Alphonse Pelletier faisait une tournée de conférences dans le comté de Roberval. Il passa à St-Félicien chez Gédéon Therrien. Il nous a rapporté par écrit les faits suivants, que nous ne connaissions pas encore après 44 ans qu'ils s'étaient déroulés. Même monsieur Even n'en avait parlé à personne de son entourage, ni à son Conseil, ni à ceux qui travaillaient à son bureau. Il voulait endurer son épreuve tout seul, par humilité sans doute, et pour l'amour du bon Dieu. Il avait déjà fait le don total de lui-même à Dieu pour l'Œuvre qu'il avait commencé à bâtir pour sauver tous les pauvres du monde de leur misère causée par les financiers.
C'était en 1962. J'étais chez Gédéon Therrien, à St-Félicien de Roberval. Gédéon était indigné de voir tant de créditistes qui s'étaient laissé berner par le puceron Réal Caouette. Il me dit en frappant sur la table :
Moi, Gédéon Therrien, jamais je ne trahirai la vérité créditiste de Louis Even ! Je vais vous raconter un fait vécu par Louis Even, et vous allez comprendre.
C'était en 1938, durant la grande crise économique. Louis Even vint tenir une assemblée à St-Félicien. Elle eut lieu dans la grange de Joseph-Arthur Bouchard. Il y avait beaucoup de monde. Les gens buvaient les paroles de Louis Even sur le Crédit Social. Il comprenait tout le bien qu'il ferait pour sortir les familles de la misère. Monsieur Even vendit toute sa littérature qu'il avait avec lui. Ce fut un grand succès, beaucoup d'enthousiasme, les pauvres avaient compris le message de Louis Even.
Après l'assemblée, il quêta son coucher. Beaucoup s'offrirent à l'héberger. Je fus le chanceux qui le reçut dans ma maison. Ce soir-là, inutile de vous dire que nous nous sommes couchés très tard.
Il faut dire que dans ce temps-là, je ne savais pas lire. L'exposé lumineux que Louis Even fit sur le Crédit Social me décida à faire l'effort d'apprendre à lire pour pouvoir étudier les écrits de Louis Even, d'abord dans les "Cahiers du Crédit Social" puis depuis septembre 1939 dans Vers Demain.
Le lendemain matin, je conduisis Louis Even à la station, et je m'en allai à mon travail. Mais les patroneux, les coqs du village, n'avaient pas aimé le succès que Louis Even avait remporté, et ils le lui firent savoir à leur façon.
Louis Even attendait son train sur le quai de la gare. Six hommes étaient cachés l'épiant. Le voyant seul et sans défense (Louis Even avait 53 ans et était très sourd, sans appareil acoustique), les 6 hommes l'ont saisi et l'ont conduit dans un garage. Là, ils lui ont versé sur la tête des chaudières de vieille huile sale. Et le regardant tout ruisselant d'huile, ils lui dirent en se moquant de lui : "Va prêcher ton Crédit Social maintenant !"
Et Louis Even, ainsi couvert d'huile, traversa à pied tout le village de Saint-Félicien, revint chez moi, Gédéon Therrien. Ma femme, en le voyant lui dit : "Mais que vous est-il donc arrivé ?" Et lui répondit avec son sourire qui ne le quittait jamais : "C'est que quelques hommes ont prouvé qu'ils m'aimaient un peu plus que les autres. Madame, je viens seulement vous demander la charité de me prêter du linge de rechange pour que je puisse aller tenir mon assemblée ce soir à Chambord."
Ma femme lui répondit : "Mais, vous continuez quand même après ce que vous venez d'avoir !"
Et lui de répondre, toujours en souriant : "Oh ! s'il ne m'arrive pas pire que cela, je serai bien chanceux !"
* * *
Et Gédéon Therrien de me dire avec force : "Mol, trahir Louis Even, jamais !"
Louis Even avait demandé à Madame Therrien de ne pas révéler cette affaire.
Alphonse Pelletier