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Dictateur Mammon

Louis Even le dimanche, 15 décembre 1940. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

Lorsque les Anglais reçoivent des bombes sur la tête, ou qu'ils voient crouler leurs maisons et éventrer leurs rues, s'en prennent-ils au manque de vertu de leur population, à la dureté de cœur des patrons, à la paresse des ouvriers ? En cherchent-ils la cause dans une loi économique inéluctable, dans un cycle inévitable du calendrier, dans les taches du soleil ? Ne savent-ils pas tous que les bombes leur viennent par les ordres d'Adolf Hitler ?

Nous n'avons pas encore reçu ces messagers allemands au Canada. Mais nous souffrons depuis longtemps de bombardements d'un autre genre. Les coups ne partent pas de la stratosphère et ne frappent pas dans le vide. Point d'abris pour les bombardés. Les blessures, souvent graves, parfois mortelles, les atteignent au vif, jusque dans les foyers où ils essaient d'élever des enfants, jusque dans leurs cœurs d'où ils s'efforcent encore de bannir la haine et les passions de révolte.

Mais il est de bon ton de s'en prendre à ceux qui reçoivent les coups. C'est de leur faute, c'est leur cœur qui est mauvais !

Des volés, mais pas de voleurs ; des victimes, pas de meurtriers !

Surtout qu'on se garde bien d'accuser Mammon et ses grands-prêtres. Il n'y a que des toqués comme Pie XI et les créditistes pour oser dire que "ceux qui contrôlent l'argent et le crédit sont devenus les maîtres de nos vies". Mammon n'existe que dans l'esprit des hallucinés !

Et pourtant...

Le froment abonde, et l'on n'a pas de pain — Mammon !

Les manufactures de chaussures ferment leurs portes, et des pieds restent nus — Mammon !

Les fabricants de vêtements ne peuvent disposer de leurs stocks, et les Canadiens font durer leurs guenilles — Mammon !

Des malades souffrent sans soins médicaux dans des maisons, et des médecins chôment faute de clientèle — Mammon !

Des collèges restent vides et des enfants brillants ne peuvent s'instruire — Mammon !

Des jeunes gens abordent la vie sans avenir, leurs aspirations les plus honnêtes sont stérilisées — Mammon !

Fermes abandonnées, maisons vendues pour les taxes — Mammon !

Hommes de tous âges, de toute formation, de tout entraînement, de tout état de santé, enrégimentés pour les travaux de voirie — Mammon !

L'embauchage par l'État devenu une nécessité, la politique souillée par le patronage — Mammon !

La nécessité du travail prêchée aux Canadiens, pendant qu'on courtise le promeneur étranger — Mammon !

Ouvriers contre patrons ; patrons contre ouvriers ; marchand contre marchand ; rouge contre bleu — Mammon !

Presse contrôlée ; radio monopolisée ; institutions sous la consigne ; salles refusées si l'on y dénonce les puissances d'argent — Mammon !

Gouvernements sans cœur, percepteurs au service des faiseurs d'argent — Mammon !

La vénalité exploitée, la morale piétinée, la piastre adulée — Mammon !

Des lumières sous le boisseau, des lanternes fumeuses sur le piédestal — Mammon !

Course aux marchés étrangers quand les nationaux crèvent de faim — Mammon !

Haines entre nations, activités fébriles pour la destruction — Mammon !

Dévouements immobilisés, œuvres arrêtées, missions éplorées, faute d'argent — Mammon !

Les âmes mises en danger, d'après le Pape, par des conditions économiques et sociales qu'on s'acharne à protéger — Mammon !

Et Mammon règne, imperturbable. Et des êtres qui se disent humains, et des hommes qui se disent chrétiens, s'entre-déchirent bêtement plutôt que de lever un petit doigt contre l'auguste dictateur Mammon !

Louis Even

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