L'opinion anglaise a subi de profondes modifications depuis le début de la guerre. La peur, cette sensation bien souvent salutaire (et c'est surtout vrai dans les circonstances extraordinaires que nous traversons), a poussé les retardataires à passer outre les préjugés et la tradition. Lorsqu'il faut sauver sa peau, on ne se soucie guère de la façon dont s'y prenaient les aïeux pour sauver la leur. Les événements des douze derniers mois ont forcé les esprits pétrifiés à prendre un cycle ultra-rapide d'évolution sur les questions économiques. C'est un bon signe. L'économie nouvelle aura fait plus de progrès en cette période qu'elle n'en a fait depuis vingt ans. Les raisons de se réjouir par le temps qui court sont si peu nombreuses qu'il ne faut pas manquer celle-là.
Le major C. H. Douglas, l'auteur de la doctrine du Crédit Social, réclame depuis plus de vingt ans une réforme économique qui garantirait socialement à tous et à chacun le minimum vital, la nourriture, le vêtement, le logement. Non content d'indiquer l'idéal de l'organisation sociale de l'avenir, il a donné au monde une technique merveilleuse pour l'atteindre. Il fut ridiculisé par les grands du jour. Par ceux-là mêmes qui sont responsables du chaos actuel. Les économistes-experts en firent le jouet de leur sarcasme pédant. Mais cela n'empêcha pas la vérité découverte par ce génial économiste de se répandre aux quatre coins de l'empire britannique.
Aujourd'hui dans les milieux les plus conservateurs de l'Angleterre, on réclame des réformes dans le sens de celles préconisées par les créditistes. Le vieux monde croule sous le poids de ses stupides préjugés.
Le Lancet, organe de l'Association Médicale Britannique, vient de publier un feuillet intitulé : Les enfants doivent être nourris, dans lequel on demande de payer immédiatement 5 shillings par semaine, du crédit national, pour chaque enfant en Grande-Bretagne, afin de suppléer à la diète de guerre. On peut y lire ce qui suit :
"Quelles que soient nos vues politiques, nous sommes tous responsables de l'administration de notre pays, et le plus grand nombre d'entre nous aimeraient le voir conduit sur une base coopérative, de telle sorte que nul puisse jouir du superflu alors que d'autres manquent du nécessaire. La période de guerre nous donne une occasion de redistribuer la richesse, que nous l'aimions ou non. Si nous faisons usage de notre intelligence, nous pouvons arranger la distribution de telle sorte qu'au moins nos enfants profitent de cette crise."
Un autre exemple de cette étonnante évolution dans la pensée britannique nous est fourni par un périodique des plus orthodoxes de Londres. L'Economist, porte-parole de la classe riche, préconise actuellement un Economic Bill of Rights. Il écrivait dernièrement :
"La période de 1930-40 est passée et finie. Le temps est venu des garanties constitutionnelles pour le droit à la nourriture, au vêtement, aux soins médicaux et à l'éducation, avec la liberté de parole, de pensée et de religion. L'esprit progressif a manqué au cours des deux dernières décades. Nous croyons que les belles vieilles écoles anglaises doivent être laissées vides, tout comme elles furent évacuées ou bombardées, et que de nouvelles écoles devraient être construites pour tous les garçons et toutes les filles de l'Angleterre, sans égard à leurs origines."
Les créditistes doivent se réjouir de voir réclamer de telles réformes dans des milieux reconnus comme hostiles à l'Économie Nouvelle. Qu'ils redoublent leurs efforts, car les circonstances actuelles travaillent pour eux et leurs idées.
Les gouvernants et les classes dirigeantes peuvent se fermer les yeux pour ne point voir la misère de leurs frères, se boucher les oreilles pour ne pas entendre leurs gémissements, s'endurcir le cœur pour ne pas compatir avec leurs souffrances, mais ils ne peuvent empêcher que nos idées fassent quand même leur chemin et préparent la voie aux réformes de demain.
Armand TURPIN