La mise hors-la-loi du parti communiste canadien n'est certainement pas sans efficacité pour entraver les activités visibles des propagandistes et des organisateurs. Mais ce serait se tromper que croire pour cela le communisme mort au Canada. Ce n'est pas par des décrets de suppression qu'on tuera le communisme, mais en établissant un ordre social et économique plus conforme au bien commun.
Sous le gouvernement Bennett, en 1931, n'avait-on pas cru donner le coup de mort au communisme en lui appliquant l'article 98, alors dans les statuts, et en emprisonnant la direction du parti ? Voici pourtant ce que pouvait déclarer Sam Carr, l'organisateur général du parti communiste canadien, le 9 octobre 1937 :
"Six années ont passé depuis ce temps. Tous nos camarades qui furent derrière les murs de Kingston ont depuis longtemps terminé leur sentence. La lutte du peuple canadien (?) a permis l'élargissement des "huit"... Un des "huit" de Kingston, le grand lutteur, Tom Casic, a pu aller mourir en héros sur le champ de bataille de l'Espagne.
"La grande leçon des arrestations de 1931, c'est que, malgré tous les efforts des apologistes capitalistes pour démontrer que le communisme est incompatible avec la mentalité de notre peuple, les travailleurs de notre Dominion se sont non seulement unis dans la défense des "huit", mais ils ont fourni plusieurs douzaines de nouveaux chefs au parti communiste canadien. Le peuple de ce pays a répondu aux persécutions dont notre parti était l'objet en accroissant rapidement ses rangs. Il y avait environ 4,000 membres dans notre parti en 1931. Au moment de la septième convention générale de 1934, alors que notre parti était encore dans l'illégalité, il y avait 5,500 membres et aujourd'hui nous assistons à cette majestueuse assemblée de 15,000 membres dans nos rangs.
"Nous avons défait l'article 98..."
On sait que l'Hon. Ernest Lapointe avait rappelé l'article 98, sans se soucier cette fois des opinions émises par le haut clergé, dont il aimait tant à se prévaloir dans un récent discours.
Les mêmes incuries des gouvernements dans le règlement du désordre économique dont tout le monde se plaint ont permis, depuis, les mêmes progrès du communiste. Les communistes peuvent toujours dire au gouvernement de bras-croisés : « Vous laissez le peuple souffrir et mourir pendant que nous nous penchons vers lui. » Encore Sam Carr :
"Notre parti fut le premier à donner aux problèmes des sans-travail la prééminence qu'ils ont aujourd'hui. Bien avant que les politiciens eussent admis que le chômage était un problème, les communistes organisèrent les sans-travail et, jour après jour, ils luttèrent, forçant ville après ville, municipalité après municipalité, à venir au secours des chômeurs."
Après dix ans, les deux vieux partis parlent encore à longueur de session du chômage insoluble. Insoluble par manque d'argent pour payer le travail. Et l'on n'a pas encore songé à faire ce qui manque, la seule chose qui manque. Tout excepté cela. Aussi les meneurs ont beau jeu parmi les mécontents !
La politique souillée et écœurante qui est passée dans nos traditions est-elle bien de nature à commander le respect ? Ses œuvres sont pourries comme elle. L'organisateur communiste en tire argument :
"Dans les deux vieux partis, le travail de la machine électorale se résume dans la protection des intérêts de la classe privilégiée ; les associations individuelles des deux vieux partis peuvent, tout au plus, émettre leur opinion sur des problèmes de considération locale. Les conventions des conservateurs et des libéraux sont des assemblées burlesques organisées dans des chambres closes qui ressemblent étrangement à un magasin de liqueurs fortes, et ces assemblées sont convoquées dans la seule nécessité de savoir quel politicien récolte le plus grand nombre de voix de supposés délégués qui ont le droit de l'élire comme chef."
À leur congrès de 1937, les communistes élaborent un programme législatif, pour la plus grande partie très acceptable, qu'il groupe sous sept rubriques :
Ce programme, le programme que le communisme affiche, pas celui qu'il poursuit réellement, est présenté de manière à rallier tous les individus et les groupes dégoûtés des vieux partis. C'est comme un changement de tactique dans la manière du parti communiste.
Se sentant menacé par le cri d'alarme jeté au Canada, le parti communiste s'organise pour avoir moins d'ennemis à combattre en créant une solidarité temporaire entre lui et certains clans politiques. Quitte à reprendre son orientation bien à lui lorsqu'il se sera infiltré dans les rangs de ses nouveaux alliés. Les communistes savent que c'est à force de petites ententes qu'ils finiront par créer la grande entente qui leur permettra de déclancher la révolution prolétarienne.
Il y a une autre corde à ce programme. Il existe un mouvement anti-communiste au Canada. Il est donc de bonne tactique pour les communistes de lancer un programme répondant aux besoins du peuple. Ils expliqueront ensuite au public que, s'ils sont mis hors la loi, c'est parce qu'ils voulaient le bien du peuple et que le gouvernement régnant le refuse.
Les communistes savent, d'ailleurs, que le peuple est ignorant et qu'il ne fera pas la différence, dans tout leur programme, entre ce qui serait immédiatement possible et ce qui demande le facteur temps. Le peuple va réclamer du jour au lendemain ce qui exige nécessairement du temps. Ainsi se développera l'esprit de révolte nécessaire pour le succès du grand soir.
La résolution passée au Congrès de 1937 sur l'organisation du parti communiste est des plus intéressantes. Il faudrait presque la citer en entier.
C'est d'abord le recrutement qui retient l'attention de la résolution. Il faut fortifier le parti. Chercher des adhérents parmi les "masses d'ouvriers, d'agriculteurs et de professionnels canadiens qui sont venus au secours du parti attaqué par le règlement 98 et qui ont aidé à obtenir le rappel de cette loi vicieuse."
Si l'on a pu grossir les rangs de moins de 6,000 à 15,000 d'une convention à l'autre, de 1934 à 1937, on place à 25,000 l'objectif pour la prochaine convention, dans deux ans.
Le parti rappelle à ses membres que le meilleur mode de recrutement demeure le travail personnel fait par chaque membre. "C'est le devoir solennel de chacun des membres de grossir les rangs de l'association en lui recrutant ses compagnons d'atelier, ses amis et ses voisins."
La convention demande un "effort concentré et systématique pour chercher de nouveaux membres parmi les employés de l'industrie. À cette fin, les comités exécutifs provinciaux et régionaux choisiront immédiatement dans le territoire sous leur juridiction un certain nombre d'usines et ateliers importants, des moulins, des mines, etc., et feront converger leurs efforts sur le recrutement d'adhérents au parti parmi le personnel de ces industries."
La convention préconise aussi le recrutement de membres dans la classe agricole. "Pour mieux réussir dans ce champ, il faut y aller avec souplesse, sans formules rigides d'organisation, se pliant aux circonstances et au milieu, tant dans l'ouest que dans l'est du Canada."
Le parti déclare souffrir du nombre insuffisant de femmes dans ses rangs. Il demande de prendre des mesures immédiates pour y remédier. Qu'on apporte une attention particulière à l'entraînement d'un personnel féminin, qu'on donne des cours, qu'on multiplie les brochures traitant de sujets qui intéressent spécialement les dames. Partout où on le jugera désirable, on établira des sections féminines.
La huitième convention du parti communiste canadien préconise le recrutement parmi les ouvriers natifs du Canada. "Sans ralentir le taux de recrutement parmi les immigrants, il faut arriver dans un avenir prochain à une majorité de composition canadienne, y compris un fort élément canadien-français."
Puis, évidemment, on pousse le travail d'enrôlement de la jeunesse. "Le chaînon le plus faible de notre organisation est le manque de travail parmi les masses de la jeunesse canadienne. La Convention presse le parti de faire du travail parmi les jeunes un de ses devoirs majeurs et de donner le plus d'aide à la formation d'une forte ligne de jeunesse communiste."
La convention souligne les progrès accomplis dans la formation d'un personnel entraîné au moyen de cours nationaux ou provinciaux, mais demande d'accentuer encore ce travail, pour produire des meneurs capables dans le parti.
La huitième convention attire l'attention des délégués sur une meilleure organisation du travail des "branches". Il faut faire de celles-ci des organismes vivants et actifs, puisque ce sont elles qui étendent les racines du communisme dans les territoires, industries ou ateliers de leur juridiction.
Une entreprise ne peut marcher sans finance, et les communistes le savent bien. On nous a trop dit que les fonds du parti viennent de Moscou. Sachons reconnaître que les communistes, plus zélés pour leur idéal que bien des créditistes et autres réformistes de droite pour le leur, nous donnent l'exemple du sacrifice pour le succès d'une cause.
Chaque communiste fait sa part pour fournir le trésor du parti. Même le chômeur y va de 10 sous par mois, donc $1.20 par année. Le commis de magasin et autre petit salarié qui tire moins de $8.00 par semaine donne 20 sous par mois, $2.40 par année. Les contributions s'échelonnent en raison du salaire, jusqu'à $4.00 par mois, $48.00 par année, pour l'employé dont le salaire atteint $45.00 par semaine.
Voici le tableau officiel des contributions, salaires et contributions étant donnés sur une base mensuelle :
Dans quelle classe seriez-vous ? Combien devriez-vous verser par mois ? Combien par an ? Sans rien, en retour, que la satisfaction de travailler pour une cause que vous auriez épousée.
Et l'on trouve des gens qui applaudissent le Crédit Social, qui aspirent au régime du crédit social avec ses dividendes à tous - - mais qui tournent le dos dès qu'on leur demande un dollar par an, moins de 10 sous par mois, pour s'instruire tout en aidant la propagande !
D'après l'AGENT SECRET No. 17
"Une jeune et noble doctrine, aux principes neufs et d'une importance essentielle, devra, si désagréable que cela puisse être à chacun, manier d'abord sans ménagement l'arme de la critique." — A.H.