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Avec les pauvres

le dimanche, 01 décembre 1940. Dans Autres

Pourquoi se gêner quand on traite avec des pauvres ? Ils sont sans argent, donc sans défense. Même si l'on est la Commission du Chômage, instituée pour les chômeurs, il ne faut pas oublier que le chômeur est un vil bétail qui peut crever sans que la société verse une larme.

Aussi, voyez le texte suivant d'une lettre signée par M. N. R. Beaudet, surintendant de la Commission du Chômage de Montréal. Jugez si on écrirait de la sorte à un gros entrepreneur qui, à même les contrats du gouvernement, a bien soin de ménager un pourcentage pour la caisse électorale du parti :

Département du Chômage

Cher Monsieur,

Conformément à l'engagement que vous avez signé récemment de travailler en retour de votre secours, veuillez vous rapporter sans faute, beau temps ou mauvais temps, lundi, le 4 novembre 1940, à 7.00 a.m., sur la rue Delorimier angle Demontigny.

Vous serez alors dirigé à votre travail sur le chemin en construction à St-Philippe.

Avis :

10 Veuillez prendre note que votre secours vous sera enlevé :

a) si vous ne vous conformez pas à la présente convocation ;

b) si vous vous présentez en retard sur les travaux ;

c) si vous vous faites remplacer ;

d) si vous êtes remercié de vos services pour indiscipline ou toute autre raison.

20 Votre secours vous sera enlevé et vous ne serez pas repris sur les travaux si vous vous en absentez l'un des jours de la semaine pour laquelle vous êtes convoqué.

Votre tout dévoué,

N. R. BEAUDET, sur't. Veuillez apporter votre dîner.

★  ★ ★

Quand on sait ce que veut dire la suppression du secours pour celui qui n'a que cela pour sa famille et pour lui-même, la lettre peut se traduire ainsi :

On vous a obligé de signer un engagement, sous peine de crever de faim.

Maintenant que vous avez signé cet engagement, vous allez le tenir, et à la moindre infraction vous serez condamné à crever de faim avec votre famille.

Soleil, pluie, neige ou grêle, malade ou bien portant, vous devrez être, pas dans une salle d'attente, mais sur la rue Delorimier, coin Demontigny, à sept heures lundi matin. (Pour ne pas manquer votre coup et vous exposer à crever de faim, vous arriverez sans doute une bonne demi-heure auparavant et vous vous réchaufferez en contemplant le co-bétail chômeur de Montréal convoqué avec vous.)

Quelles qu'aient pu être vos occupations passées ; quelles que soient vos aptitudes, quels que soient vos attraits ; quelque soit votre état physique ou moral, vous serez dirigé sur les travaux de voirie du chemin de St-Philippe. Cantonnier pour Damien Bouchard, sinon vous crèverez de faim : hors de la voirie, point de salut.

Si vous avez le malheur d'arriver en retard, vous crèverez de faim.

Si vous osez vous faire remplacer par votre grand garçon, votre frère, un ami, vous crèverez de faim.

Si vous endurez mal n'importe quel traitement qu'on voudra bien vous faire subir ; si vous vous faites remercier de vos services pour n'importe quelle raison, fondée ou non, il n'y a pas d'appel, vous crèverez de faim avec votre femme et vos enfants.

Si vous vous absentez une seule des six journées de votre semaine de corvée, votre péché est impardonnable, vous ne serez plus jamais repris et vous crèverez irrémédiablement de faim.

Après ce doux sermon, au nom de la commission gracieusement établie pour vous, je me signe Votre tout dévoué. Mais un dernier avis paternel : n'oubliez pas d'apporter votre dîner, même s'il ne reste pas grand'chose dans la huche pour les petits, même si ce dîner doit être passablement refroidi un coup rendu à Saint-Philippe et à midi.

(À classer pour ceux qui relateront notre brillante période de l'histoire de la province de Québec.)

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