Ce livre parle du Crédit Social, mais il est loin d’être une somme créditiste. Le Crédit Social, en effet, est toute une orientation de la civilisation et touche au social et au politique autant, sinon plus, qu’à l’économique.
"On oublie, on ne voit pas, on ne veut pas voir qu’il y a des gens mal logés, des gens mal nourris, des salaires insuffisants, qu’il y a des pays tout entiers qui souffrent de la faim. Ce n’est pas chrétien de penser, à plus forte raison de dire; c’est leur faute..."
Son Eminence le Cardinal Jules-Géraud Saliège
Le plus grand héritage que saint Jean-Paul II a laissé à l’Église, après plus de 26 ans de pontificat, est sans contredit le Catéchisme de l’Église catholique, publié en 1992 après six ans de travaux par une commission de douze cardinaux et évêques présidée par le cardinal Joseph Ratzinger, Ce catéchisme contient tout ce qu’un catholique doit croire et mettre en pratique, et reprend les quatre divisions traditionnelles du Catéchisme du Concile de Trente : la profession de foi (le Credo), la célébration du mystère chrétien (les sept sacrements), la vie dans le Christ (les dix commandements), la prière chrétienne (le Notre Père).
Voici des extraits de ce qu’enseigne le Catéchisme de l’Église catholique sur le septième commandement, « Tu ne commettras pas de vol », qui font référence à la justice et la doctrine sociale de l’Église. (Paragraphes 2401 et suivants). Tout en lisant ces lignes, il faut garder à l’esprit que tout système économique ou financier sera bon ou non dans la mesure où il s’accorde avec ces principes (et c’est ainsi par exemple qu’on comparera dans les pages suivantes la démocratie économique telle qu’enseignée par Douglas et Louis Even, avec la doctrine sociale de l’Église).
Le septième commandement défend de prendre ou de retenir le bien du prochain injustement et de faire du tort au prochain en ses biens de quelque manière que ce soit. Il prescrit la justice et la charité dans la gestion des biens terrestres et des fruits du travail des hommes. Il demande en vue du bien commun le respect de la destination universelle des biens et du droit de propriété privée. La vie chrétienne s’efforce d’ordonner à Dieu et à la charité fraternelle les biens de ce monde.
Au commencement, Dieu a confié la terre et ses ressources à la gérance commune de l’humanité pour qu’elle en prenne soin, la maîtrise par son travail et jouisse de ses fruits (cf. Gn 1, 26-29). Les biens de la création sont destinés à tout le genre humain. Cependant la terre est répartie entre les hommes pour assurer la sécurité de leur vie, exposée à la pénurie et menacée par la violence. L’appropriation des biens est légitime pour garantir la liberté et la dignité des personnes, pour aider chacun à subvenir à ses besoins fondamentaux et aux besoins de ceux dont il a la charge. Elle doit permettre que se manifeste une solidarité naturelle entre les hommes.
Le droit à la propriété privée, acquise ou reçue de manière juste, n’abolit pas la donation originelle de la terre à l’ensemble de l’humanité. La destination universelle des biens demeure primordiale, même si la promotion du bien commun exige le respect de la propriété privée, de son droit et de son exercice.
En matière économique, le respect de la dignité humaine exige la pratique de la vertu de tempérance, pour modérer l’attachement aux biens de ce monde ; de la vertu de justice, pour préserver les droits du prochain et lui accorder ce qui lui est dû ; et de la solidarité, suivant la règle d’or et selon la libéralité du Seigneur qui « de riche qu’il était s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté » (2 Co 8, 9).
Le septième commandement interdit le vol, c’est-à-dire l’usurpation du bien d’autrui contre la volonté raisonnable du propriétaire. Il n’y a pas de vol si le consentement peut être présumé ou si le refus est contraire à la raison et à la destination universelle des biens. C’est le cas de la nécessité urgente et évidente où le seul moyen de subvenir à des besoins immédiats et essentiels (nourriture, abri, vêtement...) est de disposer et d’user des biens d’autrui (cf. Gaudium et Spes 69, § 1).
Toute manière de prendre et de détenir injustement le bien d’autrui, même si elle ne contredit pas les dispositions de la loi civile, est contraire au septième commandement. Ainsi, retenir délibérément des biens prêtés ou des objets perdus ; frauder dans le commerce (cf. Dt 25, 13-16) ; payer d’injustes salaires (cf. Dt 24, 14-15 ; Jc 5, 4) ; hausser les prix en spéculant sur l’ignorance ou la détresse d’autrui (cf. Am 8, 4-6).
Sont encore moralement illicites : la spéculation par laquelle on agit pour faire varier artificiellement l’estimation des biens, en vue d’en tirer un avantage au détriment d’autrui ; la corruption par laquelle on détourne le jugement de ceux qui doivent prendre des décisions selon le droit ; l’appropriation et l’usage privés des biens sociaux d’une entreprise ; les travaux mal faits, la fraude fiscale, la contrefaçon des chèques et des factures, les dépenses excessives, le gaspillage. Infliger volontairement un dommage aux propriétés privées ou publiques est contraire à la loi morale et demande réparation.
Le septième commandement demande le respect de l’intégrité de la création. Les animaux, comme les plantes et les êtres inanimés, sont naturellement destinés au bien commun de l’humanité passée, présente et future (cf. Gn 1, 28-31). L’usage des ressources minérales, végétales et animales de l’univers, ne peut être détaché du respect des exigences morales. La domination accordée par le Créateur à l’homme sur les êtres inanimés et les autres vivants n’est pas absolue ; elle est mesurée par le souci de la qualité de la vie du prochain, y compris des générations à venir ; elle exige un respect religieux de l’intégrité de la création (cf. Centesimus Annus 37-38).
Dieu a confiés les animaux à la gérance de celui qu’Il a créé à son image (cf. Gn 2, 19-20 ; 9, 1-4). Il est donc légitime de se servir des animaux pour la nourriture et la confection des vêtements. On peut les domestiquer pour qu’ils assistent l’homme dans ses travaux et dans ses loisirs. Les expérimentations médicales et scientifiques sur les animaux sont des pratiques moralement acceptables, pourvu qu’elles restent dans des limites raisonnables et contribuent à soigner ou sauver des vies humaines.
Il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux et de gaspiller leurs vies. Il est également indigne de dépenser pour eux des sommes qui devraient en priorité soulager la misère des hommes. On peut aimer les animaux ; on ne saurait détourner vers eux l’affection due aux seules personnes.
L’Église porte un jugement moral, en matière économique et sociale, « quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent » (Gaudium et Spes 76, § 5). Dans l’ordre de la moralité elle relève d’une mission distincte de celle des autorités politiques : l’Église se soucie des aspects temporels du bien commun en raison de leur ordination au souverain Bien, notre fin ultime. Elle s’efforce d’inspirer les attitudes justes dans le rapport aux biens terrestres et dans les relations socio-économiques.
La doctrine sociale de l’Église propose des principes de réflexion ; elle dégage des critères de jugement ; elle donne des orientations pour l’action :
Tout système suivant lequel les rapports sociaux seraient entièrement déterminés par les facteurs économiques est contraire à la nature de la personne humaine et de ses actes (cf. Centesimus Annus 24).
Une théorie qui fait du profit la règle exclusive et la fin ultime de l’activité économique est moralement inacceptable. L’appétit désordonné de l’argent ne manque pas de produire ses effets pervers. Il est une des causes des nombreux conflits qui perturbent l’ordre social (cf. Gaudium et Spes 63, § 3 ; Laborem Exercens 7 ; Centesimus Annus 35).
Un système qui « sacrifie les droits fondamentaux des personnes et des groupes à l’organisation collective de la production » est contraire à la dignité de l’homme (Gaudium et Spes 65). Toute pratique qui réduit les personnes à n’être que de purs moyens en vue du profit, asservit l’homme, conduit à l’idolâtrie de l’argent et contribue à répandre l’athéisme. « Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et Mammon » (Mt 6, 24 ; Lc 16, 13).
L’Église a rejeté les idéologies totalitaires et athées associées, dans les temps modernes, au « communisme » ou au « socialisme ». Par ailleurs, elle a récusé dans la pratique du « capitalisme » l’individualisme et le primat absolu de la loi du marché sur le travail humain (cf. Centesimus Annus 10 ; 13 ; 44). La régulation de l’économie par la seule planification centralisée pervertit à la base les liens sociaux ; sa régulation par la seule loi du marché manque à la justice sociale « car il y a de nombreux besoins humains qui ne peuvent être satisfaits par le marché » (Centesimus Annus 34). Il faut préconiser une régulation raisonnable du marché et des initiatives économiques, selon une juste hiérarchie des valeurs et en vue du bien commun.
Le développement des activités économiques et la croissance de la production sont destinés à subvenir aux besoins des êtres humains. La vie économique ne vise pas seulement à multiplier les biens produits et à augmenter le profit ou la puissance ; elle est d’abord ordonnée au service des personnes, de l’homme tout entier et de toute la communauté humaine. Conduite selon ses méthodes propres, l’activité économique doit s’exercer dans les limites de l’ordre moral, suivant la justice sociale, afin de répondre au dessein de Dieu sur l’homme (cf. Gaudium et Spes 64).
Au plan international, l’inégalité des ressources et des moyens économiques est telle qu’elle provoque entre les nations un véritable « fossé » (Sollicitudo Rei Socialis 14). Il y a d’un côté ceux qui détiennent et développent les moyens de la croissance et, de l’autre, ceux qui accumulent les dettes.
La solidarité est nécessaire entre les nations dont les politiques sont déjà interdépendantes. Elle est encore plus indispensable lorsqu’il s’agit d’enrayer les « mécanismes pervers « qui font obstacle au développement des pays moins avancés (cf. Sollicitudo Rei Socialis 17 ; 45). Il faut substituer à des systèmes financiers abusifs sinon usuraires (cf. Centesimus Annus 35), à des relations commerciales iniques entre les nations, à la course aux armements, un effort commun pour mobiliser les ressources vers des objectifs de développement moral, culturel et économique « en redéfinissant les priorités et les échelles des valeurs » (Centesimus Annus 28).
L’aide directe constitue une réponse appropriée à des besoins immédiats, extraordinaires, causés par exemple par des catastrophes naturelles, des épidémies, etc. Mais elle ne suffit pas à réparer les graves dommages qui résultent des situations de dénuement ni à pourvoir durablement aux besoins. Il faut aussi réformer les institutions économiques et financières internationales pour qu’elles promeuvent mieux des rapports équitables avec les pays moins avancés (cf. Sollicitudo Rei Socialis 16). Il faut soutenir l’effort des pays pauvres travaillant à leur croissance et à leur libération (cf. Centesimus Annus 26). Cette doctrine demande à être appliquée d’une manière très particulière dans le domaine du travail agricole. Les paysans, surtout dans le Tiers Monde, forment la masse prépondérante des pauvres.
Il n’appartient pas aux pasteurs de l’Église d’intervenir directement dans la construction politique et dans l’organisation de la vie sociale. Cette tâche fait partie de la vocation des fidèles laïcs, agissant de leur propre initiative avec leurs concitoyens. L’action sociale peut impliquer une pluralité de voies concrètes. Elle sera toujours en vue du bien commun et conforme au message évangélique et à l’enseignement de l’Église. Il revient aux fidèles laïcs « d’animer les réalités temporelles avec un zèle chrétien et de s’y conduire en artisans de paix et de justice » (Sollicitudo Rei Socialis 47 ; cf. 42).
Le jour où sa mère la reprit d’entretenir à la maison pauvres et infirmes, sainte Rose de Lima lui dit : « Quand nous servons les pauvres et les malades, nous servons Jésus. Nous ne devons pas nous lasser d’aider notre prochain, parce qu’en eux c’est Jésus que nous servons ».
Le développement véritable est celui de l’homme tout entier. Il s’agit de faire croître la capacité de chaque personne de répondre à sa vocation, donc à l’appel de Dieu (cf. Centesimus Annus 29).
Dans la multitude d’êtres humains sans pain, sans toit, sans lieu, comment ne pas reconnaître Lazare, mendiant affamé de la parabole (cf. Lc 17, 19-31) ? Comment ne pas entendre Jésus : « À moi non plus vous ne l’avez pas fait » (Mt 25, 45) ?