A l'heure où nous écrivons ces lignes (24 avril), la série des procès intentés aux directeurs de Vers Demain au sujet de la circulaire annonçant la première fournée d'assemblées de maison dans Québec, l'automne dernier, n'est pas encore terminée.
Les accusations portées contre l'impression et la distribution de circulaires sans nom d'imprimeur, le sont en vertu de l'article 15a des Règlements de la Défense Nationale, codification 1942. Les plaintes sont datées du 22 novembre. Or l'exhibit 1 montre que la codification 1942 en langue française n'était pas encore sortie des presses le 18 décembre 1942.
Exhibit 1
Lettre de M. Benoît Godbout, secrétaire-adjoint du Ministre de la Justice, à M. Gabriel Mercier, l'un des avocats des créditistes :
Cabinet du Ministre de la Justice
Ottawa, le 18 décembre 1942
Cher Monsieur Mercier,
Votre lettre du 11 décembre, adressée au Ministre de la défense Nationale, a été référée à notre bureau et je suis chargé d'y répondre.
Je note votre désir d'obtenir une copie française des règlements de la défense du Canada 1942. L'édition française 1942 de ces règlements est sous presse et doit paraître d'un jour à l'autre.
Benoît GODBOUT secrétaire-adjoint
Le 3 février (Exhibit 2), l'Honorable.St-Laurent semble n'avoir aucune connaissance d'aucun autre cas de circulaires sans nom d'imprimeur. L'exhibit 5 peut le renseigner.
Exhibit 2
Lettre de l'Hon. St-Laurent à M. Grégoire, en réponse à une lettre dans laquelle M. Grégoire relevait de nombreux cas de circulaires sans noms d'imprimeur et nullement remarquées par la Gendarmerie Royale. M. Grégoire remarquait que la poursuite contre les créditistes serait considérée comme une injustice et une persécution dans plusieurs des 1,400 paroisses de la province de Québec.
Cabinet du Ministre de la Justice
Ottawa, ce 3 février 1943
Cher Monsieur Grégoire,
Je ne puis nullement admettre les représentations que comporte votre lettre. L'amendement aux Règlements de la Défense du Canada a été publié dans la Gazette Officielle. Je ne sache pas qu'aucun discours du premier-ministre ait été imprimé et distribué sans le nom de l'imprimeur, et je n'ai pas vu la circulaire dont vous parlez signée par l'honorable L.-A. Taschereau... Je vais faire faire enquête pour voir si, en effet, depuis l'adoption de cette disposition, les communistes ont fait distribuer des circulaires qui ne portent pas le nom de l'imprimeur... Quant aux candidats à l'élection partielle de Charlevoix, on m'a transmis des circulaires où on avait indiqué l'imprimeur comme "Imp. de Charl." ; ce n'était pas très complet, mais cela comportait une indication suffisante pour identifier l'imprimeur. Quant à ce qui est arrivé aux deux bons citoyens dont vous parlez (deux voltigeurs mis en prison pour une nuit), c'est probablement une des conséquences de l'administration de la justice qui, comme vous le savez, relève des autorités provinciales.
J'espère qu'il y a des personnes dans les 1,400 paroisses de la province qui voient autre chose qu'une injustice criante et une persécution manifeste à l'application de la loi.
J'attendrai le rapport de M. Maurice Boisvert et du chef Courtois, et il sera peut-être possible de faire quelque chose, mais je ne saurais admettre qu'il faille le faire pour calmer les esprits dans la population, et empêcher ce qui serait interprété comme un scandale de se continuer.
Votre dévoué,
Louis ST-LAURENT
Le 3 février, l'honorable St-Laurent termine en disant qu'il lui sera peut-être possible de faire quelque chose. Quatre semaines après, le 1er mars (Exhibit 3), il s'est aperçu que le cas dépend du provincial : du moins il le dit, Serait-ce parce que, dans l'intervalle, de nombreuses signatures sont venues lui démontrer qu'en plusieurs paroisses on considère réellement les poursuites comme une mesure persécutrice et vexatoire ?
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Dans l'Exhibit 3, l'Honorable St-Laurent dit que les procédures viennent du provincial et qu'il faut s'adresser à l'Hon. Casgrain si l'on veut essayer de les faire retirer.
Exhibit 3
Lettre du Ministre de la Justice à M. Grégoire, quatre semaines après la lettre de l'Exhibit 2.
Cabinet du Ministre de la Justice
Ottawa, ce 1er mars 1943
Cher Monsieur Grégoire,
J'avais compris par les termes de votre lettre du 1er février que M. Maurice Boisvert devait me faire un rapport et que je devais également en recevoir un du chef Courtois ; je n'ai rien reçu ni de l'un ni de l'autre mais dernièrement j'ai été informé par le Commissaire que les plaintes contre Louis Even et mademoiselle Gilberte Côté avaient été instituées suivant des instructions du Procureur général de la province, et, en effet, l'administration de la justice, comme vous le savez, est sous le contrôle des autorités provinciales.
Ne croyez-vous pas que, si vous avez des représentations à faire, vous devriez les adresser à l'honorable M. Casgrain ?
Votre bien dévoué,
Louis ST-LAURENT
Dans l'Exhibit 4, le bureau de l'Hon. Casgrain, procureur provincial, dit que les procédures viennent de la police fédérale et que c'est à elle ou aux autorités fédérales de retirer les plaintes si elles le jugent à propos.
Exhibit 4
Lettre de M. P. Frenette, assistant-procureur général suppléant de la province de Québec, à M. J.-E. Grégoire.
Monsieur,
Pour faire suite à votre entrevue de ces jours derniers concernant les procédures intentées contre votre client pour infractions à l'article 15a des Règlements de la Défense du Canada, je suis chargé par le Procureur Général de vous dire que la plainte a été assermentée par la police fédérale, à sa demande, et que nous lui avons prêté les services de nos substituts pour la conduite de la cause, comme il est d'usage en pareille matière.
Dans les circonstances, nous ne pouvons pas prendre l'initiative de l'abandon des procédures, sauf absence de preuve ; cependant nous ne mettrons pas d'obstacles au retrait de la plainte si une requête à cette fin est faite devant le tribunal par la R.C.M.P. ou les autorités fédérales.
Veuillez me croire votre bien dévoué,
L'assistant procureur général suppléant, P. FRENETTE
Il n'y a pas de responsables. C'est tout à fait dans la ligne du régime.
L'Exhibit 5 n'épuise pas la liste des imprimés sans nom d'imprimeur ; mais il en énumère dix-huit de différentes catégories : littérature de guerre de commissions fédérales ; production de hauts personnages politiques ; littérature politique, de candidats ou de parti ; feuillets contre le Crédit Social ; émanations des Unions Internationales ; calomnies du fameux pasteur Shields ; appels des communistes ; éloquence de Joseph Staline.
Exhibit 5
Liste de quelques imprimés, publiés et distribués sans porter de nom d'imprimeur. Aucun d'eux n'a été l'objet de la moindre poursuite judiciaire de la part de la gendarmerie royale.
Le Canada en Guerre, plusieurs éditions dont celle de janvier 1943, publiée par la Commission d'Information en temps de guerre.
Album de Guerre (par Arthur Le May), publié par la même Commission.
Dieppe (Bob Bowman), publié par la même Commission.
Le Canada et la Guerre, discours de l'Hon. W. L. Mackenzie King, 8 et 9 novembre 1942.
Circulaire de l'Hon. Taschereau pour l'aide à la Russie.
Dépliant bilingue pour l'Aide à la Russie.
La vérité sur le capitalisme (reproduction d'articles de Montréal-Matin).
Un danger national feuillet contre le Crédit Social, d'Elzéar Dallaire, re-distribué cet hiver.
Circulaire de Mme Casgrain, candidate libérale dans Charlevoix-Saguenay.
Circulaire de J.-Émile Boivin, candidat libéral dans Charlevoix-Saguenay.
Ce qui s'est passé à Winnipeg fascicule de l'Association Progressiste Conservatrice de la province de Québec.
Les Racistes peints par eux-mêmes.
Circulaire de l'Union Internationale, aux ouvriers de l'aluminium d'Arvida.
Affiche de l'Union Internationale pour essayer de détacher les ouvriers de Montmorency du syndicat catholique.
Rapport du premier anniversaire de la Ligue Protestante du pasteur Shields.
The Gospel Witness hebdomadaire du pasteur T. T. Shields, plusieurs éditions dont cel- le du 11 février.
Circulaire de Tim Buck (bilingue), "Salut à notre alliée soviétique", pour fêter le 25e anniversaire de la révolution bolchéviste. Discours de Joseph Staline, du 6 novembre, traduction française distribuée le mois dernier, et annonçant le journal communiste "La Victoire".
Contre tous ces imprimés, aucune cause. Contre la circulaire des créditistes, et contre celle-là seulement, la gendarmerie a cru devoir intervenir, et elle n'a pas manqué son coup, puisqu'elle y est allée avec sept causes :
1— Arthur Giroux, accusé d'avoir distribué la circulaire sans nom d'imprimeur : une nuit en prison. Plaide coupable. $5.00 d'amende et les frais de cour.
2-- Raymond Bourgault — Exactement comme Arthur Giroux.
3— J. Bédard, imprimeur, accusé d'avoir imprimé la circulaire sans y mettre son nom. Après procès, condamné à $10.00 d'amende et les frais, ou 15 jours de prison.
4— Louis Even, accusé d'avoir fait imprimer la circulaire qui ne porte pas de nom d'imprimeur. Procès terminé le 15 avril ; jugement remis d'abord au 21 avril, puis de nouveau remis au 28 avril.
5— Gilberte Côté, accusée d'avoir fait imprimer la circulaire. Cause plaidée et plainte retirée le 15 avril, faute de preuve.
6— Louis Even, accusé d'avoir fait circuler la circulaire. Cause commencée et ajournée au 28 avril.
7— Gilberte Côté, accusée d'avoir fait circuler la circulaire. Cause ajournée au 28 avril.
Des vingtaines de cas semblables au nôtre restent sans molestation. Le nôtre, le seul considéré, est chargé de sept causes. Voilà ce que nous appelons une persécution manifeste, une injustice criante dans l'application de la loi.
Qui peut démontrer le contraire ?