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«C’est le christianisme appliqué»

Alain Pilote le mardi, 01 octobre 2024. Dans Crédit Social

Ceux qui n'aiment pas les explications trop longues ont déjà demandé à Clifford Hugh Douglas, l'inventeur de la solution de la Démocratie Économique, comment il pouvait la résumer en quelques mots : « Très facile, répondit-il, je peux le faire en deux mots : christianisme appliqué. »

Est-ce exagéré ou prétentieux de dire que la Démocratie Économique est le christianisme appliqué ? Pas si on a étudié et comparé les deux, la Démocratie Économique et la doctrine sociale de l'Église. La doctrine sociale de l'Église, c'est un ensemble de principes moraux portant sur la justice sociale, développés depuis le pape Léon XIII jusqu'à aujourd'hui, sur lesquels doit être jugé tout système économique et financier.

Et afin que ces principes soient appliqués de manière concrète, l'Église fait appel aux fidèles laïcs — dont le rôle propre, selon le Concile Vatican Il, est justement de renouveler l'ordre temporel et de l'ordonner selon le plan de Dieu — pour travailler à la recherche de solutions concrètes et l'établissement d'un système économique conforme aux principes de cette doctrine sociale.

Louis Even, de 1935 à 1974, n'a pas manqué d'expliquer les grands textes des papes de son époque sur le sujet, spécialement Pie XI et Pie XII. Et plus récemment, les sessions d'étude préparées par Alain Pilote, contenues dans le livre La Démocratie Économique vue à la lumière de la doctrine sociale de l'Église, complètent avec les déclarations des papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI et François, les deux auteurs faisant ressortir jusqu'à quel point la Démocratie Économique appliquerait à merveille les principes de justice pour tous, contenus dans la doctrine sociale de l'Église catholique romaine.

La citation la plus fameuse d'un pape sur le sujet demeure celle du pape Pie XI en 1931 dans sa lettre encyclique Quadragesimo Anno, parle de :

 « …L'accumulation d'une énorme puissance, d'un pouvoir économique discrétionnaire, aux mains d'un petit nombre d'hommes, qui d'ordinaire ne sont pas les propriétaires mais les simples dépositaires et garants du capital qu'ils administrent à leur gré. Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l'argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par-là, ils distribuent le sang à l'organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que, sans leur consentement nul ne peut plus respirer. »

Pour qui connaît la Démocratie Économique, il est clair que le pape parle ici des banquiers internationaux, « qui ne sont pas les propriétaires, mais les simples garants » de l'argent des déposants, et qui « gouvernent et dispensent le crédit selon leur bon plaisir », car ils décident à qui ils vont prêter ou non, fixant aussi les conditions du prêt, y compris le taux d'intérêt, de telle manière que « sans leur consentement, nul ne peut respirer. »

Et comme si ce n'était pas assez clair, le pape ajoute, quelques lignes plus loin : « La déchéance du pouvoir : lui (le gouvernement souverain de la nation), qui devrait gouverner de haut, comme souverain et suprême arbitre, en toute impartialité et dans le seul intérêt du bien commun et de la justice, est tombé au rang d'esclave et devenu le docile instrument » des puissances financières.

La doctrine sociale de l'Église se situe au-dessus des systèmes économiques existants, puisqu'elle se confine au niveau des principes. Comme il a été dit précédemment, un système économique sera bon ou non dans la mesure où il applique ces principes de justice enseignés par l'Église. C'est la raison pour laquelle saint Jean-Paul II écrivait en 1987, dans son encyclique Solicitudo Rei Socialis, que l'Église « adopte une attitude critique vis-à-vis du capitalisme libéral et du collectivisme marxiste... deux conceptions du développement imparfaites et ayant besoin d'être radicalement corrigées. »

Il est facile à comprendre pourquoi l'Église condamne le communisme, ou collectivisme marxiste qui, comme le rappelait le Pape Pie XI, est « intrinsèquement pervers » et anti-chrétien, puisque son but avoué est la destruction complète de la propriété privée, de la famille, et de la religion. Mais pourquoi l'Église condamnerait-elle le capitalisme ? Le capitalisme ne vaudrait pas mieux que le communisme ?

Oui, mais un capitalisme corrigé

Ce que l'Église condamne, ce n'est pas le capitalisme en soi (propriété privée, libre entreprise). Au contraire, loin de souhaiter la disparition de la propriété privée, l'Église souhaite plutôt sa diffusion la plus large possible pour tous, pour que tous soient propriétaires d'un capital, soient réellement « capitalistes », comme l'écrivait le pape saint Jean XXIII dans Mater et Magistra, nn. 114-115 :

« La dignité de la personne humaine exige normalement, comme fondement naturel pour vivre, le droit à l'usage des biens de la terre ; à ce droit correspond l'obligation fondamentale d'accorder une propriété privée autant que possible à tous... Il faut mettre en branle une politique économique qui encourage et facilite une plus ample accession à la propriété privée des biens durables : une maison, une terre, un outillage artisanal, l'équipement d'une ferme familiale, quelques actions d'entreprises moyennes ou grandes. »

Ce que l'Église reproche au système capitaliste, c'est que, précisément, tous et chacun des êtres humains vivant sur la planète n'ont pas accès à un minimum de biens matériels, permettant une vie décente, et que même dans les pays les plus avancés, il existe des milliers de personnes qui ne mangent pas à leur faim. C'est le principe de la destination universelle des biens qui n'est pas atteint : la production existe en abondance, mais c'est la distribution qui est défectueuse.

Et dans le système actuel, l'instrument qui permet la distribution des biens et des services, le signe qui permet d'obtenir les produits, c'est l'argent. C'est donc le système d'argent, le système financier qui fait défaut dans le capitalisme. Les maux du système capitaliste ne proviennent donc pas de sa nature (propriété privée, libre entreprise), mais du système financier qu'il utilise, un système financier qui domine au lieu de servir, qui vicie le capitalisme. Le Pape Pie XI écrivait dans Quadragesimo Anno : « Le capitalisme n'est pas à condamner en lui-même, ce n'est pas sa constitution qui est mauvaise, mais il a été vicié. »

L'argent devrait être un instrument de service, mais les banquiers, en se réservant le contrôle de la création de l'argent, en ont fait un instrument de domination : Puisque le monde ne peut vivre sans argent, tous — gouvernements, compagnies, individus — doivent se soumettre aux conditions imposées par les banquiers pour obtenir de l'argent, qui est le droit de vivre dans notre société actuelle. Cela établit une véritable dictature sur la vie économique : Les banquiers sont devenus les maîtres de nos vies, comme le rapportait le pape Pie XI dans Quadragesimo Anno, tel que mentionné plus haut.

Puisque l'argent est un instrument essentiellement social, la doctrine de la Démocratie Économique propose que l'argent soit émis par la société, et non par des banquiers privés pour leur profit. C'est encore Pie XI qui écrivait, toujours dans Quadragesimo Anno :

« Il y a certaines catégories de biens pour lesquelles on peut soutenir avec raison qu'ils doivent être réservés à la collectivité lorsqu'ils en viennent à conférer une puissance économique telle qu'elle ne peut, sans danger pour le bien public, être laissée entre les mains de personnes privées. »

On a vu, dans l'article précédent, que le but du système économique, c'est la satisfaction des besoins humains. C'est ce que Pie XI rappelait dans son encyclique Quadragesimo Anno :

« L'organisme économique et social sera sainement constitué et atteindra sa fin alors seulement qu'il procurera à tous et à chacun de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie, ainsi que l'organisation vraiment sociale de la vie économique, ont le moyen de leur procurer.

« Ces biens doivent être assez abondants pour satisfaire aux besoins d'une honnête subsistance et pour élever les hommes à ce degré d'aisance et de culture qui, pourvu qu'on en use sagement, ne met pas d'obstacle à la vertu, mais en facilite au contraire singulièrement l'exercice. »

Les biens de la terre sont destinés à tous

Le Pape parle de « tous et chacun » des membres de la société qui ont droit aux biens matériels. Il rappelle là cet autre principe de base de la doctrine sociale de l'Église : les biens de la terre sont destinés à tous. L'idée a été reprise par Pie XII dans son radio-message de juin 1941, reprise par le Concile Vatican II. :

Et saint Jean-Paul II reprenait la même idée dans son encyclique Centesimus Annus (nn. 31 et 34) :

« Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour qu'elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne. C'est là l'origine de la destination universelle des biens de la terre... C'est un strict devoir de justice et de vérité de faire en sorte que les besoins humains fondamentaux ne restent pas insatisfaits et que ne périssent pas les hommes qui souffrent de ces carences. »

Cela serait rendu possible par le dividende du Crédit Social, un revenu garanti versé à chaque citoyen du pays, qui ferait en sorte que tous soient réellement capitalistes et aient au moins le nécessaire pour vivre, sans prendre dans la poche des riches, ni voler ou taxer personne. Ce dividende est basé sur deux choses : l'héritage des richesses naturelles et des inventions des générations précédentes. Jean-Paul II a redit la même chose dans ses propres mots dans son encyclique Laborem Exercens, sur le travail humain (15 septembre 1981, n. 13 :

« L'homme, par son travail, hérite d'un double patrimoine : il hérite d'une part de ce qui est donné à tous les hommes, sous forme de ressources naturelles et, d'autre part, de ce que tous les autres ont déjà élaboré à partir de ces ressources, en réalisant un ensemble d'instruments de travail toujours plus parfaits. Tout en travaillant, l'homme hérite du travail d'autrui. »

On pourrait continuer pendant plusieurs pages les citations des papes concordant avec la Démocratie Économique, et on ne pourra que conclure, avec Douglas, que la Démocratie Économique, c'est le christianisme appliqué ou, comme le disait le pape Pie XII en 1950 à un évêque de la province de Québec, elle « créerait dans le monde un climat qui permettrait l'épanouissement de la famille et du christianisme. »

                                                       Alain Pilote

Alain Pilote

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