Dans notre numéro de janvier, nous donnions une esquisse de l'emprise de la finance internationale sur la civilisation de deux continents au cours des deux cent cinquante dernières années. Nous notions en passant l'action remarquable de Lincoln pour affranchir l'Amérique d'un joug dont il comprenait toute la hideur. A nulle époque peut-être, dans le passé, les financiers internationaux ne trouvèrent-ils leur monopole aussi directement menacé, et quelques documents contemporains nous renseignent sur leurs activités en même temps que sur l'esprit qui les a toujours animés.
On sait que Lincoln fit trois émissions de monnaie, sans passer par les banques et sans signer de débentures, pour un montant total de 450 millions. Ce furent les greenbacks, dont, après quinze années de litige, il resta définitivement 346 millions en circulation. C'était la première fois que le gouvernement américain exécutait le mandat qui lui est confié par la constitution — la création de la monnaie et la réglementation de sa valeur. C'était secouer le joug imposé par les financiers internationaux dès le berceau de la grande république. C'était aussi poser un acte qui pourrait trouver des imitateurs et signifier la fin du contrôle par les profiteurs privés. Aussi les intéressés eurent-ils soin d'intervenir rapidement. Les financiers internationaux pressèrent les banquiers de la nation américaine de
"soutenir les journaux quotidiens et hebdomadaires qui dénonceraient l'émission de greenbacks, et de retirer leur patronage et leurs faveurs à tous ceux qui ne s'opposeraient pas à l'émission de monnaie par le gouvernement.".
Les États-Unis étaient en proie à la guerre civile, la guerre de sécession. Les souffrances du peuple ne touchaient aucunement les financiers internationaux qui avaient eux-mêmes décidé, plus de trois ans auparavant, qu'il fallait provoquer une guerre pour affaiblir les États-Unis, afin d'y mieux affermir leur monopole. Ce qui les outrait, c'est qu'en plein cœur de cette guerre, le chef du pays qu'ils voulaient passer sous leur botte osât défier leur puissance. Aux efforts courageux et honnêtes de Lincoln, il fallait opposer une campagne d'influence sur les dirigeants des cercles financiers américains et sur l'entourage du président. La circulaire infâme de 1862, signée par Hazzard, du groupe international de Londres, favorisait l'abolition de l'esclavage de la personne, mais seulement pour le remplacer par un esclavage de forme plus subtile. Remarquons en passant qu'il convenait qu'une circulaire approuvant l'abolition de l'esclavage sortit du groupe de Londres, puisque les financiers internationaux avaient décidé que le groupe de Londres soutiendrait financièrement le nord, tandis que le groupe de Paris soutiendrait financièrement le sud, faisant durer la guerre assez longtemps pour affaiblir la nation américaine et lui passer les menottes.
La circulaire de Hazzard fut donc adressée à tous les banquiers d'Amérique, ainsi qu'à chaque sénateur et à chaque membre du congrès :
“L'esclavage de la personne sera probablement aboli par la force de la guerre. Mes amis d'Europe et moi-même favorisons ce résultat, car l'esclavage n'est que la possession du travailleur et comporte pour le maître l'obligation de nourrir et faire vivre ses esclaves pour profiter de leur travail ; tandis que, dans le plan européen, conduit par l'Angleterre, c'est le capital (le prêteur d'argent) qui contrôle le travail en contrôlant les salaires." (C'est le plus ou moins d'argent en circulation qui détermine en définitive le niveau des salaires.)
"Ce résultat s'obtient par le contrôle de l'argent. Les prêteurs-d'argent verront à ce que la guerre entraîne une grosse dette qui permettra de contrôler le volume de la monnaie. Pour cela, il faut que les débentures servent de base à la banque. Nous attendons maintenant que le Secrétaire du Trésor fasse cette recommandation au Congrès. "Ce n'est pas bon de laisser circuler tant soit longtemps la monnaie nationale (les greenbacks), car nous ne pouvons contrôler cette monnaie-là. Mais nous pouvons contrôler les débentures et, par elles, les émissions bancaires."
Dix ans plus tard, l'Amérique avait subi la transformation de l'esclavage personnel en dictature financière, et Horace Greeley pouvait écrire en 1872 :
"Nous avons brisé les liens de quatre millions d'êtres humains et placé tous les travailleurs sur le même palier, non pas tant en élevant les anciens esclaves qu'en réduisant pratiquement toute la population ouvrière, les blancs comme les noirs, à l'état de servitude. Tout en nous vantant de nobles actions, nous avons soin de dissimuler une plaie sociale purulente : par notre système monétaire inique, nous avons nationalisé un système d'oppression qui, s'il est plus raffiné, n'est pas moins cruel que l'ancien esclavage de la personne."
Un homme d'état de l'époque, le chancelier Bismark, d'Allemagne, était bien placé et renseigné pour comprendre mieux que beaucoup d'autres ce qui se passait. La révélation faite par lui à l'Allemand Conrad Siem en 1876 jette une lumière sur la trame d'évènements auxquels nous venons de faire allusion :
"La division des États-Unis en fédérations de forces égales fut décidée longtemps avant la guerre civile par les hautes puissances financières d'Europe. Ces banquiers craignaient que la nation américaine, en restant un bloc uni et solide, renversât leur domination financière sur l'univers. La voix des Rothschild prévalut. Ils prévoyaient d'immenses avantages s'ils pouvaient substituer deux démocraties faibles, endettées aux financiers, à une république vigoureuse qui se suffisait pratiquement à elle-même. Aussi envoyèrent-ils leurs émissaires exploiter la question de l'esclavage et, au lieu d'amener une entente, creuser un abîme entre les deux parties de la république. Lincoln ne soupçonnait pas ces machinations souterraines. Il était contre l'esclavage et fut élu comme tel. Son caractère l'empêchait d'être l'homme d'un parti. Lorsqu'il eut les affaires bien en main, il s'aperçut que ces financiers sinistres d'Europe voulaient faire de lui l'exécuteur de leurs desseins. Ils rendirent la rupture entre le nord et le sud imminente, puis la firent éclater. La personnalité de Lincoln les surprit. Sa candidature ne les avait pas impressionnés : ils pensaient pouvoir facilement duper ce simple bûcheron. Mais Lincoln lut leur plan et comprit que le principal ennemi n'était pas le sud, mais les financiers."
La citation de Bismark mentionne les Rothschilds. Cette maison juive a contribué largement à instaurer dans le monde le système monétaire de philosophie parfaitement juive que subit toute l'humanité. Décorée de titres aujourd'hui, elle opère plus silencieusement, mais non moins efficacement, avec d'autres congénères, congénères de race ou de spiritualité.
À l'époque considérée, ils étaient au premier rang pour essayer de mettre le grappin sur l'Amérique qu'ils n'avaient ni découverte ni défrichée. Les documents qui suivent sont révélateurs de la mentalité des maîtres de l'argent ; ils démontrent aussi combien nous avons tort de dormir pendant que les loups rôdent, ou de nous laisser hypnotiser par les beaux champions de la "monnaie saine". Où étaient donc à cette époque les lumières du peuple ? Pourquoi Lincoln devait-il lutter seul, incompris, mal soutenu même par son congrès ? Et où sont-elles aujourd'hui, chez nous, les lumières du peuple, pendant qu'on immole continuellement la santé physique, les valeurs intellectuelles, les caractères et les vies de nos enfants, de nos jeunes gens, de nos femmes, de nos hommes, à la rareté artificielle de l'argent ?
La lettre suivante, des Frères Rothschilds, de Londres, est adressée à une firme bancaire internationale de New-York :
Londres, 25 juin 1863.
MM. Ikleheimer, Morton & ; Vandergould,
New-York.
Messieurs,
Un certain M. John Sherman nous écrit d'une ville de l'Ohio, concernant les profits que pourrait faire une institution bancaire opérant à la faveur d'une loi récente soumise à votre Congrès. Nous vous incluons copie de la lettre de M. Sherman Apparemment, la loi en question fut préparée conformément au plan formulé l'été dernier par l'Association des Banquiers d'Angleterre. Cette association recommandait à nos amis américains ce plan qui, traduit en loi, serait très profitable à la fraternité des banquiers dans le monde entier.
M. Sherman déclare que jamais les capitalistes n'eurent aussi belle occasion d'accumuler de l'argent, et que l'ancien système des banques d'états est tellement impopulaire que le nouveau système va être reçu avec faveur, malgré qu'il donne aux National Banks le contrôle absolu de la finance du pays. Les quelques Américains capables de comprendre le système, dit-il, ou bien sont intéressés au profit du nouveau système ou bien en dépendent pour des faveurs ; ce ne sont donc pas eux qui feront opposition. Quant aux autres, la grande masse du peuple, ils sont mentalement incapables de saisir les immenses avantages qu'en tirera le capital et ils vont accepter le fardeau sans se plaindre, peut-être même sans soupçonner que le système est contraire à leurs intérêts.
Veuillez nous passer vos conseils là-dessus, et aussi nous dire si vous pouvez nous aider au cas où nous déciderions d'établir une National Bank dans la ville de New-York. Si vous connaissez M. Sherman (on dit que c'est lui qui fut le parrain de la loi), nous serons content d'avoir des renseignements sur son compte. Si nous nous servons de l'information qu'il nous a transmise, nous saurons évidemment faire due compensation. Attendant votre réponse, nous demeurons,
Vos serviteurs respectueux,
Rothschild Brothers.
Nous prions nos lecteurs de méditer attentivement ce document. Ils y verront au moins : que la loi bancaire américaine de 1862 fut rédigée d'après un plan élaboré à Londres ; que cette loi était préparée pour le grand profit de la fraternité des banquiers du monde entier (peste du peuple américain !) ; qu'un homme public américain membre du Congrès, aspirant à la plus haute représentation de ses concitoyens, traitait avec les Rothschilds de Londres pour le profit des banquiers ; que ce même homme public (Sherman) divisait les Américains en trois classes, toutes faciles à bien tenir à genoux : les intéressés, les aspirants aux faveurs des financiers et la multitude ignorante. Cette dernière accepte tout "sans se plaindre", sans même soupçonner qu'on la sacrifie. Évidemment, un individu comme Sherman est un homme à pousser et à récompenser.
Voici maintenant la réponse de la firme bancaire internationale de New-York aux Frères Rothschilds de Londres :
New-York, le 5 juillet 1863
MM. Rothschild Brothers,
Londres (Angleterre).
Messieurs,
Nous accusons réception de votre lettre du 25 juin, dans laquelle vous parlez de l'Hon. John Sherman, de l'Ohio, concernant les avantages et les profits à retirer d'un placement américain aux termes de la loi des National Banks.
Le fait que M. Sherman parle favorablement d'un tel placement ou d'un autre analogue, est certainement d'un grand poids, car ce monsieur possède à un degré marqué les caractéristiques distinctives du financier moderne adroit. Il est doué d'un tempérament tel que, quels que soient ses sentiments, il ne perd jamais de vue la chance principale. Jeune, sagace, ambitieux, il a les yeux fixés sur la présidence des États-Unis et est déjà membre du Congrès. Il pense à bon droit qu'il a tout à gagner, politiquement et financièrement (il a des ambitions financières aussi), en soignant l'amitié de personnes et d'institutions financièrement riches, qui, au besoin ne sont pas trop scrupuleuses dans leurs méthodes, soit pour obtenir l'aide du gouvernement, soit pour se protéger contre une législation adverse. Ici nous avons implicitement confiance en lui. Son intelligence et son ambition se combinent pour nous en faire un instrument précieux. Vraiment, si sa carrière n'est pas trop courte, nous prédisons qu'il sera le meilleur ami que les intérêts monétaires mondiaux aient jamais eu en Amérique.
Concernant l'organisation ici d'une National Bank et la nature et les profits d'un tel placement, nous prenons la liberté de vous référer à la circulaire imprimée ci-incluse. Les demandes de capitalistes européens sur ce sujet sont si nombreuses que nous avons cru plus commode d'exprimer nos vues sous une forme imprimée.
Si vous décidez d'instituer une banque dans cette ville, nous serons heureux de vous assister Nous pouvons facilement trouver des amis financiers pour composer un directorat satisfaisant et remplir les positions officielles non occupées par les représentants personnels que vous enverrez.
Vos très obéissants serviteurs,
Ikleheimer, Morton & Vandergould.
L'homme public que la finance canonise : l'adroit, le sagace, l'ambitieux, celui qui sacrifie tout à sa fin, qui sait s'allier les institutions financières riches et pas trop scrupuleuses.
La bonne loi pour l'Amérique : celle qui intéresse tellement les capitalistes européens qu'il faut faire imprimer une circulaire pour répondre à leurs demandes de renseignements.
La circulaire doit être édifiante elle aussi, sortant d'un pareil repaire de bandit. En effet, la circulaire exprimant les vues de la firme new-yorkaise (mais pas américaine) contient seize points, dont ceux numérotés 12, 13, 14 et 15 seront particulièrement appréciés de ceux qui veulent connaître l'ennemi public No 1. Les voici :
Soulignons ce dernier alinéa. Par leur action concertée, les banques peuvent, en quelques jours, rendre l'argent rare et faire tomber tous les prix, et cela leur fournit d'immenses possibilités de spéculation. La politique des banques, c'est la rareté de l'argent. Les "inflations" momentanées qui sont aussi leur œuvre, ne peuvent durer ; elles entrent dans le plan pour promouvoir des engagements et préparer les grosses confiscations des périodes de crise qui suivront sans tarder. L'argent doit manquer continuellement entre les mains du peuple, afin que le peuple vienne toujours, par ses gouvernements ou ses entrepreneurs agricoles et industriels, en emprunter à la source des profits privés. Cette politique d'argent rare, d'épuisement monétaire du public, est clairement exprimée dans la circulaire suivante, expédiée en 1877, du numéro 247, rue Broadway, New-York, à tous les banquiers des États-Unis, au nom de l'Association des Banquiers de New-York, Philadelphie et Boston. La circulaire est signée du nom de James Buel, le secrétaire de l'association :
"Cher Monsieur,
Il est recommandable de faire tout en votre pouvoir pour soutenir tels journaux quotidiens ou hebdomadaires importants, surtout les organes agricoles et religieux, qui s'opposeront à l'émission de monnaie nationale (greenbacks), et de retirer votre patronage à tous les requérants qui ne sont pas prêts à s'opposer à l'émission d'argent par le gouvernement. Que le gouvernement se contente de la frappe des pièces et que les banques seules émettent le papier monnaie du pays ; c'est ainsi que nous pourrons mieux nous protéger mutuellement. Rappeler la loi qui crée les billets de banque et remettre au gouvernement le soin d'émettre toute monnaie, ce serait permettre au peuple d'avoir de l'argent, et cela affecterait sérieusement nos profits individuels comme banquiers et comme prêteurs. Voyez immédiatement votre congressman (député) et engagez-le à soutenir nos intérêts afin que nous puissions contrôler la législation."
Voir son député pour l'engager à soutenir les intérêts des financiers afin que les financiers contrôlent la législation ! Avons-nous raison, nous de la Ligue du Crédit Social de la Province de Québec, d'enrôler et organiser le peuple, la multitude des citoyens, pour faire une pression efficace sur les députés et annuler le pression depuis longtemps organisée de la finance et de la banque ? La circulaire citée est de 1877 et, depuis ce temps, la fraternité des banquiers n'a rien relâché de sa force organisée, au contraire. Les événements récents nous le prouvent.
Il ne faut pas que le peuple ait de l'argent, il faut qu'il dépende continuellement des banquiers. En coupant les vivres monétaires par la restriction de l'argent et du crédit, les banques causent les dépressions, font tomber les prix et raflent la richesse. On nous dit que c'est une panique, une perte générale de confiance, mais qu'est-ce qui cause cette panique, qu'est-ce qui détruit la confiance ? On a appelé "Circulaire de la panique" la circulaire adressée par l'Association des Banquiers Américains, le 12 mars 1893, à toutes les National Banks des États-Unis. C'était une semaine après l'inauguration du terme du président Cleveland, et les banquiers voulaient le rappel de la Loi de l'Argent passée trois années auparavant : cette loi neutralisait en partie la loi néfaste de 1873 dont nous parlions dans le Cahier de janvier. Les banques trouvaient le peuple trop indépendant d'elles ; il fallait diminuer l'argent en circulation. Voici le texte de la circulaire datée du 11 mars 1893 et expédiée le lendemain :
Cher Monsieur,
Les intérêts des banques exigent une législation financière immédiate de la part du Congrès. Il faut que les pièces d'argent, les certificats-argent et les billets du Trésor soient retirés de la circulation et que nos billets de banque sur base d'or (base dette publique) soient rendus seule monnaie légale. Cela exigera l'autorisation de nouvelles débentures (dettes) de 500 millions à un milliard comme base de la circulation. Vous retirerez donc immédiatement un tiers de vos billets en circulation et vous rappellerez la moitié de vos prêts en cours. Ayez soin de faire sentir la pénurie d'argent à vos clients, particulièrement aux hommes d'affaires. Préconisez une session extraordinaire du Congrès pour rappeler la clause d'achat de la loi Sherman, et agissez de concert avec les autres banques de votre ville pour obtenir du public une pétition monstre au Congrès en faveur du rappel sans conditions, d'après la formule ci-annexée. Servez-vous de votre influence personnelle près de votre congressman (député) et surtout exprimez nettement vos désirs à vos sénateurs. La vie future des banques demande une action immédiate, parce qu'il existe une tendance marquée en faveur des pièces d'argent et du papier-monnaie légal émis par le gouvernement."
L'Association bien organisée des banquiers gagna la partie contre un public non organisé. Une session spéciale du Congrès fut convoquée expressément pour démolir la confiance grandissante du peuple envers la monnaie gouvernementale. Pour obliger le peuple à recourir aux banques, il fallait la rareté de l'argent ; on la fit sentir dans toute l'Amérique et ce fut la crise qu'on appelle la panique de 1893.
Est-ce le ciel, la température ou le hasard qui causent les crises ? La rareté de l'argent est-elle provoquée sans dessein ? Qui en profite ? Le passage suivant est extrait d'une circulaire confidentielle de banquiers précédant de deux ans la panique de 1893 :
"Nous autorisons nos agents de prêts des États de l'Ouest à prêter nos fonds sur immeubles, remboursables le 1er septembre 1894, aucune échéance ne devant dépasser cette date. Le 1er septembre 1894, nous refuserons catégoriquement tout renouvellement de prêt. Ce jour-là, nous exigerons le remboursement de notre argent, sous peine de saisie des biens gagés. Les propriétés hypothéquées deviendront nôtres. Nous pouvons ainsi acquérir, au prix qu'il nous plaira, les deux tiers des fermes à l'ouest du Mississipi et des milliers d'autres à l'est de ce grand fleuve.
Nous pourrons même posséder les trois quarts des fermes de l'ouest et tout l'argent du pays. Les cultivateurs ne seront plus alors que des locataires, comme en Angleterre."
La panique de 1907 n'eût pas d'autre cause que la concentration du crédit, celle de 1920, ni la crise actuelle non plus.
En mai 1920, une assemblée fut tenue secrètement par les membres de la chambre de Réserve Fédérale, le conseil consultatif de Réserve Fédéral et 36 directeurs de la classe A des banques de Réserve Fédérale. On sait qu'il s'agit du système américain de 12 banques centrales, propriétés privées des banques membres, système établi sur le plan décidé à Londres, par l'intervention du financier juif international Paul Warburg. Après une discussion d'une journée, l'assemblée décida une contraction de la monnaie et du crédit de la nation. Ce fut fait, et dès juillet suivant, tous les prix s'affaissèrent, les produits agricoles tombèrent à moins de la moitié de leur prix, on eut la crise de 1920-22.
L'émission du crédit par les banques à l'état de dette, et le remboursement de ces crédits aux conditions posées par les banquiers placent le monde à la discrétion des banquiers qui opèrent sur un palier international. Les crises sont universelles. Tous sont frappés.
En 1929, la compression soudaine des crédits fit baisser de 20 milliards aux États-Unis les dépôts et prêts à demande. Cette saignée pouvait bien affaiblir le corps économique ; les transactions par chèques baissèrent de 1200 milliards, les deux tiers de la monnaie à la disposition du commerce et de l'industrie.
Si le banquier est le créateur du crédit qui sert de monnaie, il en est aussi le destructeur, et le passage de ce crédit dans le corps économique lui laisse une dette cancéreuse.
Le grand pape qui vient de mourir disait juste : "Ceux qui contrôlent la monnaie et le crédit sont devenus les maîtres de nos vies."
La haute finance est organisée pour contrôler la législation, pour dicter à l'univers son niveau de vie. Il ne faut rien moins, pour terrasser cet ennemi puissant, que l'organisation de tout le peuple, de la multitude elle-même. D'aucuns nous blâment, nous de la Ligue du Crédit Social, de présenter la question monétaire au public, au lieu de la discuter simplement avec les économistes ou les autorités. Nous le faisons, parce que nous voulons des résultats, nous voulons un changement qui presse. Si, au temps de Lincoln, le public américain avait connu la question monétaire, ce n'est pas l'assassinat de ce grand homme qui aurait permis à la finance de resserrer ses mailles sur le continent américain. Si le public canadien de toutes les provinces avait étudié la question monétaire dès 1933 comme on l'a fait généralement en Alberta, la crise serait finie depuis 1935 et la finance internationale n'aurait plus rien à dire dans nos destinées. Des hommes isolés, on en a toujours trouvés, et ce furent souvent des héros ; mais parce qu'ils ne surent ou ne purent passer leur lumière au peuple, le peuple est resté dans la servitude. Jefferson, Lincoln, Greeley, Lindberg, Woodrow Wilson, et d'autres aux États-Unis constatèrent, dénoncèrent, mais rien ne changea, parce que la multitude ignorait.
Ce ne sont pas les discussions académiques dans des chambres bien confortables qui vont faire cesser la misère, ou elle le serait depuis longtemps.
Les fronts couronnés de titres ou de diplômes qui se contentent d'assister, passifs, sinon récalcitrants, à la grande lutte pour la libération économique, peuvent simplement s'attendre à se voir découronner de leur prestige lorsque le public, enfin éclairé et délivré, se demandera où étaient ses lumières pendant qu'il gémissait dans la servitude.