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Chapitre VI

H. M. Murray le dimanche, 01 janvier 1933. Dans Principes de Crédit Social

Escamotage du Pouvoir d'achat. Conséquences. Misère. Considérations diverses

En résumé, l'effet général du système actuellement existant est d'abstraire du consommateur une certaine quantité de son pouvoir d'achat et de la destiner à une production nouvelle. Mais ceux dont ce pouvoir d'achat est abstrait ne reçoivent aucune part dans la nouvelle production.

Théoriquement, une plus grande production devrait aboutir à une plus large distribution de marchandises à chacun. Mais la théorie ne peut pas s'appliquer en pratique, parce que le procédé d'abstraction est continu, la création de nouveaux crédits étant continuelle, et parce que le système financier ne pourvoit pas à la restitution, à ses propriétaires légitimes, du pouvoir d'achat ainsi extorqué.

Le pouvoir d'achat escamoté du public est destiné à la production d'immobilisations — installations, machines, outillages, — ou de marchandises destinées à l'exportation. D'abord, et parce que escamoté, ce pouvoir d'achat n'appartient donc plus au public ; en conséquence, la production par ce moyen, de marchandises que le public désire n'a plus de sens, étant donné que le public ne peut pas les acheter. Secondement, parce qu'étant émis comme prêt aux producteurs, les matières produites par son moyen doivent être préférablement d'un type tel qu'elles constituent une bonne garantie pour les prêts. Les capitaux immobilisés, — installations, bâtiments, machines, etc., — ont une bonne valeur de garantie aux yeux des banques ; les marchandises produites pour l'usage individuel ou la consommation n'en ont qu'une très médiocre ou n'en ont pas du tout.

Les banques ont établi la permanence de ce système et l'absence de contrôle sur les prix aidant, le développement des capitaux immobilisés s'effectue, en conséquence, aux dépens des marchandises consommables, la seule espèce de marchandises dont nous, en tant qu'individus, avons besoin ou désirons. Il est à peine besoin de dire que la seule justification de la production ne devrait être que la satisfaction des besoins personnels de l'individu. Nous produisons donc une excès de fabriques, d'usines, de machines et d'installations, plutôt qu'un excès de choses essentielles ou même utiles à la vie. Nous accumulons des montagnes de capitaux qui ne nous produisent qu'une misérable souris de marchandises en retour.

Les usines, les machines sont assurément indispensables au monde moderne et, convenablement utilisées, peuvent devenir les moyens de nous rendre économiquement libres. Mais leur production doit rester dans un rapport normal à la production de marchandises d'usage courant répondant aux besoins des individus, ou de choses d'agrément, sinon tout l'objet de l'industrie est faussé ; et il devrait être évident à l'observateur le moins averti qu'il en est bien ainsi aujourd'hui.

Ce constant escamotage de pouvoir d'achat par la création de nouveaux crédits maintient la masse de la population à un niveau perpétuel de pauvreté. La pauvreté oblige les hommes à la concurrence pour une place dans le système productif, l'argent n'étant distribué que par les canaux de la production et la vie n'étant possible dans les pays civilisés que si l'individu possède de l'argent.

Cette concurrence maintient les salaires à un niveau très bas. L'on dit bien aux travailleurs que s'ils travaillaient davantage il y aurait abondance de biens pour tout le monde. Cela semble plausible. Mais l'illusion trompeuse réside dans le fait que les marchandises qu'on leur demande de produire ne sont pas du genre de celles dont ils ont besoin. Ils ont besoin de nourriture, d'habillements, de maisons, de confort et de quelques plaisirs. Au lieu de cela, on les emploie à construire des bateaux, des chemins de fer, des routes, des usines, des machines, des outils, toutes choses bonnes en soi, bien entendu, mais totalement incapables de satisfaire aucun besoin humain, en admettant que ceux qui produisent ces biens pourraient consommer tout ce qu'ils produisent, et nous avons vu qu'ils ne le peuvent pas. Il sera assez tôt de multiplier les machines lorsque celles qui existent seront incapables de satisfaire à la demande réelle des consommateurs, mais pas avant. L'on ne devrait pas être obligé de répéter cette vérité d'évidence que la seule façon d'augmenter la quantité de choses nécessaires à la vie, utiles ou même agréables, est de se mettre à produire CES choses, et aucune autre... Mais les économistes sont si hypnotisés par les conditions imposées par les banquiers à l'industrie ; ils sont si occupés à perfectionner la machinerie du système sacro-saint actuel, considéré comme intangible et infaillible, que peu d'entre eux sont capables de distinguer l'évidente vérité.

Cette promesse de biens futurs qui est faite aux travailleurs, ne leur est faite que pour les maintenir au travail. Mais la promesse n'est jamais tenue, pour la raison donnée plus haut du constant escamotage de pouvoir d'achat par la création constante de nouveaux crédits de banque. Il n'est pas étonnant qu'en conséquence, elle perde beaucoup de sa valeur et manque son effet.

Le développement des capitaux immobilisés, dans le système actuel, appauvrit le pays en éliminant la main-d'œuvre dans l'industrie et en maintenant les bas salaires, ce qui réduit le pouvoir d'achat de la classe ouvrière et restreint le marché national pour les marchandises produites. Le résultat est non moins dangereux pour la Nation à l'extérieur, car cela l'oblige à rechercher des marchés étrangers de plus en plus grands, capables non seulement d'absorber le surplus de la production qui ne peut être acheté par la Nation, — et ce surplus augmente à mesure que l'usage des machines se développe, — mais encore d'une nouvelle quantité de production qui a pour objet de donner du travail à la main-d'œuvre récupérée par l'usage des machines.

Ainsi, il est vrai dans un sens de dire que le capitalisme est l'ennemi. Mais c'est le capitalisme mal dirigé par la Finance. Le portrait que le Socialisme fait du Capitaliste comme d'un monstre qui se plaît à croquer et à broyer dans ses puissantes mâchoires la figure des pauvres, est une simple caricature. Le soi-disant Capitaliste, — le patron, l'employeur de main-d'œuvre, — n'a aucune objection à payer des salaires élevés, pourvu que cela ne l'empêche pas de vendre ses marchandises rapidement et à un prix rémunérateur.

Cela fut surabondamment prouvé pendant la guerre. Plus il contente ses employés et mieux il s'en trouve lui-même, du reste. Et c'est un fait que la différence entre les salaires payés par les meilleurs employeurs et par les moins bons est si petite, que cela ne vaut pas la peine de s'y attarder. Tous les patrons sont à la merci de forces en dehors de leur contrôle. Le contrôle appartient à la Finance : le financier occupe le siège suprême de la puissance. Les Gouvernements se contentent d'enregistrer ses décrets, ou s'occupent d'affaires indifférentes, de billevesées qui laissent son pouvoir intact.

Le patron capitaliste ne s'occupe pas de savoir qui reçoit ses marchandises. Riches ou pauvres, amis ou ennemis, tous lui sont indifférents sous ce rapport. La seule chose qui importe pour lui est de recouvrer ses frais en entier et de faire un bénéfice quelconque, pour la simple raison que s'il n'en fait pas, ses affaires tournent mal et il cesse d'exister comme unité économique. Payez-lui ses frais, et il ne s'occupe pas le moins du monde de savoir qui reçoit et consomme sa marchandise, qu'elle soit volatilisée en l'air ou envoyée au fond de la mer. Il préférerait peut-être qu'elle soit employée à quelque fin utile. Mais tant que l'importance de son revenu dépend de l'importance de ses ventes, et tant que le système financier rend plus difficile pour lui la vente de ses marchandises que leur fabrication, il verra avec satisfaction toute forme de destruction ou de gaspillage qui en augmentera la demande, pour autant qu'il en soit payé. Il serait plus qu'humain s'il pensait autrement.

Il en va de même de l'ouvrier. Le travail étant sa seule source de revenu et toute nouvelle machine diminuant la demande pour ses services, il verra toujours d'un bon œil tout gaspillage et toute destruction qui crée une demande nouvelle pour ses services et son travail.

Quiconque paie les frais du capitaliste reçoit ses marchandises. Si la communauté veut bien les payer, comme cela devrait être, le capitaliste, avec la meilleure bonne volonté du monde, produira les objets de luxe aussi bien que les objets de première nécessité, en quantités étonnantes, suffisantes pour rendre chacun riche, et cela aussi vite que nous voudrons bien lui passer nos ordres.

L'employeur de main-d'œuvre, le patron moderne, n'est guère autre chose, de nos jours, qu'une sorte d'intendant qui gagne sa vie en appliquant une politique qui lui est dictée par la Finance, son maître. Il est probablement inconscient de ce fait, et il affirmera peut-être en toute bonne foi que sa politique lui est personnelle. Cela peut paraître vrai ; mais il y a deux choses qu'il ne faut point perdre de vue :

  1. Les hommes, quels que soient leurs goûts et leurs inclinations, choisissent inévitablement les affaires ou les occupations qui leur rapportent de l'argent peu ou prou, et laissent de côté celles où il n'y a rien à gagner. Une affaire appartient à l'une ou l'autre de ces catégories selon que les banques lui consentent ou non du crédit ;

  2. Un homme, dans les affaires, doit se tracer un programme, une politique conformes à ce qu'il pense devoir lui donner un rendement profitable ; et ceci encore est déterminé en direction et en volume par le crédit qu'il obtiendra.

L'on peut, par des moyens politiques ou autres, déposséder le patron, le chef d'entreprise, du capital qu'il dit être le sien, sans rien changer à la politique qu'il poursuit. L'on peut nationaliser l'industrie, nationaliser la banque même. Mais tant que les canons de la Finance moderne seront observés et tenus pour infaillibles, les maux que l'on identifie avec le capitalisme subsisteront. Et le canon de la Finance moderne responsable de tout le mal est celui qui veut que tous les frais de la production soient récupérés dans les prix.

C'est un axiome financier et commercial qu'il faut combattre et détruire. A aucun moment il n'existe suffisamment d'argent dans la poche du consommateur pour payer tous les frais en entier, étant donné qu'une bonne partie de ces frais consiste en dépenses passées. En acceptant cet axiome erroné, nous devons logiquement en accepter tout ce qui en découle : commerce déprimé, grèves et troubles, chômage, pauvreté, guerre, toute la trame des problèmes sociaux et politiques qui sont le cauchemar du monde.

Un travail acharné, la bonne volonté, le sacrifice, l'économie, l'épargne, — tous remèdes présumés tenus en haute estime par la Presse et les orateurs officiels du Parlement, — sont sans pouvoir aucun pour guérir ce qui est, après tout, une erreur de comptabilité, car toute Finance n'est autre chose que de la comptabilité.

Des entrées incorrectes ont détruit l'équilibre de la balance entre les prix et le pouvoir d'achat.

Seules, des entrées nouvelles, destinées à corriger ces erreurs, peuvent restaurer cet équilibre avec, bien entendu, les opérations financières pour lesquelles ces entrées seront faites.

 

H. M. Murray

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