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Retour au siècle de Noé

le mardi, 01 octobre 1940. Dans Divers

Depuis qu'Adam ouvrit le premier sillon sur la planète, l'homme s'est constamment efforcé de produire le plus possible avec le moins de labeur possible. C'est ce qui le distingue du castor et des autres espèces du règne animal.

Le roi de la création dompte le cheval, attelle le vent et l'eau ; puis, apprenant à transformer l'énergie, il s'assure le service d'innombrables chevaux-vapeur, chevaux-électricité, chevaux-essence. Explorant les infiniment petits comme les infiniment grands, il trouve le moyen d'utiliser à son service les forces les plus redoutables de la nature.

Parallèlement à ce progrès qui honore les facultés dont Dieu a doué l'homme, on a vu s'implanter et s'ancrer, sous la surveillance attentive de parasites bien protégés, un système en vertu duquel tout progrès est annulé et corrompu par un passif financier. Le droit de vivre est mesuré par des teneurs de livres.

Le porteur d'un cerveau pensant est devenu le chômeur qui crève de faim.

Le problème a déconcerté et fait tomber des gouvernements.

★ ★ ★

Un gros Dom Quichotte de St-Hyacinthe s'est levé pour s'en prendre, non pas au parasite qui empoisonne le progrès, mais au progrès qui libérait l'homme de la rude tâche musculaire.

Adieu, machines. Adieu, chevaux.

L'homme au brancard !

Voilà la grande découverte de Damien Bouchard pour résorber le chômage dans la province de Québec.

Si nos familles canadiennes-françaises continuent à multiplier les bipèdes inutiles, on supprimera même le rouleau et le grattoir pour confier leur fonction à la plante des pieds et à la paume de la main.

D'aucuns trouveront que ça ressemble pas mal aux jours de l'esclavage d'antan. Pas tout à fait. En ce temps-là, le maître nourrissait son esclave, l'entretenait bien en forme pour en tirer toute la force possible. Si la bête humaine refusait ses efforts, le maître tenait le fouet en main.

L'adaptation moderne est plus raffinée. Le maître ne nourrit plus son esclave. Si celui-ci est trop faible, le mal n'est pas grand, on le relègue à la Saint-Vincent de Paul et la voirie n'en souffre pas, il y a foule prosternée dévotement aux pieds des embaucheurs du gouvernement.

Et le maître n'a plus besoin de tenir le fouet. Justement parce qu'au lieu de nourrir ses esclaves, il leur passe quelques morceaux de papier qui leur donnent le droit de manger, il n'aura, sur insubordination, qu'à leur refuser ces licences indispensables.

Ça devient très simple. Tu chômes ? As-tu du muscle ? As-tu de la puissance de traction animale ? Non — tu es inemployable, va aux trésors vides des œuvres de bienfaisance, la province n'est plus responsable de toi. Oui — sois cantonnier, deviens cheval humain pour gagner ton foin et celui de l'écurie d'élevage confiée à ta femme, sinon crève et ta famille avec.

Et voilà que deux coqs politiques de 1940 lancent leur chant aux quatre points cardinaux : Adélard attardé se vante de songer à la possibilité de la motorisation de la colonisation ; Damien, plus avancé, proclame sa trouvaille, la suppression du chômage par la bicépisation de la voirie.

Louis EVEN

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