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La vie créditiste - XII

Louis Even le mercredi, 15 janvier 1941. Dans La vie créditiste

Une élite... à former

Les mots élite et élu ont la même origine. L'un et l'autre s'appliquent à un nombre restreint sorti d'un milieu plus nombreux.

Mais il serait archifaux d'en conclure que les élus, du suffrage universel surtout, constituent une élite.

Il arrive, au contraire, que les élus sont le produit des autres, tandis que l'élite se forme surtout d'elle-même.

Mais si les élus donnent souvent des déceptions, avouons que ceux qui se considèrent et se font considérer comme l'élite restent aussi fort en deçà de ce qu'on attend d'eux.

C'est parce que, de même que la tromperie joue un grand rôle dans le choix des élus, de même aussi l'illusion, le snobisme et une sorte d'hypnotisme ont une large part dans la détermination de ce qui constitue une élite.

Si vous eussiez traversé la Palestine en l'an 31 de notre ère et que vous eussiez demandé, à Jérusalem, à Samarie, à Jéricho, à Capharnaum, où et qui était l'élite de la nation, on vous aurait sans doute signalé les docteurs de la synagogue, les Pharisiens, les Scribes, peut-être les hauts fonctionnaires romains.

Qui vous aurait répondu que l'élite, c'était le petit groupe de pêcheurs qui suivait, au bord du lac et dans les campagnes de Galilée, le fils du charpentier de Nazareth ?

Pourtant qui, de tous les Israélites de cette époque, firent de véritables conducteurs d'hommes, les piliers de l'ordre nouveau ?

Ce qui veut dire que la véritable élite n'est point celle que marquent les diplômes, les positions, les comptes de banque ou les parts de compagnie.

L'élite suppose une vision élevée, assez élevée pour voir au moins aussi loin que les taudis où souffrent des concitoyens. Elle exige aussi l'énergie, doublée de charité, qui se dérange pour autre chose que pour des intérêts personnels.

Qui fit le conducteur d'hommes — le pêcheur à qui le Maître dit : Laisse là tes filets et suis-moi, je veux te faire pêcheur d'hommes — ou bien le beau et riche jeune homme qui s'en alla tout triste après avoir entendu le même appel de la même voix : Laisse là tous tes biens et suis-moi ?

Nous n'avons point l'intention de piller les scènes de l'Évangile pour des fins profanes. Mais nous croyons qu'on peut souvent aller à ces sources pour prendre des leçons et rectifier des jugements.

★ ★ ★

Nous l'avons écrit et ré-écrit : C'est par la formation d'une élite au milieu de la masse qu'on redressera les désordres criants de l'économique et de la politique.

Nous refusons d'appeler élite les produits universitaires qui emploient leur science uniquement à s'enrichir le plus possible, souvent aux dépens des autres ; ou ceux qui remplissent les parlements de leur incompétence ou de leur lâcheté, quand ce n'est pas de leurs trahisons.

On peut avoir une intellectualité imposante, mais elle a failli à la tâche, peut-être parce qu'elle n'a pas su se raidir contre les puissances d'argent ou qu'elle s'est laissé circonvenir par les honneurs et autres récompenses attachées à une soumission silencieuse. Nous refusons d'appeler cela de l'élite.

À voir le lot général de la masse, il faut bien conclure qu'une élite est ou inexistante ou trop faible.

★ ★ ★

L'I. A. P.

Nous prions les membres de l'institut d'Action Politique de se considérer comme autre chose que de simples recruteurs d'abonnements. Le fait pour eux de se déranger, d'aller aux autres, de chercher à intéresser leurs voisins à l'étude de la chose publique, prouve déjà qu'ils sont de la trempe voulue pour faire des conducteurs d'hommes.

Ceci n'est pas pour leur faire perdre leur simplicité, l'humilité forte qui les accompagne dans une besogne éducatrice sans apparat et sans récompense extérieure.

C'est, petit à petit, par la répétition de leurs actes de zèle qu'ils vont prendre un ascendant utile dans leur milieu, qu'ils vont apprendre à argumenter et à convaincre.

Le vrai mérite est toujours simple. La véritable éloquence elle-même n'a point besoin de pompe ni de sonorité. Remarquez donc les instructions du Maître auquel nous faisons allusion au début de ces considérations. Il est la science même, la sagesse même. Comment parle-t-il ?

Ses comparaisons sont de la vie courante ; ses paraboles, empruntées au milieu, aux champs, au lac, aux coutumes du jour. Il dit de grandes choses et il les dit en termes si ordinaires. S'il revenait sur terre aujourd'hui, croyez-vous qu'il changerait de manières et de langage ? Croyez-vous qu'il irait aux grands et aux diplômés ? Qu'il emploierait des mots recherchés, chargés de particules grecques, et qu'il ferait de longues et harmonieuses périodes, admirées en haut lieu mais simplement incompréhensibles pour le vulgaire ?

Nous ne le pensons pas. Et pourtant, il formerait encore une élite, il laisserait encore des disciples pour la conquête du monde.

Chers membres de l'Institut, si élémentaires soyez-vous, si ignorants même, ne vous découragez pas. Continuez votre éducation personnelle par l'étude de votre petit journal ; continuez votre travail de propagande sans vous rebuter. Dans quelques années, c'est vous qui serez l'élite, une élite remarquable par son action, et vous ferez plus pour assainir la politique et assouplir l'économique que les discoureurs applaudis qui ont laissé le monde dans le marécage.

Louis EVEN

★ ★ ★

Pas de la censure !

Vers Demain est heureux de communiquer à ses lecteurs l'encourageante lettre suivante, reçue de M. l'abbé Stanislas Paradis :

Penentanguishene, Ont., 2 janvier 1941

Cher Monsieur Even,

En terminant la lecture du dernier numéro de Vers Demain, celui du 1er janvier 1941, je me suis demandé pourquoi un plus grand nombre de Canadiens-Français n'étaient pas abonnés à Vers Demain.

Ce dernier numéro, comme tous les autres, est rempli d'articles si instructifs et si constructifs, d'un ordre véritablement nouveau à base d'Évangile, d'encycliques des Papes et de sociologie catholique, que tout homme de bonne volonté qui désire travailler pour son pays devrait s'abonner à Vers Demain et devrait se faire un propagandiste de ce journal.

Votre dernier numéro me détermine à prendre un abonnement ad vitam. Ci-inclus un chèque de dix dollars. J'espère que plusieurs lecteurs de Vers Demain feront de même. C'est le temps de l'action.

Un citoyen libre du Canada,

Vôtre in Xto, Stanislas PARADIS, ptre.

P. S. — Vous pouvez publier cette lettre si vous voulez. Je n'ai pas peur de mon nom.

★ ★ ★

Saint-Victor, O.K.

Saint-Victor-de-Tring est une modeste paroisse de la Beauce, comptant 390 familles. Elle ne fut pas toujours créditiste, nous le savons pour y avoir travaillé plusieurs fois, et pas toujours avec des succès voyants. Il a fallu la conquérir pied à pied, ce à quoi s'est tenacement employé le Docteur Eugène Fortin, qui peut aujourd'hui nous écrire :

La paroisse de Saint-Victor est maintenant gagnée au Crédit Social. Je m'en rends de plus en plus compte. Le travail s'est fait lentement, mais en profondeur. Si toute la province était solide comme ici, nous aurions le Crédit Social à la prochaine occasion. J'ai peut-être l'air de me faire des illusions. Pourtant, remarquez que c'est la première fois que je dis cela de Saint-Victor.

Jeudi dernier, le 19 décembre, nous avons eu une "Journée agricole" à Saint-Victor. Messe le matin et conférence toute la journée. Nos gens sont entrés à huit heures pour sortir à midi moins un quart. Entrés de nouveau à une heure pour sortir à cinq heures.

On m'a fait l'honneur de m'inviter à parler, sans me spécifier mon sujet. J'ai choisi, naturellement, la question monétaire.

L'embêtement est que j'étais le dernier au programme. On m'avait assigné de quatre à cinq heures, alors que les gens étaient rompus de fatigue et qu'ils paraissaient ne plus vouloir écouter personne. La moitié des gens étaient debout pour ficher le camp, et j'hésitais à parler à pareil auditoire.

Le sujet que je devais traiter n'avait pas été annoncé. Eh bien, le croiriez-vous ? Dès que j'eus prononcé les mots "question monétaire", les gens reprirent leur place immédiatement, et pendant une heure restèrent attentifs et comme médusés. Pas un mot, pas un mouvement dans l'assemblée.

J'avais suivi toutes les conférences de la journée et observé l'auditoire. Dès la première séance, les gens étaient distraits et remuants, quittant leurs places pendant que le conférencier parlait. Ce fut ainsi toute la journée. Mais dès qu'il fut question d'argent, même à cette heure tardive, transformation complète. Ce que je n'attribue nullement à l'orateur, mais au sujet.

Les témoignages me sont venus à la suite. Tous sont unanimes à dire que c'est la question monétaire qui presse le plus.

Je dois ajouter que la conférence donnée par vous en plein air, après la grand'messe, l'été dernier, avait fait sa bonne part pour orienter la population.

Le journal travaille constamment à faire la lumière et à ancrer les idées. Nous avons aujourd'hui 60 abonnés dans la paroisse, sans compter les professeurs du séminaire. Je compte approcher le nombre de 100.

Si je m'étends sur ces commentaires, c'est pour que vous sachiez bien qu'on n'est plus au temps où vous sembliez prêcher dans le désert. La semence faite dans le sacrifice est sur le point de porter ses fruits. Sans doute qu'il y faudra encore des labeurs, mais il y a de fortes raisons d'espérer et de beaux encouragements à continuer. La population n'est pas réfractaire à un changement en dehors des vieux cadres, une fois qu'elle comprend. Ce changement ne peut se faire que lentement, il est vrai, mais il n'en sera que plus solide.

Bien à vous,

EUGÈNE FORTIN, médecin

Louis Even

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