De La Presse du 9 septembre 1940 :
Toronto, 5 — (P.C.) — L'Honorable J. Gordon Taggart, ministre de l'Agriculture en Saskatchewan et président de la Commission canadienne du bacon, déclarait dans son discours d'hier, à l'Exposition canadienne nationale, que la continuation du régime d'économie close en Europe pourrait forcer le Canada à réduire sa production agricole aux proportions de sa consommation intérieure. Une telle réduction de production signifierait le retrait de 15 à 18 millions d'acres à la culture et l'évacuation de 50,000 à 60,000 familles de fermiers de l'ouest canadien.
Du même journal, le même jour, donc encore de La Presse du 9 septembre 1940 :
Grindstone — Le conseil de comté des Îles de la Madeleine a adopté la requête suivante :
Considérant qu'un grand nombre de familles n'ont pu se procurer de farine depuis quelque temps déjà ;
Considérant qu'il n'y a plus de bois de chauffage sur les îles ;
Considérant que la plupart ne pourront se vêtir à l'automne ;
Considérant que le froid de l'hiver pourrait faire des victimes, par défaut de ne pouvoir se procurer du charbon pour se chauffer ;
Considérant que, sans la liquidation de notre principal produit — le poisson — pour faire entrer dans nos îles l'argent nécessaire aux achats, les gens ne pourront s'approvisionner...
Qui donc sera écouté ? La demande des Madelinots ou la restriction de monsieur l'Honorable Gordon ?
Les fermiers de l'Ouest, tout comme les Madelinots, sont deux points du pays où il y a trop, où il y a abondance. Les Madelinots ont trop de poissons ; les fermiers de l'Ouest ont trop de blé. Et, cependant, ils doivent mourir de faim devant leur abondance. La misère, le froid, la faim vont fondre sur eux ; elle les atteint déjà et l'on craint que chacune de ces trois calamités, sans parler des calamités d'ordre moral plus terribles encore, fassent leurs victimes.
Fermiers et pêcheurs ont donc bien rempli leurs devoirs de producteurs puisque l'abondance dans leurs spécialités est palpable, les accable même.
Des grands hommes comme Messieurs Gordon, E. Beatty, ne peuvent rien y comprendre. Ils ne trouvent rien de plus logique que de restreindre ce qui peut produire et de détruire ce qui existe en trop grande abondance. Voilà un crime que la Providence ne pardonnera pas.
Partout le génie, le travail et la science humaine réalisent des miracles dans l'ordre du temps et des choses. La nature se laisse transformer et manier au bon plaisir du Roi de la création. La Providence ne se laisse pas vaincre en générosités et les saisons se suivent dans un ordre jamais interrompu, apportant à l'homme, chacune sa magnanime part de bienfaits, de richesses insoupçonnées... mais, l'homme est devenu matérialiste et idolâtre.
Matérialiste, parce qu'il oublie la main de Dieu qui le conduit, le seul Maître qui mérite d'être servi, Lui seul à qui on doit s'en remettre, Celui qui nourrit les poissons, les oiseaux et qui fait pousser l'herbe des champs.
Idolâtre, parce qu'en détournant les yeux de Dieu, il les a attachés à l'argent. Il se laisse conduire d'après la présence ou l'absence d'argent, non plus d'après les réalités et ses propres besoins. Voilà le Veau d'Or contemporain. L'argent est devenu le but des activités économiques, le régulateur de la vie de l'homme. Sans argent, il se condamne à mourir, lors même que l'abondance périt sous ses yeux.
Entre deux hommes : l'un parfait citoyen, travailleur, dévoué aux intérêts d'une nombreuse famille, croyant et pratiquant, bon chrétien, mais sans le sou ; l'autre, dont les goussets et les coffres-forts regorgent d'argent — pour lequel aura-t-on le plus de considération ? Lequel écoutera-t-on ?
Telle est bien la situation actuelle. Tel est, dans l'ordre temporel, le grand problème qui se pose aujourd'hui.
Si l'argent seul manque, qui, parmi vous, ne serait prêt à en fabriquer autant qu'il en faut pour le mettre en équilibre avec les choses utiles qui n'attendent que l'argent ?
Mais voilà, ni vous ni moi n'avons le privilège de pouvoir fabriquer de l'argent. Seules les banques ont cette prérogative, l'autorité nécessaire pour faire et libérer l'argent et le crédit.
Or, les banques ne posent pas leurs actes d'après les appels du bien commun, mais d'après les profits qu'elles espèrent. Quant au gouvernement qui, lui, n'existe que pour le bien commun, il se refuse à lui-même le droit de fabriquer l'argent et il passe ce droit aux banques.
Il faut que le gouvernement reprenne sa souveraineté. Le Canada a des possibilités très grandes de production ; mais ces possibilités ne seront atteintes que le jour où le gouvernement se chargera d'émettre lui-même l'argent et de le distribuer avec la même souplesse que la production peut fournir des biens.
La possibilité d'échanger les produits entre hommes est le résultat de l'organisation sociale, c'est donc un avantage social dont tous doivent profiter. Si l'argent est devenu la formule reconnue, formule facile et ingénieuse, pour opérer les échanges, l'argent est dès lors un service social dont pas un membre de la société ne doit être complètement dépourvu.
L'argent est devenu une nécessité pour vivre. Personne ne peut exercer son droit de vivre aujourd'hui sans argent. Même le propriétaire d'une ferme doit en avoir pour payer ses taxes et se procurer ce que la ferme ne fournit pas. Le droit de vivre entraîne donc le droit à une quantité minima d'argent.
De là, l'importance du problème de l'argent et l'urgence de lui trouver une solution. On a voulu ignorer la fonction sociale de l'argent. Résultat : les problèmes d'argent barricadent tout épanouissement de vie : privée, familiale, paroissiale, nationale.
L'argent retrouvera son rôle lorsqu'on se sera donné la peine d'étudier et d'appliquer les principes du Crédit Social.
Florian TESSIER