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Sans or depuis le 1er mai

Louis Even le samedi, 01 juin 1940. Dans Histoire bancaire, Le Crédit Social enseigné par Louis Even

Le rapport de la Banque du Canada du 30 avril dernier portait l'item suivant :

Or, monnayé ou non............ $225,772,887.41 Le rapport de la Banque du Canada du lendemain, 1er mai, portait à la même ligne l'item : Or monnayé ou non.....

Rien, plus d'or. Pas même un dollar d'or dans la Banque du Canada !

Vous en êtes-vous aperçu ? Est-ce que votre argent a cessé d'avoir de la valeur ?

Lisez ce qu'il y a d'écrit sur un billet d'un dollar de la Banque du Canada :

"Banque du Canada paiera au porteur sur demande un dollar."

Présentez cette créance, le billet d'un dollar, à la banque du Canada. Que va-t-elle vous passer pour tenir sa promesse ?

On nous a fait croire longtemps que la banque nous donnerait de l'or, dollar pour dollar. Essayez pour voir.

Au fond, personne ne s'en porte plus mal, qu'il y ait de l'or ou qu'il n'y en ait pas. Celui qui a l'avantage de posséder un dollar en vulgaire papier est bien content d'obtenir 3 livres de beurre et 2 paires de lacets de bottines pour son dollar : c'est beaucoup plus utile que la minuscule parcelle d'or qu'il obtiendrait si les vieilles théories auxquelles on a ajouté foi si longtemps étaient vraies.

Plus d'or dans la Banque du Canada ? Mais notre monnaie n'est plus saine ? Croyez-vous ?

Nous achetons exactement la même chose, et de la même manière qu'avant le 1er mai.

Plus d'or ? Mais où donc est-il allé ?

C'est le voisin de la Banque du Canada, le Bureau de Contrôle du Change Étranger, qui en est devenu le propriétaire.

Vous savez qu'on passe sous le régime des Bureaux. Pas plus que la ville de Montréal, les hommes ne savent se conduire à ce que prétendent les financiers, les dépositaires de la sagesse. Il faut mettre hommes et villes en tutelle. La dirigeomanie est à l'ordre du jour. Elle a commencé sous la dernière guerre, a continué depuis, s'amplifie sous cette guerre-ci et continuera, amplifiée, après la guerre. La marche vers la standardisation : l'homme est un produit qu'on classe, qu'on étiquette, qu'on emballe et qu'on expédie au gré des dirigeo-maniaques genre Bouchard.

De la bancocratie à la bureaucratie, du maître au domestique, c'est le même contrôle.

Donc l'or est passé de la propriété de la banque à la propriété du Bureau de Contrôle du Change étranger. Tout l'or de la Banque, plus 27 millions de sterling anglais et de dollars américains. Il reste à la Banque, pour toute réserve, 15 millions de devises étrangères.

Mais qu'est-ce qui va répondre de notre argent, de l'argent légal du Canada ? Plus rien que les écritures du gouvernement et la capacité productive du Canada. C'est ce qui compte en somme : supprimez la capacité du Canada à fournir nourriture et vêtement, que ferait-on, même avec de l'or ?

On verra tout de même encore des économistes, des professeurs qui ont appris des livres par cœur, et des journalistes perroquets insister sur la nécessité de l'or, souhaiter le retour à l'étalon-or, nimber l'or de toutes les vertus nécessaires à la conduite de l'humanité.

Ajoutons que l'or, fidèle aux habitudes sédentaires acquises pendant ses siècles de séjour dans les entrailles de la terre, repose paresseusement exactement au même endroit qu'avant le 1er mai, dans les voûtes de la Banque du Canada.

Il a changé de propriétaire, mais il n'a pas changé de place. Le titre de propriété de l'or est passé d'un livre dans un autre, pour accommoder un nouveau contrôle de la comptabilité des échanges. C'est tout. Il ne faut pas croire que les systèmes sont éternels, que notre système monétaire, par exemple, date du berceau de l'humanité. Ça se change quand ça ne fait plus l'affaire. L'important serait de savoir pour le bien de qui on fait le changement. Est-ce pour mieux faire entrer les produits canadiens dans les maisons canadiennes ?

Mais notre Graham Ford Towers a bien dû pleurer de voir la Banque du Canada perdre la propriété de la réserve d'or. Peut-être est-ce sa part de sacrifices pour la guerre, à lui qui s'est mis en tête de prêcher les sacrifices aux Canadiens ?

Son sacrifice est bien doux, allez. Par un hasard attentif, en effet, il arrive que M. Graham Towers, président de la Banque du Canada, est aussi président du Bureau de Contrôle du Change étranger !

Puis la réserve d'or de la Banque est remplacée par une réserve de débentures du gouvernement, pour le même montant. L'or a beau briller, il ne fait pas de petits, son volume ne grossit pas. Tandis que les débentures qui le remplacent sont plus fécondes : elles vont rapporter un pour cent d'intérêt. Donc deux millions et demi de profit supplémentaire annuel que l'or oisif n'aurait pas donnés.

Ce profit, puisqu'il est au nom de la Banque du Canada, propriété du gouvernement, sera gracieusement remis par M. Towers au gouvernement canadien. De sorte qu'en définitive, en remplaçant l'or par des signatures dans les voûtes de sa Banque, le gouvernement va se payer à lui-même deux millions et demi d'intérêt par année. Est-ce que le papier ne vaut pas mieux que l'or ?

Drôle de type, réellement, que l'or, l'or qui a fasciné l'humanité, enfiévré tant de vies, camouflé tant de duperies !

Au Canada, on cherche ses cachettes naturelles, on les trouve parfois, on l'exhume, on le raffine, on le vend. Les États-Unis l'achètent, l'enterrent et placent des gardiens bien armés à l'entrée de ses cachettes artificielles. Et pendant tout ce temps-là, au Canada comme aux États-Unis, des êtres humains crient famine, des familles sont réduites à la plus abjecte pauvreté parce qu'on manque d'argent !

Ô respectables pontifes de la finance !

Louis Even

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