Par le R. Père PETER COFFEY, Docteur en Philosophie
III
Le Père Coffey, nous l'avons vu, trouve le système monétaire vicié et responsable de la misère des masses dans un monde d'abondance. Il conclut qu'il faut le corriger.
Comment ? D'abord en soustrayant à des particuliers, irresponsables envers la société, le privilège de fabriquer et de détruire la monnaie. Ils contrôlent par là, le volume de l'argent, du sang de la vie économique. Ils règlent le niveau de vie de l'humanité, non pas d'après les biens terrestres disponibles, mais d'après la quantité d'argent présent, puisque l'argent est devenu le titre aux biens.
C'est à l'État, c'est-à-dire à la société organisée, de veiller à ce que le système monétaire serve au lieu d'asservir.
Cela ne veut pas dire que le gouvernement doive lui-même faire office de banque. Mais il doit contrôler l'objectif, dicter le résultat.
Le Père Coffey rappelle d'abord la remarque du Pape :
"Il est certaines activités économiques qu'il est préférable de confier à l'État, parce qu'elles sont trop importantes et trop sujettes aux risques des monopoles privés pour les laisser à l'initiative individuelle".
Le Père Coffey, comme notre Père Lévesque, croit que l'émission et le rappel du crédit, le contrôle du volume d'argent en circulation, doit se ranger dans cette catégorie. La détermination du niveau de vie des citoyens ne doit pas être soumise aux caprices, pas même au jugement de quelques endetteurs. Elle doit dépendre des faits, des possibilités, et c'est à l'État responsable d'ordonner l'argent en conséquence :
Selon les termes du Père Coffey,
"L'État doit donc, par des actes législatifs :
a) Déterminer la fonction propre du système monétaire ;
b) Passer des lois pour que cette fonction soit accomplie.
Donc, tracer les grandes lignes de la politique bancaire qui doit présider à l'émission et au retrait du crédit de la société".
Ces grandes lignes sont connues : il faut que le régime d'émission et de retrait laisse suffisamment d'argent en circulation pour permettre l'écoulement de toute la production utile possible, et que chaque membre de la société soit assuré d'au moins une part suffisante de ces biens utiles.
"La réalisation d'une telle réforme monétaire aurait pour effet :
a) de permettre aux employeurs d'accorder à leurs employés un salaire familial. Chose impossible aujourd'hui, car la hausse des salaires élèverait les prix au-dessus de la bourse des consommateurs et amènerait la faillite de l'employeur ;
b) de permettre l'application des principes de la justice distributive : une plus grande diffusion de la propriété privée parmi les ouvriers et les classes prolétaires."
Mais est-il nécessaire, pour en venir là, que tout le monde connaisse et comprenne les défectuosités du système monétaire ? Pas du tout. Pas plus qu'il est nécessaire pour le gouvernement d'être expert dans les méthodes financières. C'est toujours la distinction entre objectifs et méthodes dont nous faisions un article spécial en page 2 de notre dernier numéro (15 juillet).
Le public demande un système d'argent qui fonctionne pour son bien. Le gouvernement ordonne aux experts de faire fonctionner le système monétaire pour le bien du public.
Autrement dit, le public fait connaître son objectif. Le gouvernement transmet aux gens en charge l'ordre d'accomplir cet objectif par les méthodes qu'ils jugeront les mieux appropriées.
Point n'est besoin pour une femme de connaître la technique de l'électricité. Il suffit qu'elle sache que l'électricité est une chose fort possible et fort utile dans une maison, pour qu'elle en réclame l'installation.
D'après notre auteur :
"Il n'est pas possible, ni nécessaire, pour la majorité des citoyens de comprendre les défectuosités du système monétaire actuel, ni la technique des modifications à y apporter. Le peuple doit seulement se rendre compte :
a) Que le vice fondamental de notre organisation économique présente est la rareté d'argent en face d'une abondance potentielle de richesses ;
b) Qu'il est possible de remédier à ce mal financier.
Le devoir du peuple est alors d'élire au gouvernement des hommes déterminés à passer la législation nécessaire pour appliquer le remède.
Et quel est le devoir du gouvernement ? Savoir quelles méthodes prendre pour mettre suffisamment d'argent en circulation ? Savoir tenir les comptes ? Pas le moins du monde. C'esl là affaire d'experts. Pour le gouvernement, il suffit qu'il soit ni sourd ni muet. Qu'il entende la voix du peuple qui réclame l'objectif. Puis qu'il communique les ordres aux experts. Il fait la loi pour fixer l'objectif, et il donne aux administrateurs du système l'ordre d'exécuter la loi :
"Le devoir du gouvernement politique et des hommes d'état qui voudront partager ses responsabilités, sera de faire adopter les lois nécessaires pour fixer la politique financière nationale. Puis donner aux administrateurs actuels du système bancaire l'ordre d'agir en sorte que le but indiqué par cette politique soit atteint".
C'est cela la véritable démocratie.
Quant à ceux qui ont reçu la lumière, qui enseignent, tant dans l'Église que dans l'État, le Père Coffey leur rappelle qu'il leur appartient "non seulement de formuler des principes sains pour la conduite des hommes dans leurs relations politiques, économiques et sociales, mais aussi d'étudier les conditions qui prévalent actuellement dans ces relations. Puis de se mettre en mesure d'appliquer équitablement les principes aux faits."
Autrement dit, descendre des nuages vers le concret. S'évader dans les principes et laisser faire les techniques les plus désastreuses, c'est de la lâcheté chez quiconque se pique d'être de l'élite intellectuelle.
Dans la prochaine tranche de cette série, nous verrons quels faits dans le système monétaire, crèvent les yeux les plus myopes, et à quelles causes le Père Coffey les attribue.