Par JOS.-ÉLIE BÉLANGER, B.A., M.D., L.C.M.C.
et JEAN-ÉLIE BÉLANGER, B.A., L.S.C.
Le dividende national réclamé par les Créditistes, ou le "minimum vital appartenant de droit à tout membre de la nation canadienne, est basé sur le rendement du capital social, propriété commune de tous les Canadiens, et sur les surplus qui résultent de ce rendement.
Dans le numéro de janvier des "Cahiers du Crédit Social”, nous avons donné quelques aspects du capital social (appelé Progrès par certains économistes). Nous ajoutons quelques commentaires, avec exemples simples, pour bien établir la base du dividende, et démontrer ensuite la possibilité mathématique du dividende national pour tous les Canadiens.
Qu'est-ce que le capital social? C'est tout simplement l'ensemble de notre civilisation moderne. Il comprend tout notre système d'enseignement avec ses divisions et ses spécialités : formation et instruction de la jeunesse, cours de tous genres, entraînement professionnel, sciences théoriques et appliquées dans tous les domaines des activités humaines.
C'est le résultat de la pensée et des sueurs de nos ancêtres, des travaux, accomplis par tous les travailleurs manuels et intellectuels pendant une suite de siècles. C'est l'état actuel des inventions et améliorations transmises de génération en génération jusqu'aux perfectionnements récents que représente notre âge de la machine. C'est le résultat de la coopération, du bon ordre et de la charité chrétienne prescrits par le Décalogue, des lois élaborées et appliquées par nos gouvernements, des méthodes scientifiques imaginées par les savants et les érudits.
Un simple exemple est souvent plus explicite que toutes les descriptions. Quand vous achetez une Bible, payez-vous toute la valeur de ce trésor ? Jamais ! Vous ne payez que les frais intermédiaires de la fabrication du livre : le papier, l'impression et la reliure. À qui appartient réellement la Bible ? À toute la chrétienté. Elle fait partie du capital social, elle est la source même du crédit, de la confiance mutuelle des hommes. Elle est une partie de notre héritage commun.
Pareillement, lorsque vous achetez une machine, est-ce que vous en payez toute la valeur ? Jamais ! Vous ne payez que le coût de la construction physique de la machine : le fer, l'acier, la facture des pièces, etc. et le montage. Que vaut cette machine sans le savoir de l'homme, sans la pensée humaine pour la diriger, et sans la masse des consommateurs qui en attendent des produits ? Un tas de ferraille ! La valeur principale de la machine appartient à la société, et l'acheteur n'acquiert que le droit de l'exploiter pour servir les membres de la collectivité, pour qui les produits de la machine sont un objet de nécessité ou de désir. La pensée originale et son adaptation, les plans, les calculs et leurs combinaisons, la composition des parties et leur analyse, la synthèse, l'agencement, le groupement et la transmission des forces et des résistances, les procédés d'extraction, de traitement, de réduction, d'affinage et d'usinage des métaux, les brevets et inventions, etc., etc., les connaissances et l'expérience nécessaires à ces travaux et ces opérations, ainsi que bien des œuvres conçues et accomplies au cours des siècles, tout cela est inclus dans la valeur de la machine, et doit être considéré comme autant de parties du trésor commun de la société.
Il en est ainsi de toutes les machines et de tous les instruments de production : leur valeur principale est notre bien commun par droit d'héritage, et nous la faisons croître durant notre génération pour la transmettre à la suivante.
Savez-vous ce que coûte la première automobile fabriquée à Détroit, chaque fois qu'on crée un nouveau modèle ? $7,000,000.00 (Voir "Liberty”, 3 déc. 1938, p. 29). Pourtant cette voiture n'est qu'une bien faible partie du capital social : c'est l'œuvre d'une seule usine. Toutes les voitures fabriquées d'après ce modèle, fait à la main et qui coûte si cher, se vendent pour environ $1,000, soit 1/7000e du coût initial. Le manufacturier fait de gros profits avec une seule part sur 7,000 parts. Cette part unique du manufacturier couvre tous les frais de matières premières, de salaires, d'intérêts, de taxes, d'amortissement, de chauffage, d'éclairage et de force motrice, de vente et de publicité, de comptabilité, etc. etc., avec les profits en plus. Il reste 6,999 parts à porter au crédit du capital social, car ces parts sont l'œuvre de la machine et de la science appliquée. Multipliez maintenant tous les millions de la première part par 6,999, et vous aurez une idée de la valeur du capital social pour un seul cas concret. L'éloquence de ces chiffres est vraiment stupéfiante ! Et l'on pourrait multiplier ces exemples par milliers.
Ce cas intéressant nous amène à considérer l'origine et la quotité1 du dividende national. Puisque le capital social est la source principale de tous les surplus dans le domaine de la production utile, ces surplus devraient être répartis entre tous les actionnaires ou tous les citoyens. Aucune participation directe à la production n'est requise, car le droit à ce partage fait partie de l'héritage de tous. Le manufacturier ou le fabricant se trouve constitué gardien de ces surplus, et il faut d'abord que le gouvernement constate et déclare les surplus. Il suffirait ensuite de distribuer à chacun des héritiers un gage, reconnaissant son droit au dividende : une part égale à chacun. Ces gages seraient offerts aux gardiens des surplus en échange des denrées et services. Le gage le plus rationnel est la monnaie nationale sous toutes ses formes, ou tout instrument de crédit garanti par le gouvernement.
Mais le surplus actuel est-il suffisant pour payer à chacun, hommes femmes et enfants, la somme de $20.00 par mois, minimum reconnu nécessaire à une "honnête subsistance" ? Les chiffres précis ne sauraient être fournis que par le bilan national réclamé par les Créditistes. Mais dans l'Annuaire du Canada 1937, nous trouvons des chiffres qui prouvent hors de tout doute l'existence d'un surplus suffisant pour le paiement d'un dividende d'au moins $20. par mois à tous les Canadiens.
Les chiffres pour l'année 1930 sont les plus exacts, lit-on dans l'annuaire, parce qu'ils sont basés sur les faits relevés en vue du recensement de 1931. Aux pages 217 et 220, la valeur nette de la production pour l'année 1930 est indiquée au chiffre de 3,335 millions de dollars. Cette valeur est forcément calculée aux prix de revient. Comment pouvons-nous avoir cette même production aux prix de détail, afin de la comparer avec le pouvoir d'achat du peuple ? La comparaison entre le total des ventes aux prix de gros et le total des ventes aux prix de détail, pour la même année, peut nous donner la relation nécessaire.
Total des ventes aux prix de gros (page 635) : 1,370 millions. Total des ventes aux prix de détail (page 638) : 2,755 millions.
Donc les ventes en détail ont été 201% des ventes en gros. En prenant la valeur nette indiquée ci-haut, 3,335 millions, et la multipliant par 201%, nous sommes certains de ne pas avoir un résultat trop élevé, puisque les prix de revient sont toujours inférieurs aux prix de gros. Effectuant cette opération (3,335 X 201 = 6,703) nous avons pour la valeur nette de la production aux prix de détail au moins 6,703 millions de dollars.
Or le montant total des achats au détail faits durant cette même année 1930 représente exactement le total du pouvoir d'achat effectif, soit 2,755 millions. Le reste des dépôts en banque est du pouvoir de placement ou du pouvoir d'achat différé. Nous voilà donc avec deux nombres que nous pouvons comparer pour établir le surplus national de l'année 1930, ou le montant qui a manqué entre les mains des consommateurs désireux d'acheter (la masse du peuple et surtout les chômeurs) pour acheter toute la production vendable.
Faisons cette comparaison (6,703 - 2,755 = 3,948), et nous trouvons un surplus de 3,948 millions, plus de la moitié de la production. Nous pouvons maintenant comprendre la véritable cause de la crise, soit dit en passant, car les producteurs ne continuent pas à produire ce qui ne se vend pas.
Le dividende national de $20 par mois à tous, hommes, femmes et enfants (11,000,000 de personnes), distribuerait un pouvoir d'achat éventuel de $220,000,000 par mois et 2,640 millions par année, comme suit : 11,000,000 X 20 X 12 – 2,640 millions. Dans le surplus de 3,948 millions, il y a donc amplement pour payer ce dividende, et il resterait encore une autre tranche à distribuer sous forme d'escompte compensé. Comparant cette tranche de 1308 millions (équivalent à 3,948 - 2,640) avec la production totale aux prix de détail :
1,308 / 6703 = 0.195 = 19.5%
Nous avons dans ces opérations la démonstration mathématique de la possibilité du dividende-national. Dans la marge entre les ventes aux prix de gros et les ventes aux prix de détail, il y a une partie des services de transport et de négoce, et c'est pour ne pas compter deux fois ces services que nous avons pris seulement la production d'utilités tangibles. Mais le surplus serait encore plus élevé s'il était possible d'avoir la production évaluée aux prix de gros au lieu des prix de revient. Pour cela il faudrait y ajouter la part des transports et du négoce qui se trouve entre ces deux séries de prix. Il y aurait aussi lieu d'ajouter la valeur des autres services, car dans le total des ventes au détail sont forcément compris les achats faits par les personnes occupées à ces services.
La méthode suivie nous donne donc des surplus très inférieurs à ceux que nous pourrions trouver si nous avions des statistiques mieux ordonnées vers le but visé.
Évidemment, avec de telles disparités entre la production et la consommation que permet le pouvoir d'achat, la prospérité ne peut régner. On pourrait même conclure que là réside la cause principale, sinon unique, de la crise, et que le remède préconisé par le Crédit Social devient une nécessité.
Nous voyons aussi que le dividende national d'au moins $20 par mois à tous, cette garantie de "l'honnête subsistance" à chacun des membres de la société, loin d'épuiser la capacité de production, ne suffit pas encore à établir l'équilibre : Il faut y ajouter l'escompte compensé. Si l'on songe en même temps aux immenses possibilités productives non utilisées, justement parce que l'insolvabilité des consommateurs limite les commandes, on aura une idée de la richesse de notre capital social.
En suivant attentivement le fil de ces simples opérations, on peut saisir le mécanisme de l'application du Crédit Social. Nous soumettons avec confiance ces problèmes aux professeurs d'économie politique et de mathématiques, dans l'espoir qu'ils admettront au moins la réalité des surplus.
Le but à atteindre est l'équilibre entre la production et le pouvoir d'achat du peuple. Le dividende fournit une tranche importante, l'escompte compensé variable fournit le reste et sert de mesure à tout le système.
Une fois l'équilibre établi pour une année, d'après les données de l'année précédente, cet équilibre ne demeure pas. La production, activée par les achats devenus plus nombreux, est lancée en avant, et automatiquement une nouvelle marge s'établit pour former le dividende et l'escompte de l'année suivante. Il faut aussi tenir compte de l'épargne. Plus il y aura de monnaie en circulation, plus l'épargne sera considérable, et de ce fait plus forte sera la marge utilisable pour le dividende et l'escompte. La limite ne peut être atteinte que par la pleine satisfaction des besoins des consommateurs. Il ne peut y avoir d'inflation tant qu'on n'a pas épuisé la capacité de production, tant que le crédit financier ne dépasse pas le crédit réel.
Ces chiffres, basés sur les statistiques officielles, établissent hors de tout doute la possibilité de payer un dividende de $20 par mois à tous les habitants du Canada. Ils prouvent clairement qu'il est facile d'assurer "à tous et à chacun" "l'honnête subsistance" réclamée dans Quadragesimo Anno. En cherchant sincèrement à mettre en pratique ce que le Pape recommande dans le domaine économique, on est sûr d'avancer fermement vers le relèvement de notre société si malade.
C'est vers ce but que tend le Crédit Social.
1) Quotité: définition petit Larousse: Somme fixe à laquelle monte chaque quote-part.