Je suis un manufacturier. Je désire agrandir mon établissement, ou bâtir une nouvelle usine. Je suis capable de conduire une entreprise, de combiner des plans, de faire travailler du monde, de vendre. Mais il me manque de l'argent pour bâtir et placer des machines.
Qu'est-ce que je vais faire ? Je vais emprunter. Où ? À la banque. Je me présente au gérant d'une succursale de Québec, disons, et je lui demande $100,000.
Le gérant va examiner mon cas. S'il le juge bon, il va exiger des garanties, me faire signer un billet, une promesse de rembourser dans un an, intérêt à 7 pour cent.
Le gérant me donne ce qu'on appelle un chèque d'escompte. Je vais au guichet du caissier. Je lui présente ce chèque après l'avoir endossé.
Le caissier me demande si je veux emporter l'argent avec moi. Oh ! non. Pas une grosse somme comme ça. Je suis un homme d'affaires. C'est avec l'argent de chiffres, avec des chèques que je fais mes affaires. Un bon compte de banque de $100,000, c'est tout ce que je veux. Rendu à mon établissement, je ferai des chèques pour payer ce que je voudrai, qui je voudrai, où je voudrai, même à Vancouver, à mesure de mes besoins.
Le caissier prend son grand-livre, son ledger, m'ouvre un compte si je n'en ai pas encore et place à mon crédit $100,000.
Il écrit $100,000 dans mon compte, à la même place où il l'aurait inscrit si j'avais apporté $100,000 à la banque.
Mais je n'ai pas apporté une seule piastre à la banque, je suis venu en chercher. Pourtant le banquier écrit $100,000 tout comme si je les lui avais apportées.
Voilà qui me paraît un peu étrange. Les $100,000 ne sortent pas de ma poche et ils entrent quand même dans mon compte. La curiosité me prend de savoir d'où viennent ces $100,000. Je vais demander au banquier :
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— Monsieur le banquier, seriez-vous assez bon de me donner un renseignement ?
— Avec plaisir, Monsieur.
— Ces $100,000, ce n'est pas moi qui les ai apportées.
— Je le sais.
— Lorsque je dépose mes épargnes, moi, Monsieur le banquier, je prends l'argent que j'apporte et je vous le passe. L'argent sort de ma poche et vous grossissez mon compte.
— Parfaitement.
— Mais cette fois-ci, vous avez grossi mon compte sans que ma poche diminue !
— Oui. Cette fois-ci, c'est la banque qui se charge de grossir votre compte à votre place en vous prêtant ces $100,000.
— La banque grossit mon compte, c'est ce que je vois. Mais lorsque mon compte a grossi, où est-ce que ça a diminué ?
— Que voulez-vous dire ?
— La banque grossit mon compte de $100,000. Est-ce que le tiroir de la banque a diminué de $100,000 ?
— Pas du tout. Je n'ai pas ouvert le tiroir. Je n'ai pas touché une seule piastre de papier. J'en ai dans le tiroir, mais vous ne m'en avez pas demandé.
— S'il vient un autre emprunteur par derrière moi et qu'il vous demande $200,000, comment allez-vous faire ?
— Comme pour vous.
— Et l'argent restera tout dans votre tiroir ?
— Mais oui. Vous tirerez des chèques sur votre compte. Si quelqu'un présente vos chèques et demande des piastres de papier, je lui en passerai. S'il dépose simplement son chèque, j'augmenterai son compte, tout en diminuant le vôtre d'autant.
— Y a-t-il beaucoup de monde qui demande des piastres de papier ?
— Tout ensemble, l'argent de papier sortant et rentrant, et beaucoup de monde déposant simplement leurs chèques, ça me prend à peu près $1,000 pour répondre de $10,000 prêtées.
— Comme ça, Monsieur le banquier, mon compte a grossi sans que votre tiroir diminue.
— Comme vous dites.
— Mais où est-ce que ça a diminué quand vous avez grossi mon compte ? Y a-t-il un dépôt de vos clients qui a diminué ?
— Pas du tout.
— Qu'est-ce qui a diminué ?
— Rien du tout.
— Comment expliquer cela, que mon compte grossit sans que ca diminue nulle part ? D'où vient-il, cet argent-là ?
— De nulle part.
— Où étaient-ils donc, les $100,000, il y a une heure, quand je suis entré ici ?
— Ils n'étaient nulle part. Ils n'existaient pas.
— Et à présent ?
— Ils sont là, dans le livre, à votre crédit.
— Alors ils existent maintenant ?
— Bien certainement.
— Comme ça, cet argent-là vient de venir au monde ?
— Il vient de venir au monde.
— Qui est-ce qui l'a mis au monde ?
— Moi-même, en écrivant $100,000 dans votre compte.
— Comme ça, Monsieur le banquier, vous faites l'argent ?
— Je fais l'argent de chiffres, l'argent moderne, celui qui fait marcher l'autre, le meilleur argent du pays.
— Qui fait cela, à part de vous ?
— Personne.
— Qui est-ce qui vous a permis de faire cela ?
— Le gouvernement fédéral, par la charte de la banque.
— Et lui, le gouvernement, il ne peut pas faire la même chose ?
— Le gouvernement ne fait pas l'argent. Lorsqu'il en veut et qu'il n'en trouve plus dans le pays, il vient à la banque. Il signe des débentures avec sa plume, et le banquier, lui, fait l'argent avec sa plume.
— Mais il faut de l'or pour répondre de l'argent !
— Vous croyez encore cela ! Avez-vous vu de l'or entrer par la porte ou le châssis quand je vous ai fait ces $100,000 ? Lorsque vous rembourserez, je supprimerai ces $100,000 et l'or ne sortira pas pour cela.
— Mais qu'est-ce qui répond de cet argent ?
— La production que vous avez promis de faire. Puis la confiance que les gens se font les uns aux autres en acceptant cet argent. C'est vous autres qui faites la vraie valeur de l'argent, et vous êtes assez simplistes pour laisser au banquier la manufacture et la propriété de tout l'argent !
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Voilà donc où l'argent vient au monde. L'argent vient au monde à la banque lorsque la banque prête de l'argent.
Et le banquier ne donne pas l'argent qu'il fait avec sa plume. Il prête l'argent. De sorte que l'argent que le banquier fait est une dette. Une dette qu'il faut rembourser au banquier plus grosse que l'argent que le banquier a fait.
À moi, le banquier commence par ôter les $7,000 d'intérêt. Il ne me reste que $93,000 à mettre dans le pays en faisant mes paiements. Mais d'ici un an, il faudra retirer $100,000 du pays où j'en ai mis 93,000, même si le banquier n'y a pas mis tous les 7,000 qu'il a retenus.
Au gouvernement, le banquier fait avec sa plume, disons $80,000,000, comme en octobre 1939. Dans deux ans, le gouvernement doit tirer $83,200,000 du pays où il aura mis $80,000,000.
Et toujours comme ça. Pas une piastre nouvelle n'entre dans la circulation autrement que par le guichet de la banque, et à chaque fois, c'est une piastre prêtée, qui doit rentrer grossie.
Comme personne d'autre que le banquier ne fait l'argent, il est bien difficile de rentrer plus d'argent qu'il en est sorti.
Aussi, des emprunteurs ne peuvent pas rapporter : ça fait des dettes, ou des banqueroutes, ou des hypothèques à peu près éternelles.
Le gouvernement, lui, ne fait pas banqueroute, mais il reste avec une hypothèque éternelle qui grossit toujours et qu'on appelle dette publique.
L'argent peut bien être rare quand on n'est pas capable d'en avoir sans le condamner à mourir par le remboursement, et à mourir plus gros qu'il est venu au monde. Il n'y en aurait pas du tout de reste en circulation, sans les dettes et les banqueroutes qui représentent de l'argent en retard à mourir.
Voilà un beau système dans un monde où la production est si facile et si abondante.
Le banquier n'emprunte jamais parce qu'il fait l'argent. Si le gouvernement faisait l'argent, il n'emprunterait jamais. Il taxerait quand c'est possible ; il ferait de l'argent nouveau quand il n'y en aurait pas assez pour les activités particulières et publiques.
Mais ce serait un gouvernement libre. Le système ne veut pas. Il faut un banquier maître et un gouvernement esclave. C'est la bancocratie.
Le banquier est le maître du niveau de vie du pays, puisqu'il règle lui-même le niveau de l'argent en le faisant et en le détruisant.
Le pape disait bien vrai : Ceux qui contrôlent l'argent et le crédit sont devenus les maîtres de nos vies.
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C'est donc au système d'argent fait par le banquier qu'il faut attribuer toutes les privations imposées aux familles alors que les magasins débordent ; le chômage des hommes et des jeunes gens alors qu'on a tant besoin des produits du travail.
C'est pour cela que les gouvernements ne peuvent administrer pour le bien du monde. Ils passent leur temps à chercher de l'argent là où il n'y en a pas, pour le banquier qui ne fait que le capital et demande capital et intérêt. Le banquier est en haut, le gouvernement est en bas.
C'est pour cela que tout est de travers. Pour cela qu'on supplie les touristes étrangers de venir manger nos meilleurs produits pour nous permettre de manger le reste. Pour cela qu'on nous dit d'exporter, de sortir du pays plus de choses qu'on y laisse entrer. Pour cela qu'on pousse les produits au-delà des frontières au lieu de les pousser dans les maisons des Canadiennes. Pour cela que tous les pays se chicanent pour les marchés étrangers, qu'ils en font une question de vie et de mort et qu'ils finissent par se faire la guerre.
Voilà un système inhumain, illogique, absurde, criminel, diabolique. Il faut changer ça et au plus vite. Comment ?
(À suivre)