— « L'Union Nationale a ruiné le crédit de la province en trois ans ! » disent les libéraux.
— Que non, réplique l'opposition. L'Union Nationale empruntait à meilleurs termes que vous.
— Il vous fallait aller aux États-Unis. Les banques canadiennes n'avaient plus confiance en vous.
— Nos plus forts emprunts étaient sursouscrits en quarante-huit heures. Vous ne pouvez faire absorber le tiers de la même somme en un mois.
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Nous croyions que le crédit de la province, c'est ce qui nous donne confiance en la province, la possibilité d'y bien vivre.
Mais les politiciens, devenus les valets de Banco, ont une tout autre manière de comprendre le crédit de la province. Pour eux, comme pour leur maître, c'est ce qui, dans la province, entretient la confiance des banquiers.
Nous apprécions un pays qui livre sur commande nourriture, vêtement, logement.
Le banquier apprécie un pays qui lui livre périodiquement de l'argent, aux termes que lui-même, le banquier, a dictés au pays.
Et c'est la deuxième appréciation que considèrent nos gouvernants, rouges, bleus ou bariolés.
Or Banco a une manière originale de fixer les conditions. Plus le pays a de facilité à lui payer tribut, plus les termes sont faciles. Plus le pays éprouve de difficulté, plus le banquier est exigeant. Puis ça continue : plus le banquier est exigeant, plus on a de difficulté à le satisfaire ; et plus on a de difficulté à le satisfaire, plus il devient exigeant !
Aussi avec quelle aisance Banco se débarrasse d'un valet qui manque d'expertise à fouiller les poches de ses administrés !
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1936. On s'en souvient : "Dehors les voleurs !... Mort aux trusts... La province au peuple de la province !..."
Une bouffée d'air oxygéné de la pointe de Gaspé à la vallée de l'Outaouais. Puis... c'est tout.
Doucement comme ses devanciers, le nouveau maître s'abouche avec les banques. Ni rhétorique, ni calembours. Non, rien que les plates et traditionnelles débentures. Les hypothèques sur la province. La province aux banquiers !
On a pu faire hurler contre les trusts, tentacules de Banco, Banco ne garde pas trop de rancune. Il comprend la galerie. "Signez seulement ceci, dit-il, puis administrer pour moi. À vous les discours, à moi la plume. À moi, Banco, le bout de corde qu'on tire ou qu'on relâche ; à vous, Primo provincial, le bout qui tient lieu de cravate."
On sait le reste de l'histoire. Le crédit de la province, à la manière dont l'entend le banquier, tient mal. 1939 : le valet disgracié a beau brandir le fanion de ralliement : Autonomie provinciale — Impitoyable, Banco tire la corde. Boum ! Trente-six chandelles...
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Un nouveau Primo se passe religieusement la corde au cou : Assainissement financier ! Lui au moins a la franchise de se déclarer grand-prêtre des sacrifices.
Assainissement financier : Banco premier servi !
Taxes de vente, ponts de péage, villes en tutelle, chômeurs au diable !... Es-tu content, Banco ?
Le maître ne s'émeut pas. Il tient la corde : "Sacrifiez, immolez, tuez si vous voulez — une seule chose compte : ma livre de chair. Si elle ne vient pas, je tire la corde."
Et déjà les pieds lèvent de terre...