Nous revenons maintenant à la définition essentielle du Crédit Social. C'est, avons-nous dit, l'organisation scientifique et rationnelle du système monétaire, au moyen du cœfficient de prix et du dividende individuel.
Expliquons les principaux termes de cette définition.
Genre prochain : organisation scientifique et rationnelle.
Différence spécifique : au moyen du cœfficient de prix et du dividende individuel.
La science, subjectivement prise, est la connaissance des choses par leurs causes ; objectivement, c'est un ensemble de conclusions déduites de principes certains.
Il ressort de ces définitions qu'une organisation scientifique est une organisation rigoureusement et prudemment ordonnée, qui procède à la lumière de principes certains ; elle règle un problème, parce qu'on a bien déterminé l'état de la question, qu'on en a distingué les différents aspects, toujours dans la lumière des causes et de la fin, en soupesant les moyens proportionnés à cette fin.
Donc une organisation vraiment scientifique, de par sa définition même, doit éviter les écueils de l'empirisme, du charlatanisme, de l'aventure. Je dis de l'aventure en ce que ce mot a de hasardeux, de capricieux, d'imprécis et de léger ; car enfin toute grande vie, comme toute grande action, est en un sens une aventure et rien de fécond n'est produit sans un minimum de risques. Et, en ce sens, une belle vie est le plus noble des risques.
On peut s'aider à comprendre ce point de notre définition par son antithèse, son repoussoir, sa réplique à l'envers, le système monétaire actuel. Connaissez-le à ses effets : il passe sans cesse de l'inflation à la déflation, de la surpression à la dépression, de l'exaltation morbide de la fièvre à la stagnation impuissante de la prostration.
Il ne peut aller à un train convenable que dans les brancards d'une économie dirigée. C'est là l'échéance fatale : un socialisme plus ou moins camouflé, du collectivisme sous une forme ou sous une autre. Les financiers fermement orthodoxes s'en défendent en s'accrochant désespérément à leurs principes périmés, aux causes qui mènent sûrement à cet effet. Ils imitent l'homme qui chercherait à s'élever au-dessus de lui-même en se tirant par les cheveux. Voilà pour les purs.
D'autres orthodoxes, au contraire des précédents, ne sont pas enfermés, par leur labeur, dans l'étroit secteur d'une institution financière quelconque, mais sont à la tête des affaires de la nation, et ainsi ils sont plus à même de tâter le pouls de l'économique, de la vie sociale et nationale. Ceux-ci, sandwichés entre les exigences de la vie, du réel, et la rigidité de leurs théories désuètes, ne peuvent pas ne pas céder un brin à la vie. Ils cèdent donc ; mais comme c'est sous la pression d'un opportunisme aventureux, et non pas dans un renouvellement d'esprit et une revision nécessaire de leurs principes, ils donnent dans l'économie dirigée.
Qu'importe le socialisme, le collectivisme en germe, en devenir ! L'esprit moderne est sauf, esprit anthropocentrique et antipersonnaliste. Voilà le principal ! N'importe quelle solution plutôt que la libération de la personne humaine. Mieux valent tous les risques que celui-là. Tout, pourvu qu'on ne fasse pas confiance à l'homme, aux énergies de rédemption et de création qu'il porte en lui.
Et, nous le disons avec tristesse, certains qui se croient souvent des partisans éclairés de l'Économie Nouvelle et qui ne sont que des réformateurs très superficiels, matériellement plutôt que formellement, donnent aussi tête baissée dans l'économie dirigée. Dès groupes même, qui se croient les plus éclairés de la nation, les plus prudents, les plus pondérés, ne peuvent nous suivre parce que nous ne voulons pas d'économie dirigée, au moins comme idéal à poursuivre.
Ces gens devraient pourtant savoir qu'une économie dirigée et une économie organisée sont des choses bien différentes. Certains, par inadvertance, feraient-ils de cette distinction une simple tautologie, une distinction de raison raisonnante ?
Plusieurs, dans tous les cas, tout en se croyant pour une économie organisée simplement parce qu'ils prônent les corporations, oublient que partout où l'on a présentement un régime corporatif, on vogue en pleine économie dirigée. De telle sorte que le corporatisme y est appliqué par en haut ; on ne le vit pas, on l'a revêtu à la façon d'un costume standard dans lequel on force l'économie des nations à pénétrer. Ce n'est certes pas là le corporatisme que promet une saine philosophie de l'économique ; celle-ci demande, en effet, que les organes économiques d'une nation ne soient pas des greffes, si habiles soient-elles, mais lèvent comme naturellement des exigences de la vie économique, en se conformant à la taille exacte de l'entité économique au sein de laquelle ils naissent.
Pas de la légalité, mais de la vie d'abord !
Ces pseudo-réformateurs, dans leur générosité naïve, sont également prêts à toutes les concessions, pourvu qu'on puisse encore "contrôler" (passez-moi l'anglicisme) l'homme par l'argent. Donc, en fin de compte, encore de l'économie dirigée, et plus facilement et désastreusement encore, puisqu'on aurait un corps bien organisé entre les mains. On veut un sang économique qui mène les organes au lieu de les alimenter, paralysent les hommes au lieu de les libérer. Nous préférons l'euphorie d'un organisme dans lequel les organes et le sang s'harmonisent, dans le rythme vivant de fonctions complémentaires.
Nous pouvons conclure, après cette digression nécessaire, que le système monétaire actuel n'a rien de scientifique et va à l'aventure.
La rationalisation d'une entreprise, c'est son organisation de façon à ce qu'elle produise plus, mieux et plus vite, avec le moins de dépense possible de matériel et d'énergie ; elle consiste donc à tâcher d'atteindre la fin de l'entreprise de la façon à la fois la plus efficace et la plus économique possible.
Ainsi l'organisation rationnelle du système monétaire signifie une organisation grâce à laquelle le système monétaire atteigne le plus efficacement son but : la distribution des biens, et grâce à laquelle il l'atteigne le plus économiquement possible, sans gaspillage du signe monétaire par l'inflation, et sans gaspillage de la richesse réelle par la déflation. Équilibre et proportion.
Qu'on compare encore avec le système monétaire actuel. Ce sera, de nouveau, une illumination par l'absurde.
D'ailleurs, et c'est une remarque capitale que l'expérience confirme sans cesse, ceux qui veulent bien comprendre le Crédit Social doivent d'abord connaître ce qu'est le système monétaire actuel, incommensurable stupidité. Ce sera pour eux un "éveil d'entre les songes". Et comme ce n'est là qu'un réveil, ils se trouveront au cœur de la nuit étoilée, de la nuit encore, mais enfin une nuit étoilée. Ensuite, qu'ils étudient le Crédit Social, et ils marcheront vers l'aurore, vers la lumière.
C'est dire que cette série d'articles contribuera à éclairer surtout ceux qui connaissent le système actuel, donc ceux qui ne l'ont pas seulement étudié dans les traités orthodoxes.
Nous traiterons, dans le prochain article, de la différence spécifique du Crédit Social, i. e., du coefficient de prix et du dividende.
(A suivre)