On connaît le problème du blé. Les fermiers de l'ouest ont labouré, semé et moissonné. Résultat : une magnifique récolte de blé.
Mais ils ont des paiements à faire, des choses à acheter. Pour cela, il leur faut vendre le blé. Et ça prend du temps pour vendre tant de blé, même quand le monde crève de faim, puisqu'ils ont encore sur les bras une bonne partie de la récolte de l'an dernier.
On a approché les banques, les manufactures d'argent, pour qu'elles émettent des avances avec lesquelles la commission fédérale du blé achèterait au moins une partie de la production des fermiers.
Mais les banques ne veulent pas faire cela, sans une solide garantie du gouvernement qu'elles seront remboursées à plein, avec un bon intérêt par dessus le marché.
Ce qui veut dire que l'argent sortirait de la bouteille d'encre du banquier pour acheter la récolte ; il circulerait le temps nécessaire jusqu'à la vente de la récolte. L'argent reviendrait alors mourir là où il est né, sa fonction étant accomplie. Mais dans son sillage, il laisserait un intérêt, une dette à payer aux banques par le fermier ou par les contribuables. Le producteur de richesse paierait un intérêt au producteur de chiffres.
Aberhart a bien suggéré une autre manière au gouvernement fédéral. Le gouvernement d'Ottawa émettrait lui-même, sans endetter personne, des bons de blé négociables, avec lesquels la commission fédérale du blé achèterait immédiatement une partie de la récolte. Les bons étant négociables, le fermier pourrait s'en servir pour payer ses créanciers, ses fournisseurs ; ces derniers feraient à leur tour servir ces bons jusqu'aux manufacturiers. Une fois le blé vendu, la commission du blé se servirait de l'argent pour racheter les bons.
Là encore, on aurait eu une émission d'argent (sous forme de bons) pour accomplir une fonction. La fonction accomplie, l'argent émis à cette fin propre disparaîtrait. Mais cette fois sans laisser de dette sur personne dans son sillage.
Le gouvernement fédéral a rejeté la proposition : elle n'est pas assez conforme à la finance orthodoxe, qui ne permet aucune création d'argent sans endetter quelque créateur de richesse.
L'argent illogique ne fonctionnant pas, et l'argent logique étant interdit, le gouvernement fédéral renvoie le fermier au système du troc : 4,000 ans en arrière. Il décrète que les cinq premiers minots sur chaque acre mis en culture par le fermier pourront servir de garanties au fermier pour obtenir des provisions de son marchand. Le gouvernement s'en rend responsable auprès du marchand.
Voyez-vous le fermier porter dix sacs de blé chez son épicier, quinze sacs chez son boucher, deux sacs chez son médecin, etc.
Au moins, le gouvernement fédéral reconnaît que c'est la production, et non pas l'argent, qui est la véritable richesse, et que le fermier, le producteur devrait pouvoir payer ses dettes avec le fruit de son travail.
Aberhart, qui a des yeux pour le peuple comme Ottawa en a pour la finance, et qui n'en a le jugement que plus sain pour cela, fait les réflexions suivantes :
"Je me sens comme un observateur qui, d'une tour, voit se lever l'aube d'un jour nouveau.
"Si Ottawa a fini par reconnaître que le grain peut servir de base à l'acquittement des dettes et des achats, peut-être va-t-il en arriver à admettre que des pièces de papier négociables, basées sur ce grain, pourraient être utilisées avec beaucoup plus de commodité.
"Tout en capitulant devant des notions que nous affirmons depuis longtemps, les gens d'Ottawa veulent les transporter dans la pratique par des méthodes de l'âge de pierre.
"En notre siècle avancé, il est risible de penser qu'un fermier doive transporter une charge de blé et la déverser à la porte de son épicier en paiement de provisions.
"Pourquoi le gouvernement fédéral ne peut-il faire sa 'job' correctement et émettre des billets de grain négociables ? Pour une seule raison : ce serait se rendre aux forces de la logique, du bon sens, du progrès et mépriser les dictats des financiers.
"Il devient tout de même de plus en plus évident que notre grain peut très bien être changé en pouvoir d'achat sans emprunter et sans endetter les producteurs. C'est le devoir du gouvernement fédéral d'établir le mécanisme voulu pour cela."