Il en est qui ne digèrent pas facilement le rapport de la Commission de théologiens sur le Crédit Social. Ils auraient tant voulu que le Crédit Social fût du socialisme. Déçus, ils devront chercher un autre cheval de bataille.
Voici justement un des champions du "désordre établi" qui lance un nouveau sous-marin. C'est dans la Tribune Libre du Devoir du 30 novembre que M. J.-A. Descarries, à notre connaissance, essaye une torpille dernière création.
Vous croyiez que le Crédit Social menaçait le trust de "ceux qui contrôlent l'argent et le crédit et sont ainsi devenus les maîtres de nos vies." Pas du tout. C'est la moralité qui est menacée par les créditistes. Le Crédit Social est l'organisation du vol, et ce sont les petits qui vont en souffrir davantage. Adieu la protection que les faibles reçoivent si généreusement aujourd'hui !
Le dépité avoue qui sont les mécontents :
"Ceux qui croyaient le Crédit Social fortement teinté de socialisme, même s'il n'en porte pas tous les caractères, auraient aimé que l'on traitât aussi d'autres aspects de cette doctrine."
Il amorce lui-même la voie. Les théologiens n'ont pas bien scruté. Admis que le Crédit Social ne porte pas TOUS les caractères du socialisme. Mais "le Crédit Social ne prépare-t-il pas un terrain propice aux idées subversives ?" Sans doute que c'est le Crédit Social, qui prépara la Russie, le Mexique, l'Espagne aux idées subversives ? Sans doute lui aussi qui prépara le Canada et les États-Unis aux cellules communistes qu'on y dénonce aujourd'hui ?
Ce sont nos "attaques féroces" contre les banquiers et nos dénonciations de l'asservissement de nos gouvernements aux banquiers qui vont détruire le respect dû à l'autorité et à l'ordre établi. En effet, l'argent n'est-il pas la religion ? Les banquiers ne sont-ils pas les gardiens du Décalogue ?
Redescendant un peu vers le plan qui convient mieux au profane qu'il se dit être, M. Descarries aventure quelques considérations plus purement économiques. Un système monétaire ne peut fonctionner sans confiance ; or, assure-t-il, jamais les hommes d'affaires n'accepteront la monnaie créditiste, et il faudra recourir à des moyens dictatoriaux pour en forcer l'acceptation.
Mais si c'est la monnaie légale ? Qu'est-ce qui nous donne confiance aujourd'hui dans un rectangle de papier ou dans une entrée comptable ? Si les produits sont là, devant le rectangle de papier ou devant l'entrée comptable, cesseront-ils d'y être lorsque le rectangle de papier ou l'entrée comptable seront justement conditionnés d'après la production offerte ?
Monsieur Descarries sait-il ce qui se passe actuellement en Alberta ? Qu'il aille donc se tenir une journée près du comptoir d'un quelconque des 6,000 magasins de cette province (les cinq sixièmes du total) où l'on vend régulièrement contre des entrées comptables originées dans les livres du gouvernement. Il verra quelle confiance on accorde, sans intervention dictatoriale, au crédit provincial, même lorsque ce crédit n'a pas été préalablement changé en dette par le banquier.
M. Descarries s'applique surtout à affirmer que le Crédit Social serait un vol, parce que ce serait l'inflation. Réponse en trois points :
1. Définissez inflation.
2. Définissez Crédit Social ;
3. Tirez la conclusion.
Il est fort possible que le deuxième point l'embarrasse où l'égare ; alors il n'avait qu'à se taire.
M. Descarries peut être sincère en dénonçant une chose qu'il se représente, qui est réellement désordonnée et qu'il prend pour le Crédit Social. Notre vertueux critique serait alors victime de son illusionnement. Le preux Don Quichotte commettait de pareilles erreurs, ce qui ne l'empêchait pas d'être un brave.
M. Descarries voudrait voir la Commission des théologiens revenir sur sa décision : "Est-il nettement prouvé, demande-t-il, que le contrôle de la monnaie et du crédit n'entraînera pas le contrôle de la production ?" (D'où l'on conclurait à une tendance au socialisme d'État.) Il ajoute que les socialistes, bien avant les créditistes, ont réclamé le contrôle du crédit comme moyen d'arriver à leur fin. Facilement mêlé, il confond sans doute contrôle du volume de la monnaie avec contrôle de l'usage de la monnaie, avec propriété de la monnaie.
Lorsque vous installez un flotteur pour contrôler l'alimentation d'un réservoir municipal, de façon qu'il soit toujours plein et jamais débordant, cela veut-il dire que les citoyens devront demander la permission pour boire l'eau fraîche dans un verre ou la faire bouillir pour se préparer une tasse de café ?
Lorsqu'un chauffeur entretient le feu sous une chaudière de façon à maintenir une pression constante de 200 livres, est-ce lui qui contrôle le travail des moteurs, ou n'est-ce pas le travail des moteurs qui détermine la conduite du feu ?
Si l'État distribue un dividende à chaque citoyen, n'est-ce pas chaque citoyen, par l'usage qu'il fait de son dividende, qui contribue pour sa quote-part à déterminer ou orienter la production ?
Qu'on s'intéresse à la moralité, c'est un devoir. Mais il doit être possible de s'enrôler défenseur de la moralité sans pour cela se loger les méninges dans le talon.
Louis EVEN