La victoire du Crédit Social a éveillé, en même temps que la curiosité du peuple canadien, des craintes sérieuses chez nos pro-défenseurs de notre système économique.
Les deux vieux partis en guerre sur le terrain fédéral, caméléons pour l’heure, n’ont pas craint de s’allier aux éléments les plus subversifs pour combattre l’ennemi No 1, le Crédit Social.
Tous les moyens furent mis à la disposition des coalitionnistes enrégimentés, et jamais, dans l’histoire politique canadienne, un parti politique n’a subi d’épreuve aussi cruciale que celle-là.
Pourtant 53% de la population albertaine a donné un vote catégoriquement réactionnaire, c’est-à-dire franchement opposé aux deux vieux partis classiques, rouge et bleu.
Pour une fois, au moins, l’on est en face du fait réel et concret, que l’argent n’a pas pu tout faire en Alberta comme ailleurs.
L’Honorable William Aberhart est reporté au pouvoir avec une majorité absolue de 15 sièges.
Après avoir prédit la chute, le balayage du parti Crédit Social, l’on semble, en certain milieu, vouloir expliquer ce fait en mettant en baisse les principes d’honnêteté et d’honneur du petit peuple albertain.
Honneur, honnêteté et respect de contrat, etc., tout cela de nos jours ne
"semble devoir être respecté que de celui qui souffre pour exiger de lui qu’il accepte toujours le fardeau de taxe qui l’écrase déjà d’une façon de plus en plus menaçante."
L’on va jusqu’à concéder que c’est l’électeur moyen qui n’a pas rejeté le gouvernement, qui l’a protégé et qui l’a empêché, lui et sa famille, d’être flanqué dans le chemin avec un "bon de secours direct" que lui offrait complaisamment notre système économique actuel.
En effet, ce ne sont pas les rêveurs du patronage politique, ou les amis et les vendus de la caisse électorale qui sont responsables de la victoire créditiste du 21 mars dernier.
C’est l’électeur moyen, celui qui lit, qui étudie, qui cherche, qui pense et qui juge. C’est celui qui s’est donné la peine de comprendre et d’analyser les différences entre un abus criant, un droit moral et un devoir de justice sociale, qui a porté le ministère Aberhart au pouvoir.
Le gouvernement Crédit Social ne doit sa victoire qu’au fait qu’il a conscience que sa seule raison d’être, c’est la sauvegarde du bien général de ses électeurs et non la protection des intérêts financiers d’un petit groupe en quête d’or et de pouvoir.
C’est cet électeur capable de comprendre qu’un gouvernement qui fait le partage des responsabilités et des devoirs selon les préceptes imposés par la saine logique, selon les circonstances de temps et de lieu, et qui n’a en vue que le bien général, ne doit pas être mis au rancart pour faire place à ce je ne sais quoi qui nous maintiendrait dans cet affreux dédale des événements présents.
La doctrine du Crédit Social réclame le respect absolu des lois naturelles. Elle a pour but de donner à l’homme, dans des circonstances normales, les moyens de se procurer sa subsistance sans avoir recours à la charité publique, de lui procurer les moyens de satisfaire à ses devoirs de père de famille et de citoyen et de se procurer l’honnête aisance nécessaire pour pourvoir aux nécessités de l’avenir en cas d’adversité ou de vieil âge.
Les créditistes préconisent, comme moyen pour l’obtention de cet idéal, la restitution des lois et privilèges de circulation monétaire ou de crédit au gouvernement, qui, lui, réhabiliterait l’argent et le crédit à son rôle vrai, c’est-à-dire de médium d’échange. L’argent ne serait plus une marchandise que l’on vend et que l’on achète de quelques privilégiés, qui pour de la monnaie de singe, récoltent à leur profit la richesse réelle des peuples, c’est-à-dire le travail et la production concrète.
Il n’est pas que les créditistes qui pensent ainsi : M. M. King, à Prince-Albert, en 1935, disait :
"Until the control of Currency and Credit is restored, all talk of Democracy and the Sovereignty of Parliament is idle and futile."
M. King savait fort bien qu’il disait la vérité et nous le savons aussi. Pourquoi alors ne travaille-t-il pas dans ce sens ? C’est que lui et ses collègues ont les pieds et mains liés, seul le peuple peut les délivrer, en votant contre eux et conséquemment contre ceux qui leur imposent leurs volontés en arrière de la scène.
Ceux qui se permettent de condamner l’administration du gouvernement albertain sont, soit des ignorants de l’histoire politique et administrative de cette province, soit des gens personnellement intéressés ou de mauvaise foi.
L’Alberta fut érigée en Province en 1905. C’est le très petit nombre en Alberta qui a eu l’insigne privilège de manger à la crèche des faveurs politiques. De 1905 à 1922, le parti libéral détenait les rênes du pouvoir ; de 1922 à 1935, ce furent les U. F. A., et de, 1935 à 1940, ce fut le parti Crédit Social.
La province de l’Alberta ne paie pas ses dettes, dit-on. L’on va jusqu’à écrire, sous de grosses manchettes, que les obligataires de l’Alberta financent malgré eux l’expérience créditiste. Et ce qui plus est, l’anathème des gros bonnets contre la petite province en cause va jusqu’à l’insulte grossière et malhonnête de vouloir insinuer que le gouvernement actuel est directement responsable de l’accumulation des dettes en Alberta. C’est le plus beau sabot de l’âne encore servi que je sache par les libéraux de l’est aux libéraux de l’ouest.
"Ce qui s’est produit en Alberta depuis quatre ou cinq ans ne serait jamais survenu, (lisons-nous dans un gros quotidien libéral) si cette province n’y avait pas été si largement avec les sommes empruntées inconsidérément. Les administrateurs publics qui accumulent les dettes avec cette insouciance se maintiennent toujours les plus larges de principes lorsqu’il s’agit de ne plus honorer leurs engagements." (sic)..
Voici maintenant en parallèle ce que M. Graham Towers, président de la Banque du Canada, nous dit dans son rapport de l’Enquête de la Banque du Canada, édition 1937 :
"Le problème actuel a été créé durant la période qui s’écoula entre 1905 et 1922. Seul le progrès économique du temps peut expliquer que le gouvernement d’alors se soit permis de telles extravagantes dépenses et que de telles dépense fussent allouées de s’accumuler pour si longtemps. Ceci dénote un pauvre jugement et une administration frivole, nonchalante et trop expansive."
Or, de 1905 à 1922, messieurs les Libéraux détenaient les rênes du pouvoir en Alberta. Ce sont donc ces messieurs que M. Graham Towers, accuse.
Nous concevons qu’on puisse être assez Libéral pour ne pas dire toute la vérité ; mais nous jugeons que vouloir faire porter le poids de ses propres bévues par ceux qui n’en sont aucunement responsables, c’est pousser trop loin le libéralisme. C’est une insigne fourberie que de vouloir faire croire au monde que le seul gouvernement bâtisseur de dettes soit le gouvernement Crédit Social.
En 35 ans d’administration, la dette albertaine, par les bêtises des administrations précédentes, s’est accumulée au-delà de 158 millions de dollars.
Cependant, fait digne de mention et qui n’est pas connu de tout le monde, le peuple albertain a déjà payé, en intérêt seulement, un demi-million de plus que la dette totale due à ses obligataires. Et pourtant la province doit encore le montant total de sa dette.
La grande inconnue qu’encore aujourd’hui nombre de gens ignorent, c’est que tout emprunt, en général, si l’on y ajoute les intérêts simples à 5 pour cent, se double en l’espace de vingt ans.
Ceci est la grande multiplication si fertile en profits pour la finance, au détriment du public, à laquelle s’oppose le Crédit Social.
(à suivre)
Dr W. DESROSIERS, M.D.