1949.
Voici un de ses articles, qui explique quel est l'intérêt de ceux qui maintiennent en vie le système actuel d'argent-dette, pour mieux tenir la population mondiale sous leur contrôle – doublé d'un éventuel gouvernement mondial —, ajoutant que l'argent n'est pas une marchandise, un bien tangible, et n'a aucune valeur en soi, sinon que d'être un symbole, une représentation chiffrée des véritables richesses que sont les biens et services.
par W.G. Serra
On peut se demander pourquoi, pour quelle raison impérieuse, on conserve un système de mesure et de représentation des valeurs qui, de toute évidence, n'est pas adaptable au progrès des autres techniques, puisqu'il ne procure pas la satisfaction la plus large des besoins humains modernes, objectif pour lequel ces techniques ont été inventées et perfectionnées.
Il est clair que le malaise social universel d'aujourd'hui résulte, non pas d'une carence des techniques, mais de la carence du système qui doit en distribuer les produits et ne parvient pas à réaliser la justice sociale.
Il n'y a qu'une réponse à cette question préliminaire : c'est, de toute évidence, parce que tel est l'intérêt d'une minorité puissante de malins qui, de tout temps du reste, se sont rendu compte du pouvoir illimité que la possession de cette « marchandise par excellence » pouvait leur conférer sur les choses et surtout sur les hommes. Ils ont réussi à s'en assurer le quasi-monopole, tout en faisant croire que sa rareté était un phénomène naturel et qu'il n'y avait aucune autre méthode imaginable qui puisse convenir aux échanges, au fonctionnement rationnel et satisfaisant de l'économie.
Rien n'a changé, de ce point de vue, depuis les origines. Dans le monde occidental contemporain, c'est toujours une minorité fortement organisée, en marge de la collectivité et de l'État, qui, en dépit des nationalisations, possède et surtout contrôle souverainement cette marchandise, gonflée conventionnellement de ses formes fiduciaire et scripturale, et si frauduleusement altérée, que l'unité, l'étalon monétaire, se vide à une allure constamment accélérée de son contenu.
Cette minorité si puissante aujourd'hui, qui a pris une importance si prépondérante, et au sort de laquelle sont intimement liés tous ceux qui, pour produire et subsister, doivent nécessairement s'adresser à elle et constituent le monde dit "capitaliste" – trusts, cartels, grosses industries, grand commerce, grand patronat, etc. – cette minorité, c'est le système bancaire. Le système bancaire moderne - avec son armature et sa hiérarchisation : les banques ordinaires, dont dépendent l'industrie et le commerce, et les banques d'émission. Ces dernières sont aux premières ce que celles-ci sont à l'industrie et au commerce. Mais, exactement comme les banques ordinaires forment le système bancaire d'une nation, de même les banques centrales forment le système bancaire international du monde.
Or, il n'y a pas d'organisation, visible ou occulte, sans direction, comme il n'y a pas de hiérarchie visible ou occulte sans, au sommet, un chef aidé ou non d'un conseil. Direction et chef ont nécessairement une conception avouée ou secrète et tacite des objectifs qu'ils cherchent à réaliser. Ce n'est pas ici notre propos d'examiner cet aspect du problème quant au fond ; nous nous en tenons aux faits que tout le monde peut palper. Constatons simplement qu'il serait extrêmement naïf de croire que la subordination de la production et de la consommation à l'argent soit un fait contingent, obéissant à des lois naturelles, providentielles. C'est absolument faux.
Le monopole de la création du crédit et sa pratique d'application obéissent simplement et nécessairement à une politique. Celle-ci, à son tour, implique une certaine philosophie et une certaine conception de ce que la société, et les rapports de la société et de l'individu, doivent être, non dans l'intérêt de l'individu ou de la société, mais en vue d'un certain objectif, dans l'intérêt précisément de ceux qui exercent ce contrôle suprême et dans l'intérêt de la continuation du système qu'ils appliquent. Ils savent bien qu'il n'y a pas au monde de moyen plus insidieusement puissant, ni plus efficace, que la Finance pour exercer le pouvoir et imposer l'idéologie de leur choix. Et cette remarque valait d'un côté comme de l'autre du rideau de fer, et vaut encore toujours en Occident et maintenant au Moyen-Orient, en Chine et en Inde.
Autrement dit, l'évolution de la Finance n'a jamais eu, ne pouvait avoir et n'a pas pour objet, comme les autres techniques, le bien public, ni l'intérêt de l'individu, mais, plus secrètement, le gouvernement des individus.
Si bien qu'après quatre mille ans d'une application qui n'a jamais été et ne pouvait être satisfaisante, qui a toujours été douloureuse pour la plupart des humains qui l'ont subie, le système financier, archaïque et absurde, fondé sur les postulats rappelés plus haut, perfectionné — si l'on peut dire — par le système bancaire et les économistes contemporains, s'est transformé en cet instrument satanique de domination occulte et de tyrannie, officiellement reconnu et protégé par les États, leurs institutions et leurs lois. Instrument satanique qui opère exactement de même à l'Est et à l'Ouest, sous le masque et la fausse barbe de l'économie communiste comme du capitalisme.
L'évolution logique du système aboutit aujourd'hui au gangstérisme politico-financier le plus cynique qui ait jamais existé ; à la frustration, non plus contingentée comme dans le passé, mais délibérément organisée et planifiée, non seulement des multitudes travailleuses, mais des nations elles-mêmes ; à l'extension continue de la condition prolétarienne, dans une insécurité économique croissante ; à l'exaspération progressive des conflits sociaux ; à la menace et à la préparation d'une nouvelle guerre mondiale, qui ne peut manquer d'être la plus destructive de toute l'histoire humaine.
Comment l'idéal humain dont tant d'hommes de notre temps sont pourtant pénétrés (idéal de justice sociale, de bien commun, d'humanisme, qui est, soulignons-le, fondamentalement chrétien), comment cet idéal peut-il être respecté et réalisé, quand, à l'intérieur de chaque nation, l'argent, au lieu d'être un simple moyen abondant à la disposition de chacun, un mécanisme automatique et efficace au service de chacun et de tous, qui répartisse à tous et à chacun les avantages de l'association humaine et de ses progrès, – l'argent n'est qu'un moyen de domination et d'asservissement à la disposition de quelques-uns, tout en devenant la fin nécessaire de toute activité humaine et la condition d'une existence précaire, parce qu'il est délibérément maintenu rare et insuffisant ?
Comment la paix internationale pourrait-elle être préservée quand il en va de même sur le plan international et que s'exerce le chantage politique le plus cynique pour contraindre les nations « nécessiteuses » à adhérer soit à une idéologie, soit à un type de politique dont en fait elles ne veulent pas ?
Mais il en est ainsi, parce que, dans toutes les nations de la terre, l'opinion crédule, non avertie, routinière et incapable de toute critique sérieuse, accepte aveuglement, stupidement, mystiquement, la validité d'un système financier fossile et frauduleux, comme un dogme intangible et sacro-saint.
Et cela, sur la foi d'une propagande savamment organisée, qui camoufle habilement la vérité, la travestit et essaye, par tous les moyens, de convaincre les individus que ce sont eux qui ont tort d'exiger de la finance ce qu'elle ne peut donner. Propagande qui veut faire croire, et réussit à faire croire, que la monnaie et le système financier, national ou mondial, sont des phénomènes naturels, des forces de la nature, providentielles, qu'il faut accepter telles qu'elles sont et qu'il est vain de vouloir asservir.
Il faut que le pouvoir de créer, d'administrer, de contrôler la monnaie et le crédit, ne soit plus le monopole du système bancaire qui, nationalisé ou non, a opéré jusqu'ici exclusivement pour son profit en tant que système, en marge de la collectivité et de l'État, et, à un moindre degré, pour le profit de ceux qui dépendent de lui pour leurs crédits et sont le plus aptes à le servir.
Il faut que ce pouvoir de créer, d'administrer, de contrôler le crédit et l'argent, sous sa nouvelle forme de représentation, soit désormais le privilège exclusif d'un organisme national de l'État lui-même – le système bancaire étant réduit au rôle d'agent de cet organisme.
C'est l'État lui-même (par cet organisme) qui doit créer son propre crédit et les moyens de paiement nécessaires pour payer les services rendus par ceux des citoyens qu'il emploie : ces services, en effet, sont une production qui, au même titre que la production privée d'autres biens et services, constitue aussi un actif de la nation – non pas une dette.
Puisque l'argent ne doit en aucune façon être une marchandise, mais la simple représentation des valeurs créées ou à créer, un État souverain et réellement indépendant n'emprunte jamais. Il n'emprunte ni de ses citoyens ni de l'extérieur. Cela n'aurait aucun sens. L'État, créateur de la représentation des valeurs des biens et services produits ou à produire, comptable de la consommation et des réalités physiques de toute la vie économique nationale, ne prélève ni impôt ni taxe, ni intérêt. Il supplée, au contraire, à l'insuffisance des salaires et revenus, insuffisance nécessairement croissante avec tout avancement des techniques ; et il satisfait à la demande réelle pour réaliser l'équitable répartition des avantages résultant de l'association humaine, dont chaque individu est, à un titre égal, l'héritier.
W.G. Serra
Source : http ://credit-social.over-blog.com/