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Coopération et régime d'exploitation

Louis Even le jeudi, 15 janvier 1942. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

Coopérative de construction d'Asbestos

À Asbestos, seize ouvriers (dont quinze créditis­tes, soit dit en passant) se sont unis en une coopé­rative pour devenir propriétaires.

Brièvement, cela signifie qu'ils coopèrent pour l'achat du terrain, pour l'achat des matériaux au prix du gros, pour le travail de construction qu'ils fournissent eux-mêmes, pour le financement de l'entreprise par un emprunt de la Caisse Populaire et la garantie par une assurance-groupe.

Les 16 coopérateurs économisent donc sur les factures pour les matériaux. Ils économisent aussi du temps : en joignant leur travail, les uns étant plus habiles pour le bois, d'autres pour la plombe­rie, d'autres pour l'électricité, d'autres pour les gros travaux auxiliaires, ils arrivent, dans le même temps, à faire ensemble ce qu'ils ne feraient pas en travaillant chacun pour soi.

Donc, à Asbestos, seize ouvriers, une fois leur journée régulière finie à la carrière d'amiante, au service de la Johns-Manville, consacrent six heures par jour à la construction de seize maisons.

Au bout d'une année ou à peu près, les seize maisons seront construites et occupées : grandes, bien éclairées, situées sur des lots de 95 par 110 pieds. Les maisons seront la propriété collective de la coopérative. Les coopérateurs en seront les occu­pants.

Les coopérateurs occupants verseront à la coopé­rative $5.00 par semaine, pour amortir l'emprunt et payer les taxes et les assurances. Lorsqu'un oc­cupant aura effectué assez de versements pour li­bérer l'hypothèque sur sa maison, la coopérative lui fera remettre un titre clair de propriété. Cela peut prendre en moyenne une quinzaine d'années.

On voit les avantages pour ces ouvriers d'avoir pratiqué la coopération. Outre le développement de l'esprit d'association et de beaucoup d'autres qua­lités connexes, ils réussissent à obtenir une maison à leur goût, avec de l'argent qui, autrement, irait en loyers pour des maisons à moitié convenables, construites pour enrichir un propriétaire plutôt que pour loger une famille nombreuse.

Chacune des seize maisons coûte à son proprié­taire le terrain au prix du gros, le matériel au prix du gros, les frais d'emprunt. Elle ne coûte rien en frais d'entrepreneur, rien en fait de main-d'œuvre, puisque chacun fournit son travail gratis pour construire les seize logements.

Sous un régime d'exploitation

Les coopérateurs ont donc bénéficié de leur co­opération. On ne saurait trop le répéter, parce que la vraie coopération profite toujours à ceux qui la pratiquent.

Mais il reste que cette coopération de seize ou­vriers d'Asbestos est faite sous un régime d'exploitation qui empêche le progrès de servir les hom­mes. C'est cette note que nous allons maintenant faire ressortir, non pas pour jeter le moindre discré­dit sur la valeur de la coopérative, mais pour dé­noncer un système qui, lui, n'est pas à la page.

Voilà seize ouvriers qui constatent l'impossibilité de devenir propriétaires d'une maison pour leur fa­mille par le seul produit de leur travail ordinaire. Leur journée normale de huit heures dans la pous­sière d'amiante, souvent faite au petit jour ou la nuit à l'encontre des lois de la nature, ne suffit pas à leur permettre de se loger convenablement. Il faut qu'en outre, pendant une année, ils fournis­sent chaque jour six heures supplémentaires à la construction.

Ces six heures supplémentaires ne paient pas la maison ; elles représentent la partie main-d'œuvre. Il y faudra encore $20 par mois pendant une quin­zaine d'années.

Donc, un ouvrier peut travailler régulièrement pendant quinze années, et même toute une vie : son salaire ne lui permet pas d'acquérir une maison pour sa famille. Même des ouvriers sobres, honnê­tes et laborieux, comme ces seize coopérateurs d'Asbestos, n'y peuvent compter. Il faut en plus qu'ils bâtissent eux-mêmes, qu'ils bâtissent après leurs fatigues au service du trust.

Pendant ce temps-là, pendant que des mineurs fatigués s'attellent à la construction, des ouvriers spécialisés du bâtiment attendent de l'ouvrage, des machines modernes du bâtiment restent inutili­sées.

Non pas que la coopérative d'Asbestos ait enlevé une minute de travail aux ouvriers du bâtiment. Nous ne disons pas cela, et les syndicats ouvriers de la construction avaient tort de se formaliser de l'initiative d'Asbestos. Le système est tellement mal fait que, sans cette coopérative, les seize mai­sons n'auraient pas été bâties. Les ouvriers du bâ­timent n'ont donc rien perdu du fait de la coopéra­tive. Mais il a tout de même fallu que les coopéra­teurs fassent le soir l'ouvrage d'ouvriers du bâti­ment.

Que penser d'un système qui empêche de profi­ter des avantages de la spécialisation, de l'experti­se des experts, des inventions de la science ?

Les coopérateurs d'Asbestos ont bien fait de prendre ce moyen, à défaut de mieux, comme des prisonniers font bien de prendre des moyens pour améliorer leur sort, même si pour cela ils ne sortent pas de leur prison.

Mais, pour devenir propriétaires, les ouvriers du pays devront-ils donc faire double journée pendant des mois, tout en continuant de payer l'équivalent d'un loyer pendant quinze ans ?

Les possibilités techniques entravées

Il y a sûrement là quelque chose qui fait défaut. Surtout quand on constate que, dans l'espace de deux années, le Canada et les États-Unis, sans pour cela arrêter le reste, sans surcharger les journées de chacun, ont trouvé le moyen de fournir à l'indus­trie de guerre, à l'industrie de la destruction en gros, assez de travail d'hommes et de machines pour représenter la construction d'une bonne mai­son pour chaque famille des États-Unis et du Ca­nada.

En temps de paix, il serait donc possible, dans l'espace de deux ans, sans que personne ait à faire plus que sa journée normale, de loger à neuf toutes les familles du pays. Ce serait possible physique­ment, techniquement. Et cela pourrait se faire si le système financier était au service des besoins des familles en temps de paix, comme il est actuelle­ment au service des besoins de la guerre. Mais, malheureusement, lorsqu'il n'y a pas de guerre, le système financier est surtout au service des trus­tards.

Les chaînes à briser

Tant que la dictature d'argent restera en selle, les meilleures institutions, même les coopératives, ne produiront que des effets bornés, des avantages très durement achetés, malgré les immenses facili­tés modernes offertes par la nature et par la science appliquée.

Est-ce que, dans l'histoire des coopératives, nous ne voyons pas cela : des hommes travaillant le soir, d'autres donnant leur journée pour des salaires de famine, afin souvent de se passer des services d'un expert qu'on trouve trop dispendieux ?

Ce n'est pas du service qu'on se plaint générale­ment lorsqu'on établit une coopérative, c'est du prix, c'est de la disparité entre ce que ça coûte et ce qu'on est capable de payer. Au lieu de s'en prendre à l'insuffisance du pouvoir d'achat et à sa cause, on se groupe pour se passer du service ou pour le rem­placer par un travail surérogatoire. Progrès ?

Nous ne faisons pas ces remarques pour les co­opérateurs d'Asbestos, parce que ces mêmes gens, qui se sont groupés pour s'arracher dans les cir­constances actuelles, savent très bien ce que nous écrivons, et furent parmi les premiers à se grouper dans la grande association créditiste qui va mettre de l'ordre dans le secteur financier.

Mais il faut bien l'admettre, dans les activités coopératives conduites jusqu'ici, c'est surtout l'in­termédiaire — souvent un service techniquement bien rendu — qui a disparu du tableau. Le dicta­teur de l'argent, celui qui, par le système qu'il con­trôle, maintient l'insuffisance du pouvoir d'achat, lui n'a pas été dérangé.

Les créditistes comprennent cela. La coopération est en honneur chez eux. Mais ils veulent faire ser­vir cette coopération à s'affranchir de la dictature de l'argent. C'est une coopération pour briser les chaînes qu'ils prêchent.

Les créditistes n'ont point du tout l'intention d'organiser un monde où il faudra allonger les jour­nées de labeur pour avoir le droit de mener une vie honnête. Ils n'ont point l'intention de se priver de la spécialisation des techniciens, bien au contraire. Dans le monde qu'ils préparent, ceux qui savent bâtir bâtiront ; ceux qui savent donner un bon ser­vice au comptoir continueront. Chacun bénéficiera de l'expertise des autres. L'accumulation des occu­pations pénibles, la suppression des loisirs (activi­tés libres) n'est pas un fruit du progrès, c'est le si­gne de l'esclavage.

La coopérative d'Asbestos associe seize hommes intelligents pour tirer le plus grand avantage pos­sible de leur association, dans les limites artificiel­lement posées par le système. Ils sont seize : l'asso­ciation profite à seize. C'est assez pour améliorer le sort de seize, ce n'est pas assez pour les libérer des entraves, encore moins pour libérer tout un peuple d'une dictature qui tient tout dans le creux de la main.

Avec la même philosophie basique de coopéra­tion, le Crédit Social associe un nombre beaucoup plus considérable, tout un peuple, pour accomplir la grande libération, pour permettre à tous et à chacun de tirer avantage du progrès. C'est cette coopérative-là qui manquait, c'est elle que nous travaillons à établir.

Louis Even

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