Par le Rév. Père PETER COFFEY, Docteur en Philosophie
Dans la première partie de son étude, le R. Père Coffey conclut de son diagnostic des conditions économiques actuelles que le mal se situe dans le système monétaire. Les biens sont abondants, mais n'entrent pas dans les maisons, faute d'argent.
D'où l'urgence d'étudier la question de l'argent.
L'argent n'est pas la richesse. Ce n'est qu'un titre à la production. L'argent n'a en lui-même aucune valeur ; il tire sa valeur des conventions établies, de la confiance que lui font les membres de la société. Non pas de l'or, quand même le veau d'or aurait des dimensions colossales. S'il n'y avait pas de biens, de marchandises ou de services pour répondre de l'argent, l'argent ne vaudrait rien.
Selon le Père Coffey :
"La monnaie est essentiellement un système de "tickets" ou bons pour faciliter les échanges de biens. La valeur ou validité de l'argent est basée sur la confiance que les hommes ont dans la capacité productrice de leur pays.
"La fonction naturelle de l'argent est d'assurer continuellement la distribution de tous les biens utiles que le peuple peut produire et dont il a besoin".
Puisque l'argent est basé sur la confiance mutuelle et sur la capacité de production du pays, il est clair que l'argent doit varier d'après la capacité de production du pays pour assurer l'écoulement des biens. Autrement, il n'atteint pas son but, il n'accomplit pas sa fonction et frustre la confiance dans le pays.
Seul l'État peut conférer à l'argent son caractère d'acceptabilité, comme c'est aussi l'État qui peut constater la capacité totale de production du pays et régler le volume de l'argent en conséquence :
"Il est du devoir de l'État de contrôler ce système d'émission de "tickets" et leur cancellation, selon le niveau des biens à écouler, de telle sorte que le système atteigne son but."
Malheureusement, dans tous les pays civilisés modernes, les gouvernements ont lamentablement failli à ce devoir. L'argent est devenu une arme de puissance détenue par quelques particuliers au détriment de toute la multitude :
"Tous les gouvernements modernes ont négligé leur devoir, en abandonnant le contrôle du système monétaire à un petit groupe d'hommes qui se fichent de la fin première de l'argent et lui font atteindre un but diamétralement opposé. Ces hommes ont ainsi la haute main sur tout le pouvoir économique et même politique de la société.
"Dans son encyclique Quadragesimo Anno, le Pape Pie XI attire l'attention du monde chrétien sur ce monopole international de la finance et indique quelques-unes de ses conséquences les plus désastreuses".
Tout le monde sent le poids de ce monopole. Mais de quelle manière opère-t-il ? De quelle manière ceux qui l'exercent contrôlent-ils la quantité d'argent dans un pays ?
"Les contrôleurs du régime financier actuel, c'est-à-dire les maîtres du système bancaire se sont fait réserver le droit d'émettre l'argent. Or ils ne créent et mettent l'argent en circulation que sous forme de dette qu'il faut leur rembourser avec intérêt. Par les remboursements qu'ils exigent à date fixe, ils retirent et annulent cet argent, avant même que les biens produits aient atteint les consommateurs.
"Vu que l'argent est le véhicule pour faire passer les biens du producteur au consommateur, la disparition de l'argent enlève au peuple le pouvoir d'acheter toute la production faite pour lui. Le système bancaire, en retirant ainsi l'argent à contretemps et en retirant plus d'argent qu'il en avait émis, établit la rareté de l'argent en face des produits et en face du travail qui demande emploi.
"De là les exportations et la concurrence effrénée pour les marchés étrangers, parce qu'il n'y a pas assez d'argent dans le marché domestique. De là, les dettes internationales. De là, les conflits économiques conduisant à la guerre. De là aussi, les hypothèques progressives sur l'agriculture, l'industrie, le capital et les ressources naturelles de la société — hypothèques qui placent l'univers à la merci de ce monopole bancaire mondial".
Ce ne sont pas seulement les particuliers, mais les gouvernements eux-mêmes qui signent des servitudes, des hypothèques du présent et de l'avenir envers les créateurs de l'argent. Ceux-ci, malgré qu'ils tiennent du gouvernement la législation de leur monopole, ne font aucun argent pour le gouvernement sans lui faire signer l'engagement de rapporter plus qu'ils en font. Les gouvernements deviennent ainsi les débiteurs, les mendiants à la porte des banquiers. Ils se trouvent forcés de se soumettre à la volonté des banquiers et des quelques ploutocrates qui gravitent dans l'orbite des banques :
"Une autre conséquence désastreuse soulignée par le Pape, c'est la mise en esclavage, la soumission complète de l'État, de tous les gouvernements, de tous les organismes politiques, vis-à-vis d'une ploutocratie qui n'est, en somme, qu'un État dans l'État. Véritable pouvoir politique usurpé et conduit par les monopoleurs qui contrôlent l'argent, le sang même de la vie économique.
"C'est là une inversion néfaste de l'ordre. L'organisme industriel et économique de la société devrait être subordonné à l'organisation politique attitrée. Dans le domaine temporel, le pouvoir politique régulier doit être suprême. Son autorité, en effet, découle de Dieu, et non pas de la force ou de la ruse de ceux qui, animés par des sentiments de domination et de lucre, ont usurpé le pouvoir économique en usurpant le contrôle de l'argent".
On sait que l'Église préconise le rétablissement de l'ordre naturel, qui est un ordre corporatif. Décentralisation des pouvoirs ; autonomie des groupes naturels dans lesquels évolue la personne humaine. Ces groupes restent subordonnés à l'État comme organes faisant partie d'un corps, mais doivent pouvoir exercer eux-mêmes leurs fonctions propres. Ce n'est pas à la tête de faire l'office des bras. Mais comme le signale le Père Coffey après le Pape, les conséquences de notre système monétaire, avec ses montagnes de dettes et d'hypothèques, amènent justement la mise en tutelle des organismes inférieurs et la paralysie de leur fonctionnement propre :
"Les hypothèques créées par la méthode d'émission de l'argent sont rendues à tel point que, tout en reconnaissant encore la propriété nominale et légale des individus et des industries, le vrai pouvoir qui devrait caractériser le capital privé réside entre les mains des contrôleurs du crédit financier. Le poids des hypothèques, des dettes est devenu trop lourd et l'État se voit forcé d'intervenir et de prendre sous sa tutelle l'exercice de maintes fonctions économiques qui appartiennent de droit aux organismes économiques subordonnés à l'État. "Le Pape Pie XI, dans Quadragesimo Anno, indique quelques-uns de ces organismes coopératifs — guildes ou corporations — par lesquels seraient instaurées des méthodes plus efficaces de production et de distribution des richesses.
"Mais ils ne pourront atteindre leur objectif que si l'État commence par assujettir à l'industrie le système monétaire du pays en le dirigeant légitimement vers son but : distribuer les produits de la société considérée comme productrice à la société considérée comme consommatrice".
Une réforme du système monétaire s'impose donc. Notre prochain numéro dira quels sont, d'après le Père Coffey, les principes directeurs qui doivent présider à cette réforme.
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M. R. G. Casey, nouveau-ministre d'Australie aux États-Unis, est le représentant direct des intérêts bancaires privés. Surveillez-le. (Money, mai 1940.)