Sir Walter Murdock (1874-1970), a été le premier professeur d’anglais et plus tard chancelier de l’Université de l’Australie de l’Ouest. Professeur très populaire, il était un essayiste célèbre pour son intelligence, son humour et son humanité. En 1970, juste avant sa mort, la deuxième université de l’Australie de l’Ouest fut nommé en son honneur « Université Murdock ».
par le professeur Walter Murdoch
J’ai souvent entendu des gens dire que les propositions financières du Major Clifford Hugh Douglas, auxquelles je crois, sont tout à fait impraticables, car elles sont tellement compliquées que personne ne peut les comprendre. Elles ne sont pas compliquées à ce point, mais doivent tout de même l’être un peu pour une raison très simple : le système monétaire actuel, qu’elles cherchent à modifier, est lui-même compliqué. Si vous pensez que le système actuel, dans lequel vous et moi vivons, est facile à comprendre, eh bien, c’est parce que vous ne le comprenez pas...
Les circonstances ont forcé les gens à réfléchir beaucoup au cours des dernières années, et le résultat de cette réflexion est que certaines déclarations qui auraient été violemment contestées il y a quelques années sont maintenant prises pour acquis dans n’importe quelle discussion.
L’une d’elles est que le monde souffre d’une crise sans précédent, au milieu d’une richesse sans précédent. Les habitants de notre planète se retrouvent dans la position de personnes qui meurent de soif sur un radeau au milieu d’un lac d’eau douce. Je n’ai pas besoin d’insister sur ce point ; il y a peu de personnes qui ne seront pas d’accord pour dire que l’époque de la rareté est terminée, et que nous vivons maintenant dans une ère d’abondance. Le problème qui a intrigué le monde pendant des temps immémoriaux - le problème de la façon de produire suffisamment de nourriture et d’autres biens essentiels pour satisfaire les besoins de la population du monde - a été résolu une fois pour toutes...
Une invention qui permet à une machine de faire le travail des hommes met évidemment ces gens en chômage ; de sorte que ce que les scientifiques et les inventeurs ont cru être une bénédiction qu’ils conféraient à l’humanité s’avère être une grande malédiction. Vous diriez tout de suite, n’est-ce pas, que ce serait une bénédiction si nous pouvions avoir des machines pour faire tout le sale boulot nécessaire, toutes les tâches répugnantes, et libérer les hommes pour les activités de meilleure qualité et plus agréables ?
Pas du tout ; la machine qui fait le sale boulot pour nous crée des millions d’hommes sans emploi, et entraîne un flot sans précédent de misère...
Avant d’en arriver aux remèdes proposés par le Major Douglas, je dois mentionner un autre paradoxe. C’est le paradoxe des soi-disant experts financiers. Ces experts, qui ont appris l’économie de l’ère de la rareté et apparemment rien d’autre depuis, ont un seul conseil à donner : « Économisez ! »
Pour les personnes qui meurent de soif sur un radeau dans un lac d’eau douce, ce « sage » conseil signifie : « Buvez moins ! » Pour les personnes vivant dans un monde plus riche que jamais, ils disent : « Vous devez réduire votre niveau de vie. » Ici, en Australie, ils ont mis la main à la pâte et élaboré un plan pour rétablir la prospérité en réduisant les salaires et en diminuant le pouvoir d’achat des gens, quand la moindre étincelle de bon sens devrait nous dire que diminuer le pouvoir d’achat du peuple ne peut qu’entraîner une augmentation du chômage et une aggravation de la crise économique.
Le résultat de cette sagesse combinée des économistes « orthodoxes » est que le monde s’enfonce encore davantage dans la boue ; et c’est pourquoi, pour ma part, je ne suis pas profondément impressionné lorsque les autorités me disent de ne pas me mêler de ces questions qui sont trop élevées pour moi, mais de tout laisser aux experts.
La clé de la situation réside dans la réponse à la question : Qu’est-ce que l’argent ? Quelle est cette entité mystérieuse dont les gens n’ont pas suffisamment, de sorte qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter les biens nécessaires même s’ils vivent dans un âge d’abondance ?
L’argent n’est rien d’autre que des billets ou tickets pour échanger des marchandises. Qu’il soit imprimé sur du papier ou gravé sur du métal, l’argent est essentiellement un billet. L’argent n’est pas une marchandise, mais un moyen d’échanger des marchandises, un moyen très ancien d’éliminer les inconvénients du troc.
Le monde ne souffre pas d’un manque de marchandises aujourd’hui, mais d’un manque de billets pour l’échange de biens... Au lieu de créer la bonne quantité d’argent pour s’assurer la bonne marche de tout le commerce possible dans le monde, nous limitons le commerce selon le montant d’argent qui existe. Nous fermons des usines, nous limitons la production, nous créons des chômeurs, nous affamons les gens, simplement et uniquement par manque d’argent ; et pourtant, l’argent est une chose que nous pouvons créer exactement selon les quantités que nous choisissons.
Qui, en réalité, crée, fabrique l’argent ? Dans les temps anciens, il était créé par les gouvernements et par eux seuls ; et une personne privée qui essayait d’empiéter sur cette prérogative du roi en fabriquant des fausses pièces ou billets de banque pouvait être mise en prison, ou même en Angleterre il n’y a pas si longtemps, pendue.
Avec l’invention du système de chèques – une invention admirable à bien des égards – le pouvoir de créer l’argent et de le retirer de circulation passa, sans que le public s’en aperçoive, des mains du roi aux mains des banquiers.
Sur la quantité totale d’argent qui existe aujourd’hui dans le monde, une petite quantité seulement est composée de pièces de monnaie et billets de banque ; la plus grande partie de l’argent est constituée d’entrées de livres dans les banques. Environ 1,5 pour cent de l’argent en Australie se compose de pièces et de billets ; le reste existe sous la forme d’argent connue sous le nom de crédit bancaire...
Avec quoi les banques créent, fabriquent l’argent ? Elles le créent à partir de rien, comme toutes les autorités bancaires s’accordent pour le dire. Elles le créent avec un stylo, quand elles le veulent et selon la quantité qu’elles décident ; et elles détruisent (retirent cet argent de circulation) quand elles le veulent. Chaque fois qu’une banque accorde un prêt, elle crée de l’argent ; chaque fois qu’elle exige le remboursement d’un prêt, elle détruit de l’argent. Les banques, contrôlant ainsi le volume et la circulation de l’argent, contrôlent la vie et le destin des hommes, et les gouvernements mangent dans leurs mains.
Maintenant, selon tous les principes du droit et de la justice, le crédit total de la communauté appartient à la communauté, et non à un groupe de particuliers ; et la première chose à faire est de retirer le contrôle du crédit des mains de personnes irresponsables et le remettre dans les mains de personnes responsables de la communauté...
Ayant ainsi repris le contrôle du système monétaire, la première tâche du gouvernement sera de faire face à la pénurie actuelle de l’argent, pour combler l’écart entre la production et la consommation.
Un des grands services du Major Douglas à la société a été sa découverte que, selon les règlements financiers actuels, aucune industrie ne peut éventuellement payer, en salaires et dividendes, assez d’argent pour payer le coût des biens qu’elle produit, et cela est vrai pour toutes les industries. C’est le fameux théorème A + B, dont les économistes orthodoxes aiment tant à essayer de prouver la fausseté ; mais les faits, comme on l’a remarqué, continuent de donner raison à Douglas.
Le Major Douglas propose de financer la consommation, afin de combler l’écart entre la production et le pouvoir d’achat de produits, de deux manières. Tout d’abord, en traitant chaque homme, femme et enfant en tant qu’actionnaire de l’entreprise nationale et l’émission pour chacun d’un dividende national, calculé sur la valeur réelle des biens de la nation. Deuxièmement, en permettant à tous les produits d’être vendus en dessous du prix de revient, le rabais étant compensé par des émissions d’argent national.
Le problème est de savoir comment créer plus d’argent sans causer une baisse de la valeur de l’argent ; et la réponse est que l’argent doit être créé en proportion exacte de la vraie richesse dans la communauté, et que des dispositions doivent être prises non seulement pour son émission, mais aussi pour son annulation (son retour à l’organisme qui l’a originalement mis en circulation). Si vous voulez prendre la peine d’étudier attentivement ce sujet, vous verrez que les propositions financières de Douglas ne contiennent aucune menace d’inflation ou de déflation.
Lorsque j’essaie d’expliquer ce système à des amis, ils me disent : « Je ne peux pas trouver l’erreur dans votre argumentation ; mais c’est trop beau pour être vrai. Si ce que vous dites est vrai, alors l’ère de la pauvreté est enfin terminée, et au bout de quelques mois, le monde entrera dans une ère d’abondance universelle ; non, nous avons entendu parler de ces rêves utopiques auparavant ; c’est trop beau pour être vrai ».
Ma réponse à cela : Si, il y a un siècle, on avait annoncé que dans 100 ans, le problème de la production serait résolu, et que l’homme possèderait les connaissances et les machines pour produire en abondance tous les biens matériels qu’il aurait besoin, la plupart des gens auraient ri au nez du prophète et lui auraient dit : « c’est trop beau pour être vrai » Mais c’est devenu vrai ; tout le monde convient que c’est vrai.
Je recommande à votre attention les propositions de Douglas, qui, à ma connaissance, aboutiraient à faire de l’argent notre serviteur plutôt que, comme à l’heure actuelle, notre maître despotique.