Quelques lecteurs timorés ou insuffisamment renseignés trouveront peut-être virulent le ton de plusieurs articles du présent numéro des Cahiers. Est-ce Georges Cadoudal, le chef Vendéen, qui disait qu'en face de l'usurpation la place de l'épée n'est pas dans le fourreau ? Nous pensons de même et nous voudrions seulement une arme plus aigue pour sabrer avec plus d'efficacité.
N'oublions pas, en effet, que les véritables maîtres du pays ne sont ni la masse qui travaille, ni ceux qui ont reçu d'elle mandat pour la gouverner. Ceux-ci font en toute circonstance confeşsion publique d'enchaînés, exception réservée des discours électoraux. Une fois au pouvoir, ils déploient certainement de la bonne volonté et des efforts souvent prodigieux, mais ils sont toujours au bout de la chaîne.
C'est à dessein que nous disons "au bout de la chaîne" et non à court de ressources. Les avez-vous jamais entendus se plaindre de ne pouvoir répondre aux désirs de leurs mandants parce qu'ils ne peuvent trouver de fonctionnaires, parce que le pays est épuisé en hommes et en matériaux, parce que tout le monde est occupé du matin au soir à tirer la nourriture de la terre, à fabriquer des vêtements, à construire des maisons ? Ne sont-ils pas au contraire assiégés de demandes d'emploi ? Et ne chantent-ils pas sur tous les tons que notre terre, nos forêts, nos mines, nos pêcheries, les bonds puissants de nos cours d'eau constituent d'immenses ressources à exploiter ?
Mais entre tous ces couplets enivrants perce le refrain aussi triste que monotone : Pas d'argent ! Voilà la chaîne. Vous avez une jeunesse saine, instruite, débordante de vie ; vous avez des pères et mères de famille conscients de leurs devoirs et dévoués jusqu'au sacrifice — tout cela, ajouté aux ressources naturelles aussi abondantes que variées, ne compte que dans la mesure où vous le permettent les ordonnateurs du crédit.
Le cinquième de la population de Montréal végète dans la misère. Le premier magistrat de la cité demande dix millions au gouvernement fédéral — supposé souverain : celui-ci répond qu'il n'a pas d'argent. Souffrent ou périssent les hommes, la fabrique de monnaie n'est pas à la disposition du gouvernement de la nation. Il y a une autre puissance au-dessus de lui ?
Le trésor de la ville de Winnipeg est vide, celui du Manitoba également. Le gouvernement de cette province demande des secours au fédéral. On n'a rien à lui offrir qu'un prêt à 3 pour cent. "Quand votre enfant réclame du pain, lui donnez-vous une pierre ? S'il demande du poisson, lui donnez-vous un scorpion ?" — Oui, au Canada. Les enfants de la nation demandent des secours, on leur passe des chaînes ; ils veulent de l'argent, on leur jette des dettes.
Véritable usurpation que celle-là qui limite l'action des représentants élus du peuple, qui règle l'activité économique nationale, qui dicte à la population son niveau de vie.
En accaparant le contrôle du crédit, les banquiers privés ont usurpé le pouvoir, ils tiennent les gouvernements à leur merci et exercent, sans aucune responsabilité, la dictature la plus inhumaine et la plus odieuse. On ne s'en rend peut-être pas compte, parce qu'ils agissent par des intermédiaires, par nos propres élus dans l'administration publique, par les obligations qu'ils imposent à l'agriculture et à l'industrie dans le monde du travail.
"Ce qui, à notre époque, frappe tout d'abord le regard, ce n'est pas seulement la concentration des richesses, mais encore l'accumulation d'une énorme puissance, d'un pouvoir économique discrétionnaire, aux mains d'un petit nombre d'hommes qui d'ordinaire ne sont pas les propriétaires, mais les simples dépositaires et gérants du capital qu'ils administrent à leur gré. Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l'argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent en quelque sorte le sang à l'organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que, sans leur consentement, nul ne peut plus respirer." Quadragesimo Anno
Voyez cette maison au coin de la rue, avec son cachet particulier, ni logis, ni école, ni usine, ni magasin. Quand bien même vous ne liriez pas au frontispice ou sur ses grandes vitres : Banque Royale, Banque de Montréal..., vous sauriez tout de même que c'est une banque. Institution utile, direz-vous pour grouper les épargnes et diriger les placements. Oui, si ce n'était que cela, mais c'est bien plus : fabrique de monnaie, bureau-succursale des usurpateurs.
"Les banques sont de véritables fabriques de monnaie," dit P. Reboud (Précis d'Économie Politique, Édition 1927, Volume I).
Mais si l'on y fabrique la monnaie, on l'y détruit également. Berceau et cercueil de la monnaie.
Nous ne répéterons pas ici ce que nous expliquions dès le premier numéro des Cahiers, page 13, y revenant dans le second numéro, page 45. M. Turpin l'expose également, sous le titre :"Nos Maîtres," chapitre III de la brochure qu'il vient de faire paraître et que nous recommandons ailleurs dans ce numéro (Voir pagę 240).
Il sort continuellement un flot de crédit (nouvelle monnaie) des banques et un flot de crédit rentre continuellement aux banques : (monnaie allant à l'abattoir). Le flot de crédit sortant représente quelques minutes de l'attention du banquier, plus une écriture. Le flot de crédit rentrant représente les sueurs des ouvriers, les veilles d'industriels, les privations des uns et des autres, les taxes des contribuables, la reconnaissance de la souveraineté bancaire, le tribut de l'esclave au maître. Si au moins le flot sortant et le flot rentrant étaient réglés de façon à maintenir une circulation de crédit correspondant aux besoins de la consommation et aux responsabilités de la production, on pourrait rendre un certain hommage à l'intelligence et à la sagesse des usurpateurs. Mais on sait ce qu'il en est et comment il leur arrive de saigner la nation du tiers de son crédit en quelques mois.
Que les commis ou le gérant de la banque du coin ne voient en ceci aucune attaque contre eux. Ils sont nos amis et nous souhaitons sincèrement les voir un peu mieux récompensés pour leur travail. C'est le système bancaire qui est répréhensible, non dans ses opérations strictement bancaires, mais par son exercice du contrôle du crédit. Et les hommes responsables de cette usurpation sont plus près de la tête du monstre international qui a usurpé le pouvoir dans tous les pays civilisés. Ils ont aussi leurs défenseurs, leurs valets, conscients ou inconscients, dans d'autres sphères plus près de nous : c'est de ces valets que nous parlerons dans notre prochain numéro.
Qu'on ne nous fasse pas dire non plus que les contrôleurs du crédit raréfient le pouvoir d'achat à leur gré pour le plaisir sadique de voir le peuple souffrir. C'est plutôt pour le profit qui leur revient de la succession des périodes de déflation aux périodes d'inflation, et encore pas tant pour le profit lui-même que pour la puissance qu'il leur vaut. La soif des profits et la passion du pouvoir furent toujours les mobiles des usurpateurs et, pour eux, les masses ne comptent que comme instrument. Le monologue qui suit développe cette même idée.