Article toujours d’actualité de notre regrettée Mme Gilberte Côté-Mercier, cofondatrice:
Vous savez pourquoi le boulanger fait du pain ? Parce que les personnes mangent du pain. Elles ont besoin du pain pour se nourrir, du moins en général. Le besoin de pain est un besoin essentiel.
Le pain est fait parce que j’ai besoin de pain. La production du pain trouve sa raison d’être dans mon besoin de pain. Ça, tout le monde le comprend personne ne le conteste.
Cette évidence comporte une conséquence qui est celle-ci : mon besoin de pain me donne des droits sur le pain. Si la raison d’être du pain c’est mon besoin essentiel, ce besoin lui-même me donne des droits sur le pain, n’est-ce pas ?
J’ai des DROITS sur le pain. J’ai des TITRES sur le pain, j’ai des titres NATURELS sur le pain, parce que j’ai BESOIN de pain.
Les BESOINS ESSENTIELS sont les TITRES NATURELS sur la production.
Mais le producteur aussi a des droits. Le boulanger a le droit d’exiger un retour pour le pain qu’il passe aux besoins. Le boulanger ne donne pas son pain, il le vend. Il a le droit d’exiger un prix pour son pain. Il a le droit de se faire payer pour son pain.
De nos jours, c’est de l’argent que le boulanger demande pour son pain. L’argent est universellement accepté pour payer toute marchandise. L’argent est une convention entre les hommes. Ce n’est pas une chose naturelle. C’est un contrat, une entente entre les hommes pour faire leurs échanges.
L’argent devient un titre sur tous les produits. Un titre conventionnel. Pas un titre naturel. Les besoins sont le titre naturel. L’argent est le titre conventionnel.
On pourrait très bien payer le pain avec autre chose que de l’argent, avec du travail par exemple. Alors le titre conventionnel sur les produits serait le travail.
Une convention peut se changer, si les parties intéressées le décident. La nature ne se change pas. L’argent comme titre aux produits peut être déclaré inefficace. On peut changer le titre argent pour un autre titre. Mais le besoin, titre naturel sur les produits, ne peut être changé par personne. Il demeurera toujours le vrai titre aux besoins, quel que soit le siècle, quelle que soit la civilisation, quelle que soit l’économie du pays.
Dès lors que j’ai des besoins, j’ai des titres naturels sur les produits. Mes titres sur les produits ne rendent pas nuls les titres du producteur, mais ils sont INALIÉNABLES, et, la société doit voir à ce que je puisse faire valoir mes titres naturels, à ce que je dispose de titres conventionnels pour faire valoir mes titres naturels. Je dois posséder l’argent, titre conventionnel, pour faire valoir mes titres naturels. Je dois disposer de l’argent nécessaire pour satisfaire mes besoins essentiels. Je dois avoir tout l’argent nécessaire pour acheter tout le pain dont j’ai besoin. La société doit être organisée de telle sorte que cet argent me vienne entre les mains. Et si le pain est facile à faire, l’argent doit venir facilement entre mes mains. Et si le pain est abondant, l’argent doit me venir abondamment. À moi et à tous ceux qui mangent du pain, c’est-à-dire à tous les citoyens du pays.
La manière la plus efficace de me faire parvenir l’argent sera la manière la plus parfaite. L’économie, le système économique qui me procurera le plus vite et le plus assurément l’argent sera l’économie la plus parfaite. Et le système économique qui me prive d’argent quand le pain ne manque pas, ce système économique est vicieux. Comme notre système économique actuel.
Le Crédit Social propose un dividende social, garanti à chaque citoyen, suffisant pour la satisfaction, de ses besoins essentiels. Le Crédit Social serait un système économique parfait. Tandis que notre système économique bancaire d’argent rationné en face de produits abondants et des besoins, d’argent difficile à toucher en présence de production faite à la chaîne et si rapidement, notre système économique est contraire aux faits, et il ne répond pas aux besoins de l’homme, il ne me donne pas les titres conventionnels pour répondre à mes titres naturels sur les produits. Notre système économique est tout ce qu’il y a de plus vicieux. Et nos économistes diplômés devraient être considérés comme des criminels, aussi bien qu’un médecin qui tuerait ses patients.
Notre système financier est contre nature. En outre, il est païen, antichrétien. Nul ne peut prétendre vivre dans une cité chrétienne sous notre système économique bancaire, qui rationne les titres sur les produits pour les besoins essentiels. Et nul chrétien n’a le droit de favoriser ce système bancaire, ni même de le laisser vivre. On est chrétien ou on ne l’est pas. Le chrétien a le devoir de travailler à établir la cité chrétienne, dans la mesure de ses forces. Ce devoir comporte l’interdiction de poser des actes contre la cité chrétienne.
C’est en 1931, il y a 34 ans, que le pape Pie XI écrivait son encyclique fameuse «Quadragesimo Anno». Dans cette encyclique, l’Église, par la voix du pape, dénonçait, en termes non équivoques, la dictature de l’argent:
« Ce qui, à notre époque, frappe tout d’abord le regard, ce n’est pas seulement la concentration des richesses, mais encore l’accumulation d’une énorme puissance, d’un pouvoir économique discrétionnaire aux mains d’un petit nombre d’hommes qui d’ordinaire ne sont pas les propriétaires, mais les simples dépositaires et gérants du capital qu’ils administrent à leur gré.
« Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l’argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent en quelque sorte le sang à l’organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que, sans leur consentement, nul ne peut plus respirer ».
Non, la cité chrétienne ne peut être basée sur un système de crédit, un système d’argent comme le nôtre. Il faut le changer, ce système d’argent, pour rebâtir la cité chrétienne. Le Crédit Social est non pas une dictature d’argent, mais une démocratie de l’argent. Le dividende social est éminemment démocratique, puisqu’il doit aller à chaque personne. Le dividende social du Crédit Social est le TITRE ARGENT remis sans cesse entre les mains des personnes pour leur permettre de faire valoir leurs TITRES BESOINS. Le Crédit Social est chrétien. Notre système bancaire est païen.
Mais pourquoi donc nos hommes d’État ne changent-ils pas ce système bancaire païen ? Parce que nos hommes d’État sont aussi païens que notre système bancaire, du moins dans leur conception de la politique, de leurs fonctions d’homme d’État.
Dans la même encyclique «Quadragesimo Anno», Pie XI ajoute :
« Toute la vie économique est devenue horriblement dure, implacable, cruelle. A tout cela viennent s’ajouter les graves ‘dommages qui résultent d’une fâcheuse confusion entre les fonctions et devoirs d’ordre politique et ceux d’ordre économique, telle, pour n’en citer qu’un d’une extrême importance, la déchéance du pouvoir: Lui qui devrait gouverner de haut, comme souverain et suprême arbitre, en toute impartialité et dans le seul intérêt du bien commun et de la justice, il est tombé au rang d’esclavage et devenu le docile instrument de toutes les passions et de toutes les ambitions de l’intérêt ».
Nos hommes d’État ne sont plus des hommes d’État. Ce sont de vulgaires valets des banquiers. La politique est l’esclave d’une économie perverse. Les hommes d’État ne sont plus des rois, mais des laquais. Les rois et maîtres du pays, les vrais souverains, ce sont les banquiers.
Et le vote ne peut changer cette situation désordonnée et déplorable. Le vote ne sert qu’à consolider le pouvoir des banquiers, puisque les banquiers créateurs de l’argent, disposent naturellement de tout l’argent nécessaire pour contrôler la machine électorale.
Si une dictature bancaire universelle empêche les produits de rejoindre les besoins des hommes, si les gouvernements des nations sont des esclaves et non des souverains, si les peuples eux-mêmes sont impuissants pour changer leurs gouvernements, qu’est-ce donc qui peut être la force voulue pour donner au vingt et unième siècle un monde temporel meilleur ? Qu’est-ce qui va faire changer l’économie barbare et illogique qui nous régit en une économie humaine ? Qu’est-ce donc qui pourra enlever à l’argent sa puissance infernale sur l’homme et replacer l’homme sur un trône d’où il dominerait les choses et l’argent ?
« Certes, il y faut l’intervention de Dieu, une grâce spéciale du ciel. Mais, cette grâce commencera sûrement son oeuvre dans le cœur du renouvellement intérieur », a dit Paul VI aux Nations-Unis. Et Sa Sainteté a continué: « Nous devons nous habituer à penser d’une manière nouvelle l’homme; d’une manière nouvelle aussi la vie en commun «des hommes ».
Nos manières actuelles de penser l’argent ne sont-elles pas réellement une hérésie ? L’argent est devenu le tout de la vie. Avec de l’argent, on peut tout acheter, même des consciences, même les hommes d’État, même les nations. L’argent est le grand souverain du monde. Le culte de l’argent, dans le cœur de chacun et dans nos mœurs, est l’hérésie du siècle. C’est une hérésie matérialiste, bien sûr, puisqu’elle concède plus de valeur à la matière qu’à l’esprit. C’est pire encore, puisque l’argent n’est même pas de la matière. L’argent n’est pas une chose, mais uniquement le signe des choses. L’argent n’a pas la valeur d’une chose, de la table que je touche par exemple. L’argent n’est que le chiffre conventionnel qui marque les choses et qui les mesure. L’argent n’a aucun être naturel, aucune existence réelle, mais une existence de convention. Et l’homme moderne s’agenouille devant l’argent ! Quelle aberration ! Quelle déchéance ! Ténèbres épaisses où l’humanité ne peut plus se mouvoir sans choir dans le précipice de la pauvreté, des guerres et des révolutions.
Que chacun de nous modifie sa conception de l’argent. Que chacun fasse en lui-même une conversion. Que chacun apprécie plus les choses que l’argent. Que chacun donne plus de valeur en son coeur aux hommes qu’aux choses. Que chacun admette que toute la création des choses et des hommes est l’oeuvre d’un Créateur qu’il faut adorer. Et alors, le changement vers un monde temporel meilleur sera amorcé. Et alors, l’abondance des biens, sous laquelle croule littéralement notre monde civilisé, pourra être distribuée à tous les hommes sur la terre qui trouveront leur rassasiement autour de la table de l’humanité. Mais, il faut qu’au préalable, les hommes reconnaissent que cette table est la table du Père Éternel, le père de tous les hommes, que Paul VI a évoqué à la fin de son message inoubliable le 4 octobre 1965, à New York, devant l’Amérique et l’Europe entières qui le voyaient et l’entendaient.