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Un Lord anglais parle bon-sens

le dimanche, 01 février 1942. Dans Citations

Le 18 novembre dernier, la vieille Chambre des Lords, à Londres, aurait pu croire à une intru­sion créditiste en écoutant parler l'un de ses au­gustes membres, Lord Sempill.

Du discours de Lord Sempill, nous extrayons trois passages : l'un relatif au commerce d'impor­tation et d'exportation ; l'autre au chômage ; le troisième à la comptabilité fausse qui nous sert d'argent.

Nos lecteurs se demanderont sûrement si les bombes ne finissent pas par faire tomber des ca­taractes.

Exportations et importations

"Bien des fois, au cours des vingt et une années d'entre-guerres, les hommes d'état de divers pays, réunis dans des conférences aussi stériles que nombreuses, reconnurent l'obligation pour les na­tions d'accepter des importations en paiement de leurs exportations. On y convenait toujours que le commerce doit aller dans les deux sens.

"Mais, dès leur retour de ces conférences, les mêmes hommes d'état s'appliquaient à hausser les tarifs, à chercher de nouvelles méthodes pour exclure les importations, tout en usant de toutes sortes d'expédients pour augmenter les exporta­tions.

"Ils s'y trouvaient contraints, il faut le dire, par des motifs inséparables de l'économie cou­rante : le chômage dans leurs pays ; la certitude que, s'ils ne réussissaient pas à imposer aux au­tres nations des dettes impayables envers la leur, ce sont les autres nations qui placeraient la leur dans un état de dette impayable. Il est certai­nement impossible pour toutes les nations à la fois d'avoir une balance de commerce favorable. Si quelques nations obtiennent des balances de commerce favorables, les autres doivent nécessai­rement avoir des balances de commerce défa­vorables.

"... Il me semble, Vos Seigneuries, que ce pro­blème devrait être enlevé de l'arène internationale et replacé dans l'arène nationale, à laquelle il appartient en réalité. La hauteur, l'étendue des tarifs est affaire à discuter entre gens du même pays, entre les intérêts internes qui désirent ex­porter et les intérêts internes qui désirent une protection contre les importations concurrentes. Si une nation veut exporter et être payée pour ses exportations, il faut bien qu'elle accepte des importations. Dans la mesure où elle barre les importations, dans cette même mesure doit-elle cesser ses propres exportations, à moins bien en­tendu qu'elle désire faire des cadeaux...

Le chômage

"Je viens maintenant à la question vitale du chômage.

"Vos Seigneuries conviendront qu'il est absolu­ment absurde que des gens, dénués des nécessités de la vie, ne puissent avoir l'argent nécessaire pour les acheter, lorsque, vu la surabondance de ces biens, leur travail n'est pas nécessaire pour en produire davantage.

"Le chômage est, en réalité, un dérivé de la sous-consommation, de l'insuffisance de demande effective devant les biens que la nation peut pro­duire, du manque d'argent dans la poche de ceux qui veulent acheter.

"Si, durant les années précédant la guerre, nous avions su augmenter dans la masse le moyen de placer des commandes, il est clair que l'industrie aurait immédiatement fait appel au travail des bras disponibles pour faire face à l'augmentation des commandes. Les gens ainsi rappelés au tra­vail auraient eu des salaires au lieu de secours directs, ce qui aurait encore augmenté leur pou­voir d'achat, leur demande pour plus de produits.

"Le problème consiste simplement à hausser la demande effective, le pouvoir d'achat, au niveau de l'offre, au niveau de la production ; tandis que nos efforts, jusqu'ici, ont cherché à rabaisser l'offre au niveau du pouvoir d'achat, jetant au rancart de l'outillage productif en très bon ordre, limitant la production, détruisant délibérément de la vraie richesse.

"Lorsque le marché est encombré par un sur­plus de produits de toutes sortes, provoquant un ralentissement dans la production, la solution lo­gique qui s'impose n'est-elle pas d'augmenter la demande effective, le pouvoir d'achat, sans lier ce pouvoir d'achat à la production de choses qui existent déjà en abondance ?

"Le problème a pris sa forme aiguë moderne à la suite du développement mécanique des qua­rante dernières années. Une machine produit des biens, mais elle ne les consomme pas. Le prix de vente du produit fini comprend pourtant le salai­re de la machine, c'est-à-dire le capital et l'intérêt. Dans le passé, ces gages seraient allés à un grand nombre, et ces gens auraient employé leurs gages à l'achat des produits. Le salaire de la machine, lui, va à un petit nombre, aux propriétaires de la machine, qui, déjà saturés, ne sont guère suscep­tibles d'augmenter leur consommation des biens produits en masse.

"La production massive implique une consom­mation massive. La production ne peut continuer longtemps s'il n'y a pas d'acheteurs. Or, les sa­laires de la machine, entre les mains des capita­listes, ne sont distribués à des ouvriers que pour la fabrication d'autres machines qui augmentent encore la production massive tout en déplaçant des salariés. Et ainsi de suite, jusqu'à un niveau de production accumulée qui détermine un effon­drement, une crise...

Comptabilité fausse

"Après la dernière guerre, nous — comme le reste du monde — avions plus de techniciens, plus d'outillage perfectionné, plus de matières premières, qu'au commencement de la guerre. Nous étions capables de produire plus de choses de toutes sortes, plus de vraie richesse matérielle. Nous étions donc plus riches qu'avant la guerre. Oui, Messeigneurs, si l'on parle en terme de réalités.

"Si donc notre système de comptabilité exprime le contraire ; si, comme il le fait, il nous déclare plus pauvres qu'avant la guerre, il y a sûrement quelque chose de faux dans notre système de comptabilité. Les faits, eux, ne sont pas faux, ils existent, ils crèvent les yeux. Nous préférons croire que l'erreur est dans le système de compta­bilité, plutôt que dans nos sens à tous.

"La surabondance des choses utiles que nous produisions, nous l'avons appelée surproduction, au lieu de l'appeler sous-consommation. Nous avons accusé l'abondance, au lieu de blâmer un système financier qui ne distribuait pas assez de licences de consommation à un nombre suffisant de consommateurs. Au lieu d'augmenter le pou­voir d'achat qui manquait, nous nous sommes appliqués à limiter et détruire les produits qui attendaient preneurs..."

Lord Sempill termine par un appel en faveur d'un changement immédiat :

"Rien n'inspirerait autant d'enthousiasme à ceux qui combattent actuellement contre l'agres­sion, comme de savoir que le système économi­que, si peu en accord avec notre monde scientifique et technique, a enfin été remodelé. Je con­çois que la réforme de notre système financier exige du courage ; mais est-il nécessaire de rap­peler que la grandeur de notre Empire ne fut pas obtenue par nos pères en demeurant satisfaits des accomplissements de leurs ancêtres ?..."

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