Qui est au-dessus des gouvernements ? — Dieu, direz-vous. Assurément, bien que plusieurs lui refusent sa place. Mais il est aussi une puissance humaine à laquelle aucun gouvernement ne semble pouvoir ou vouloir refuser la préséance — la puissance des créateurs d’argent. Les conquêtes les plus célèbres pâlissent à côté de la conquête silencieuse, durable et inexorable du petit groupe des chefs de la Banque d’Angleterre et de leurs satellites, peu nombreux mais solidement établis dans tous les pays civilisés. Bassesses, turpitudes, hypocrisie, mensonges, menaces, assassinats, chantage, intimidation, moquerie, corruption politique — toutes les armes sont bonnes pour ces bourreaux de l’humanité.
Dès 1694, la Banque d’Angleterre se fait octroyer le droit d’imprimer de la monnaie de papier et de la prêter à intérêt, déplaçant rapidement les « tallies » des rois d’Angleterre.
Napoléon lui-même, le génie devant qui l’Europe entière devait se courber, ne domina jamais les créateurs d’argent. Au contraire, il les flatta pour avoir leur appui. La fondation de la Banque de France (institution privée) en 1800 aida peut-être autant que ses canons à la conquête de l’Europe. Si le génie compte, on fait aussi des merveilles avec l’argent. Pourquoi celui qui avait vaincu la révolution française n’essaya-t-il pas l’émission de la monnaie par l’État? À qui obéissait-il?
Benjamin Franklin écrit que la cause déterminante de la guerre d’indépendance, qui fit perdre à la Grande-Bretagne son domaine colonial de la Nouvelle-Angleterre, fut la main-mise de la Banque d’Angleterre sur la monnaie des colonies. Les colonies avaient émis leur propre monnaie et s’en trouvaient bien. Les créateurs d’argent de l’Angleterre ne pouvaient souffrir, même au prix de belles colonies, cette atteinte à leur puissance. «Là où est l’argent, là est leur patrie.»
Les États-Unis eurent soin d’inscrire dans leur constitution qu’il appartiendrait au Congrès de frapper la monnaie et d’en régler la valeur. Mais, comme en Angleterre et ailleurs, le chameau sut bien mettre d’abord un pied dans la tente, puis finit par y entrer tout entier en expulsant le propriétaire. Toujours à la faveur de l’ignorance du public: un gouvernement ne résiste pas longtemps à la pression de la puissance indue quand l’opinion publique n’est pas là pour appuyer sa résistance. Dès 1787, John Adams, le successeur de Georges Washington, écrivait à Thomas Jefferson:
«Toutes les perplexités, la confusion et la détresse que l’on constate en Amérique proviennent, non de notre Constitution ou du Congrès, non de l’absence d’honneur et de vertu, mais plutôt de l’ignorance complète de la nature de l’argent, du crédit et de la circulation.»
Thomas Jefferson, devenu à son tour président des États-Unis, écrivait à Georges Logan en 1816:
«Si le peuple américain permet aux banques privées de contrôler l’émission de la monnaie, par des inflations suivies de déflations, les banques et les grosses compagnies qui grandiront dans leur orbite dépouilleront le peuple de toute propriété jusqu’à ce que nos enfants s’éveillent sans gîte et sans abri sur la terre conquise par leurs pères. J’espère que nous écraserons dans ce berceau cette aristocratie des puissances d’argent qui ose déjà provoquer notre gouvernement et défier les lois de notre pays.»
Il voyait juste. L’ancêtre des banquiers l’avait cyniquement déclaré un quart de siècle plus tôt: «Qu’on m’accorde le contrôle de la monnaie d’une nation et je me soucie peu de qui fait les lois de cette nation.» Mais les créateurs privés de la monnaie étaient déjà maîtres des lieux et le même Jefferson écrivait à James Monroe:
«La banque (le système privé des États-Unis) est complètement en selle et tient la bride; la banque est fermement installée sur notre dos et nous sommes contraints d’aller où elle nous conduit.» N’oubliez pas que c’était un chef d’état démocratique qui dictait ces lignes.
Plus tard, Abraham Lincoln, avec toute sa droiture et sa force d’âme, ne se contenta pas de constater, il voulut regimber et détrôner les sinistres usurpateurs et rendre à l’État ses droits. Un assassin soudoyé le réduisit au silence.
Plus tard encore, c’est le président Garfield, lui aussi fils du peuple, qui déclarait publiquement que «la main qui contrôle le volume de la monnaie d’une nation contrôle cette nation.» Quelle main arma et commanda l’assassin Guiteau? Les magiciens internationaux de la monnaie permettront tout excepté une monnaie constitutionnelle et honnête. (Gertrude Coogan)
Plus près de nous, en 1916, le président Wilson déclarait:
«Une grande nation industrielle est contrôlée par son système de crédit. Notre système de crédit est concentré. Le développement de la nation et de toutes nos activités est par conséquent entre les mains de quelques hommes. Nous en sommes venus à être l’un des gouvernements du monde civilisé sous la pire férule, l’un des plus complètement contrôlés et dominés. Ce n’est plus le gouvernement d’une opinion libre, «de la conviction et du vote de la majorité, mais un gouvernement dirigé par l’opinion et la force de petits groupes d’hommes dominateurs.»
Wilson fut élu pour un seconde terme; il fut pendant deux ans la vedette du domaine international, acclamé et proclamé. le plus grand chef de la plus grande des nations. Une puissance supérieure à la sienne le dominait dans son propre pays: il ne changea rien.
Hoover reconnut le même mal. «Pourquoi alors, lui demandait-on, ne restituez-vous pas ses droits au Congrès, puisque vous êtes chef?» — «On ne me le permettra pas.»
Au Canada, le soir du 14 octobre 1935, le Premier Ministre élu Mackenzie King, fort d’une majorité sans précédent, déclare: «Le scrutin d’aujourd’hui prouve que le peuple veut que le gouvernement dirige et la mise en circulation de la monnaie et la dispensation du crédit.»
Quelques jours plus tard, on apprenait la nomination au poste de ministre des Finances d’un directeur de la Banque Internationale Barclay, qui n’était pas député, dont le Premier Ministre élu ne voulait sans doute pas puisqu’il l’avait déjà eu en 1930 et qu’il n’avait pas insisté pour sa candidature à l’élection générale dont l’issue ne faisait de doute pour personne. Qui imposa Dunning à King?
À remarquer qu’il ne fut plus question de dispensations du crédit par le gouvernement. Il n’a pas manqué de journaux pour écrire que King avait choisi (?) le meilleur ministre des Finances que le Canada pût désirer dans les moments critiques que nous traversons.
Les gouvernements semblent avoir deux mandats à remplir, celui du peuple et celui de la finance. Ils remplissent le premier par des discours anesthésiques et le second par des actes silencieux. Les journaux comblent la trahison de fleurs et achèvent d’endormir l’opinion.
On constate, ainsi partout la déchéance du pouvoir souverain, comme l’écrivait le Pape Pie XI:
«L’État, qui devrait gouverner de haut, comme souverain et suprême arbitre, dans le seul intérêt du bien commun et de la justice, est tombé au rang d’esclave et devenu le docile instrument de toutes les passions et de toutes les ambitions de l’intérêt.» (Encyclique Quadragesimo Anno, 15 mai 1931)
Montagu Norman, gouverneur de la Banque d'Angleterre, disait, il y a quelques jours :
"Que le gouvernement nous dise — mais par la voie régulière — ce qu'il veut que nous fassions, et nous le ferons, comme si nous y étions obligés."
Comme si nous y étions obligés... (nous qui sommes au-dessus des gouvernements). La belle condescendance !... Et on l'applaudit !