Nous publions ici des extraits du message de Louis Even adressé aux créditistes au début de janvier 1949. Les paroles de notre vénéré et regretté fondateur sont toujours à point. Nous sommes assurés que, du haut du Ciel, notre bien-aimé Louis Even continue de diriger le combat contre la Haute Finance et qu'il nous adresse le même message pour l'année 1996. Mettons en pratique ses enseignements.
par Louis Even
Un véritable créditiste ne peut pas garder pour lui le trésor de lumière qu'il a reçu. Il n'en n'a pas le droit non plus. Puis, quand bien même il contemplerait et désirerait un régime qu'il sait immensément plus humain et plus chrétien que le régime actuel, il n'en verra jamais la réalisation, ni lui ni ses descendants, si l'idée doit rester confinée dans l'esprit de ceux qui la possèdent.
Non seulement faut-il comprendre et faire comprendre le Crédit Social, mais il faut aussi mettre en action les forces nécessaires pour l'obtenir. Dans Vers Demain, on explique que les forces ennemies ont actuellement l'offensive et occupent les places de commande. Jamais des bras croisés ni des lamentations en viendront à bout.
Il est puéril de penser aussi qu'on peut triompher des puissances d'argent ou des machines politiques en amassant des fonds électoraux et en montant une machine de même espèce. L'adversaire peut toujours garder le dessus dans ce domaine. Mettez-y ce que vous voudrez, il peut toujours y mettre bien davantage. Doublez votre apport ; il quadruplera le sien sans peine.
C'est ailleurs qu'il faut déployer ses énergies.
Les lecteurs de ce journal, et surtout vous, chers Collaborateurs qui avez travaillé à le bâtir, vous savez mieux. Depuis longtemps, vous savez que c'est par des électeurs éclairés qu'on fera cesser l'exploitation politique de l'ignorance ; et c'est par des hommes debout qu'on vaincra la politique de vendus.
Pour cela, il faut aller au public, puisque c'est par l'exploitation du public que l'adversaire se tient en selle.
Aller au public. Voici tant d'années qu'on y va, sont tentés de dire quelques-uns, et nous ne trouvons chez lui qu'ingratitude et humiliation.
Nous avons entendu de nos oreilles, et même lu en toutes lettres, des réflexions du genre :
"Je suis bien pour la cause, et je m'en suis déjà occupé. Mais le public est trop bête, il ne mérite pas qu'on s'occupe de lui. Pour moi, j'ai fini ; je souhaite la chance à d'autres, mais je suis dégoûté".
Quand bien même ce serait vrai que le public est bête, ingrat, apathique, prêt à se vendre au plus offrant qu'est-ce qu'on gagnera à l'abandonner à tous ses défauts ? Serait-il mieux quand on cessera d'aller à lui ?
Si le public était alerte, décidé, immunisé contre la corruption politique, c'est lui qui viendrait à nous. Mais s'il est insouciant, lâche ou vénal, c'est justement pour cela que nous devons aller à lui.
Pourquoi Notre-Seigneur est-Il venu sur la terre, sinon parce que le monde était bien loin de Dieu ? Et Notre-Seigneur a-t-Il trouvé tant de reconnaissance et de fidélité, après avoir fait tant de chemin et tant de sacrifices pour la multitude ? Est-ce qu'Il ne perdit pas son élection lorsque le peuple eut à choisir entre Lui et le bandit Barrabas ? Même avant ce jour-là, combien de fois ne fut-Il pas délaissé ou chassé par ceux pour lesquels Il se donnait tout entier ? S'Il avait abandonné la partie, s'Il était retourné à son Ciel, parce que le public était trop ingrat, trop corrompu, trop lâche, où en serait la Rédemption aujourd'hui ?
Ce n'est pas pour lui-même, pour des récompenses personnelles que le créditiste va à ses frères.
La joie du véritable ami du peuple est dans le dévouement pour lui, non pas dans la récompense par lui. S'il faut se réjouir quand on constate une bonne réponse de la part du public, ce n'est pas parce que cela peut nous rendre la tâche plus douce, mais parce que la lumière a éclairé des esprits, parce que la vérité a touché des cœurs. Et l'on continue de toutes ses forces, parce qu'il reste encore beaucoup à faire.
La première dictature à vaincre par des amants de la liberté, c'est la dictature de la paresse, la dictature de l'embourgeoisement. Comme le dit si bien Gérard Mercier, dans les vigoureuses allocutions qu'il fait à des travailleurs capables de comprendre, le plus grand ennemi du progrès de notre mouvement créditiste, c'est notre carcasse à nous, créditistes. C'est cette inclination au facile qui est en chacun de nous et qu'il faut secouer, si l'on veut aller aux conquêtes.
Que sera l'année qui commence (1996) pour le Crédit Social ? Elle sera ce que les créditistes eux-mêmes s'acharneront à la faire. Les adversaires peuvent semer des obstacles, mais ils ne peuvent jamais décider un Créditiste à cesser la lutte. Lorsqu'il cesse c'est lui-même qui le décide, pas l'adversaire.
La lutte — il y a de l'action dans la lutte. De l'action, donc de la vie. Mais cette vie-là ne s'entretient bien qu'avec la vision d'un grand idéal et avec le feu d'un grand amour pour son prochain. Cet idéal, vous l'avez dans votre esprit de créditiste ; cet amour, vous l'avez dans votre cœur de chrétien.
Je vous passe six vers de Victor Hugo, que j'ai cueillis dans le journal du Mouvement Français de l'Abondance :
Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un destin ferme emplit l'âme et le front ;
Ceux qui, d'un haut destin, gravissent l'âpre cime ;
Ceux qui marchent pensifs, épris d'un but sublime,
Ayant devant les yeux, sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque saint labeur, ou quelque grand amour !
Vive le Crédit Social et vivent les créditistes !