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Pour la victoire

Louis Even le dimanche, 15 décembre 1940. Dans Autres

Personne bien ne ne veut faire la guerre pour le plaisir de tuer du monde. On a eu soin de le dire, de le proclamer hautement, ce n'est pas aux Allemands comme tels que l'Angleterre — et le Canada — font la guerre. C'est à la dictature, au dictateur qui veut imposer ses idées par la force, non seulement dans son propre pays, mais chez les voisins.

Ceux qui tiennent surtout aux libertés politiques démontrent comment Hitler les ignore. Ceux qui s'intéressent surtout au domaine religieux insistent sur la persécution hitlérienne contre les prêtres et contre les écoles confessionnelles.

C'est la dictature et le dictateur qu'on montre du doigt. N'a-t-on pas systématiquement essayé de fomenter une révolte des Allemands contre leur dictateur, les assurant qu'on traiterait avec eux lorsqu'ils l'auraient mis à la porte ?

Si cette invitation n'a pas eu de réponse, on peut croire que les Allemands ont, eux aussi, leur manière de voir et de procéder.

Les Allemands proclament, eux aussi, ou du moins leurs chefs proclament qu'ils se battent contre une dictature. Ils l'appellent la dictature financière, la ploutocratie.

Nous dénonçons une dictature politique qui enrégimente les individus, les tient sous le joug, leur défend même d'exprimer leurs idées.

Eux dénoncent une dictature économique qui empêche les individus d'avoir accès aux richesses qui les entourent, crée le chômage et la misère en face de l'abondance.

Nous parlons avec véhémence contre la multitude surveillée et opprimée des pays totalitaires. Eux parlent avec véhémence contre la multitude affamée et exploitée des pays démocratiques.

Les faits que nous dénonçons existent ; les faits qu'ils dénoncent sont-ils pure invention ?

Nous voulons gagner la guerre. Ils veulent gagner la guerre.

Nous refusons tout compromis avant l'assurance d'une victoire décisive qui assurera une paix durable. Eux parlent de se battre autant et aussi longtemps qu'il faudra pour imposer leurs conditions et dicter une paix de mille ans.

Nous cherchons des armes de plus en plus efficaces. Ils cherchent des armes de plus en plus efficaces.

* * *

Il y a armes et armes. Les deux côtés le savent.

Comme il y a front et front, et les deux côtés le savent aussi.

Le front militaire ne tiendra pas longtemps si le front civil faiblit. Les armes qui tuent le corps sont redoutables ; mais les armes qui tuent l'esprit font des ravages peut-être plus profonds.

Une arme inemployée

Il reste une arme non utilisée jusqu'ici, dont l'emploi galvaniserait les combattants du côté démocratique et enlèverait à l'adversaire la force de son argumentation devant ses propres sujets.

Cette arme, c'est la garantie de la sécurité économique à chaque homme, femme et enfant des pays qui se battent pour la liberté.

Qu'on dise demain à tous les citoyens du Canada, comme on pourrait aussi le dire à ceux des autres Dominions, d'Angleterre et des États-Unis : Ce pays est assez riche pour assurer au moins un minimum vital à chacun de ses citoyens. Et ce minimum vital sera assuré par un dividende mensuel, par une prime sur la production abondante et en grande partie inutilisée de ce pays. Tant qu'il restera de la capacité de production en attente de commandes, le pouvoir d'achat additionnel nécessaire pour formuler les commandes sera émis et distribué à chaque famille au prorata du nombre de personnes qui la composent.

Ce serait la reconnaissance des droits économiques de l'homme sans pour cela sacrifier ses droits politiques. Double idéal pour les combattants des démocraties, qui ferait tomber les armes des mains de totalitaires trop fiers de placer sous notre nez ce que leur fuhrer ou leur duce a fait pour les tirer du marasme économique dans lequel ils croupissaient.

Si l'on préfère nous inviter à nous serrer encore davantage la ceinture, alors que les produits se perdent sous nos yeux ; si l'on préfère réduire notre pouvoir d'achat pour défendre l'état de choses amer auquel la jeunesse a goûté pendant dix ans et qui a ridé les fronts des pères et des mères de famille, avouons que, pour le moins, on se prive d'un stimulant qui "mettrait du cœur au ventre".

On se plaint partout qu'on manque d'ouvriers spécialisés, de travailleurs entraînés et expérimentés. Est-ce surprenant après que les industries ont dû fermer la porte à des vagues d'aspirants-apprentis parce qu'il n'y avait pas d'argent pour acheter les produits ?

Pourquoi ne pas proclamer que ce régime brutal est fini et que, s'il y a place pour les bras et les cerveaux de toute la population en temps de guerre, il y aura désormais place pour tous les bras et les cerveaux en temps de paix ?

Les dictateurs d'outre-Rhin sont certainement mal venus de dénoncer la dictature d'un autre ordre qui nous enserre ; mais sommes-nous nous-mêmes dans la meilleure position pour dénoncer leur dictature, alors que nous plions sous le joug d'une oligarchie financière ?

L'affranchissement de la dictature financière, le Crédit Social, en parachevant l'idéal démocratique, balaierait de chez nous tout ferment naziste ou communiste et prouverait irréfutablement qu'on n'a pas besoin de dictateur pour chasser la misère d'un pays.

Trois régimes

Les régimes démocratiques actuels proclament et reconnaissent les droits politiques de l'homme ; mais ils ignorent ses droits économiques.

Les régimes totalitaires (nazistes, fascistes, communistes), piétinent les droits politiques de l'homme, en affichant un relèvement de son statut économique.

Le régime créditiste maintiendra tous les droits politiques de l'homme ; mais il proclamera aussi la charte de ses droits économiques. La sécurité économique fortifiera la liberté politique.

Louis Even

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