Un jeune homme de Cookshire, franchement patriote, nous envoie un travail intitulé "Crédit Social et Canadiens français. » Nous extrayons pour nos lecteurs les passages suivants de cette composition de M. Aurélien Quintin.
Tout patriotisme sain, tout nationalisme bien compris, implique chez l'homme qui s'en prévaut au moins une certaine connaissance de l'économique. Et si cet homme se prétend de l'élite, il doit posséder, en plus, cette qualité qui fait l'homme vis-à-vis de ses concitoyens : le sens social.
Pour découvrir des hommes d'élite, des hommes au sens social, qui envisagent tous les problèmes du même esprit large, honnête et désintéressé, il faut rarement se tourner vers les serviteurs des partis politiques ; vers ceux qui, pour quelque emploi de subalterne, depuis la fonction de nettoyeur de fossé jusqu'à celle de distributeur de patronage, sont prêts à sacrifier et leurs concitoyens et leur pays.
Pour déceler des hommes d'élite, va-t-on scruter les tréfonds du haut commerce, le plus souvent anonyme, ou les directorats des industries internationales où le cœur est précisément à l'endroit de la caisse ?
Pour reconnaître les hommes d'élite, faudrait-il se baser sur la publicité ronflante faite aux charités des philanthropes, parmi lesquels figurent infailliblement nos respectables banquiers ? Ils sont habiles, ces messieurs qui, tout en fournissant à des œuvres de bienfaisance, religieuses même, trouvent le moyen de conserver la plus grosse partie du butin raflé. Ils ferment ainsi des bouches autorisées pendant qu'ils rivent les chaînes des esclaves.
Voyons un peu de quel gouvernement libre peut s'enorgueillir le peuple, notre peuple — les Canadiens français, les descendants de ceux qui ont fait le pays.
Est-il libre, le gouvernement qui laisse diminuer chaque jour la part du lot qui nous revient ? Notre langue est à peine tolérée ; nos aptitudes sont ignorées ; nous, sommes graduellement dévalisés de nos biens par les puissances d'argent.
Le gouvernement libre et démocratique, dans toute l'acception du terme, serait-il celui qui subordonne toute l'activité économique, quelquefois sociale, ou même religieuse, à la clique anonyme et impitoyable des faiseurs et destructeurs d'argent ?
Serait-il libre et démocratique, le gouvernement qui laisse des milliers de personnes torturées par la faim, le froid, le manque de vêtements, casées dans des taudis, rongées par les soucis, incapables de s'instruire ou de se faire soigner en maladie, alors que tout abonde chez nous : nourriture, chaussures, vêtements, matériel de construction, institutions d'enseignement, médecins et remèdes ?
On demande aujourd'hui à grands cris des ouvriers spécialisés, des techniciens. Mais il faut les préparer tout d'une pièce, après dix années d'inactivité, ces jeunes qui n'auraient pas demandé mieux que s'instruire, apprendre un métier tout en commençant au moins à gagner leur vie. Une fois approfondi, ce métier eût été pour plusieurs un gage d'avenir honnête dans un foyer fondé par eux.
Pendant que cette jeunesse flânait dans les rues, aux portes des restaurants, rouillant ses forces et enterrant son idéal, des professeurs compétents, dans tous les rayons, chômaient faute d'emploi, faute d'élèves.
Pourquoi tout cela ? Parce que les administrations n'avaient pas d'argent.
Gouvernement libre, cette bureaucratie écrasante qui existe surtout pour soustraire l'argent de nos poches et nous imposer des ordres et des restrictions qui ne correspondent aucunement à nos aspirations?
Voulons-nous que ce régime de dictature bancocratique et bureaucratique se perpétue ? Qu'il se continue encore toute une génération, jusqu'à notre effacement complet, jusqu'à l'épuisement de nos forces de résistance ? À nous de répondre.
Si nous continuons de vivoter tant bien que mal, en nous plaignant mais sans nous occuper d'une manière intelligente de la chose publique ; si nous continuons de compter sur la liberté, l'ordre et la paix intérieure, sans prendre d'autre moyen de les obtenir et les protéger que la soumission plate aux cabaleurs de partis, que les révérences aux politiciens de carrière, que le léchage des bottes des grands du jour, nous sommes finis, peuple bafoué, personnes humaines avilies.
Si, d'un autre côté, nous voulons la vie, l'épanouissement culturel, l'économie au service de la personne humaine, la montée libre vers les cimes, pourquoi ne pas laisser de côté les joujoux dangereux et usés qui ont miné nos forces dans le passé ? Pourquoi ne pas étudier et travailler à concrétiser une formule de justice, de logique irréfutable — la formule du Crédit Social qui ne trouve d'adversaires que parmi les cossus du régime et les ignorants ou les sots qui jugent sans connaître ?
La doctrine du Crédit Social reste notre espoir. L'argent au service du peuple — quel mot d'ordre bienvenu, après qu'on a été forcé à la privation injustifiable du nécessaire pendant de longues années !
L'argent au service de tout le monde — c'est beau et c'est possible. Beau, parce que c'est humain. Possible, parce que les biens sont en abondance en face des besoins. Et ce sera accompli lorsque la population se sera donné la peine de s'instruire pour comprendre et s'unir.
Mais hâtons-nous d'abattre la pieuvre tandis qu'il en est encore temps. Autrement, nous courons le risque de vouloir un redressement honnête seulement lorsque les éléments subversifs auront étendu leurs tentacules et que grondera la révolution.
Aurélien QUINTIN