Il nous a pris fantaisie l’autre jour de chercher inspiration ( !) en arpentant rapidement des yeux les pages de l’épaisse Presse du samedi.
Les mastodontes du commerce en détail y étalent leurs annonces : trois pleines pages pour Dupuis Frères, deux pour Eaton, deux pour Morgan, une pour Woodhouse ; maintes colonnes couvertes par des aspirants non moins anxieux de vendre leurs produits. Bières, whiskies, tabacs, théâtres, charbons, radios, kodaks, instruments de musique, et jusqu’aux articles 5-10-15 s’y donnent rendez-vous.
Et “La Presse” n’a point l’exclusivité de l’annonce. Les autres journaux en regorgent, proportionnellement au volume de leurs intestins et à la longueur de leurs tentacules, si par ailleurs ils savent se montrer bons garçons.
Ouvrez votre radio : un peu de musique, de chant ou de sornettes ? ? ? ?
Sortez ; déambulez sur le trottoir d’une rue commerciale : des jeux de lumière assiègent votre rayon visuel, des vitrines vous sollicitent.
Si vous n’avez pas un petit billet d’interdiction à votre porte — et même si vous l’avez — des agents viennent déifier leur marchandise jusque dans la paix de votre domicile.
Pourquoi ? Que cherche-t-on ? Que demande-t-on ? Des employés ? Des techniciens ? Des producteurs ? Fi donc ! On n’a que faire de main-d’œuvre aujourd’hui, il y en a vermine. Connaissez- vous des industriels qui annoncent ou placent des agents sur la route pour recruter des ouvriers ? Même les braves cultivateurs qui vont en ville une fois ou deux par semaine cherchent-ils dans la cité quelques gaillards robustes pour les engager à leur service ?
Cultivateurs, industriels, commerçants déploient la même ardeur pour trouver... des acheteurs. Vitrines, enseignes lumineuses, annonces, toutes parlent le même langage, expriment le même message : On demande — des consommateurs.
C’est de consommateurs qu’on est en quête — mais de consommateurs avec de l’argent.
Le marchand ne s’inquiète pas d’où il pourra renouveler sa provision s’il vend ses produits : ce problème est résolu. Mais il se demande ce qu’il fera de ses produits s’il ne les vend pas : ce problème le poursuit partout.
L’industriel n’est pas en peine comment il pourra fournir sa clientèle, mais il est fort en peine comment la grossir.
Le touriste qui vient chez nous n’y produit absolument rien, pas même un radis. Et cependant, on est à genoux à ses pieds, on l’invite, on le ré-invite, parce que c’est un consommateur avec de l’argent. Si cet étranger bénit daigne venir consommer nos richesses, surtout s’il est assez “sport” pour choisir les meilleures, alors nos consommateurs canadiens pourront se payer le plaisir des restes ; autrement, nos richesses continueront de narguer notre indigence.
On demande des consommateurs munis d’argent.
Les consommateurs “tout court” ne manquent pas. On a bien aussi, parait-il, de l’argent, mais pas entre les mains des consommateurs. Le consommateur avec de l’argent, voilà la combinaison rare que se disputent, à grands frais d’annonce, tous les orifices de la production.
Les vitrines, les étagères, les entrepôts sont surchargés ; les roues de la production marchent au ralenti parce que les produits s’accumulent ; les travailleurs disponibles font queue aux portes des usines. Et cependant vous entendez encore des doctrinaires dire qu’il faut presser la production !
La production moderne marche à un rythme accéléré, à cause des développements techniques, des applications scientifiques. Pour cette même raison aussi, le travail humain étant de moins en moins requis, la distribution de pouvoir d’achat se fait à un rythme décéléré. Même si des salaires augmentent, le nombre des salariés diminue relativement au volume de la production.
Pourtant des économistes continuent de vous enseigner que la production finance automatiquement la consommation.
La fabrication du produit va très vite, celle de son prix marche au même pas. Dès que le produit est fini, il porte un prix ; mais l’argent qui représente son prix est loin d’avoir été distribué, d’avoir passé aux mains du public acheteur. Une partie demeure du côté capital, est immobilisée sous la tutelle de gens qui, n’ayant plus de besoins à satisfaire, ne s’en servent pas — et l’on s’étonne que le consommateur n’achète pas, que les produits ne se vendent pas, que le système ne fonctionne pas !
La production existe pour la consommation, mais elle manufacture plus de prix — et plus vite — qu’elle ne distribue de pouvoir d’achat au consommateur : comment peut-elle atteindre sa fin ?
La situation est-elle désespérée ? Oui, si l’on tient à maintenir les conditions qui la créent. Non, si l’on veut avoir la logique d’adapter le système aux besoins.
C’est ce que propose le Crédit Social. Chose tout à fait possible, puisque les biens sont là et que le consommateur avec des besoins et des désirs est là, lui aussi. Pour compléter la combinaison consommateur-argent, il n’y a que la monnaie à régler, son émission et son mode de distribution à contrôler, de façon à l’orienter vers le consommateur qui a des besoins à satisfaire.
Mais le contrôle de la monnaie est-il possible ? Certainement, puisqu’il existe aujourd’hui. Il existe, mais pas dans le but de fournir de l’argent au consommateur. Le contrôle est détenu par des particuliers qui cherchent leur profit personnel, au lieu qu’il devrait l’être par la société, au profit de la société — ce qui serait du crédit social.
On demande des consommateurs avec de l’argent. Les producteurs, les systèmes de transport, les fournisseurs de services, tous réclament à grands cris des consommateurs avec de l’argent. Seul le Crédit Social peut les assurer.