Ce livre parle du Crédit Social, mais il est loin d’être une somme créditiste. Le Crédit Social, en effet, est toute une orientation de la civilisation et touche au social et au politique autant, sinon plus, qu’à l’économique.
"On oublie, on ne voit pas, on ne veut pas voir qu’il y a des gens mal logés, des gens mal nourris, des salaires insuffisants, qu’il y a des pays tout entiers qui souffrent de la faim. Ce n’est pas chrétien de penser, à plus forte raison de dire; c’est leur faute..."
Son Eminence le Cardinal Jules-Géraud Saliège
L’article suivant fut écrit en avril 1964 par Louis Even. On le relira avec profit en 2010. Les chiffres ont grossi depuis 46 ans. Ce qui veut dire que les problèmes sont plus graves encore pour tous, gouvernements et contribuables. Nos édiles fédéraux et provinciaux auraient mieux fait de tenir compte des leçons de Louis Even. Leurs conférences fédérales-provinciales répétées auraient été plus fructueuses.
Abolir totalement les taxes comme le permettrait l’application du Crédit Social ! Ne serait-ce pas un objectif à poursuivre et à réaliser pour ceux qui détiennent le pouvoir? Humblement soumis à leur compétence.
Que font les électeurs qui vont aux bureaux de votation le jour d’une élection générale, fédérale ou provinciale? — Ils décident quels hommes ou quel groupe d’hommes seront au pouvoir pendant un certain terme, généralement quatre ans dans notre pays.
On pourrait aussi bien dire: Ils décident qui va les taxer d’ici la prochaine élection. Car c’est cela: quel que soit le parti au pouvoir, son souci le plus constant est de trouver de l’argent. Or, sous le présent système financier, il trouve l’argent en taxant ou en empruntant. Et quand il emprunte, cela veut dire une nouvelle base pour de futures hausses de taxes.
Dans la province de Québec, il y a cinq ans (1959), le gouvernement avait besoin de 500 millions par an; aujourd’hui (1964), il lui en faut trois fois 500 millions! La politique du gouvernement Lesage, dite par lui «politique de grandeur», est surtout une politique «coûteuse». Bien des gens se demandent où est la grandeur, mais tous sentent l’existence d’une pompe.
La «taxomanie», la manie de taxer, est greffée sur la manie de vouloir tout gouverner. Prolifération de ministères, de fonctionnaires, de commissions, pour mettre le nez du gouvernement partout. Et partout où il met son nez, il plante aussi sa main dans les poches, tant qu’il y reste quelque chose à gratter.
Oh! toujours sous prétexte d’aider:
«Vous n’êtes pas capables de payer, dit-il, je vais le faire à votre place — au moins en grande partie. Je vais payer votre séjour à l’hôpital. Je vais aider votre Commission scolaire à payer vos écoles et vos professeurs. Je vais aider vos grands garçons et vos grandes filles à faire un cours d’université, pour qu’ils apprennent à se moquer de tout, de votre autorité parentale y comprise, et à exploiter plus tard ceux qui n’auront pas eu comme eux le privilège de s’instruire. Et puisque je paye à votre place, il me faut de l’argent. Et pour avoir de l’argent, eh bien! je taxe. Préparez vos piastres!»
C’est vrai que les individus et les familles ne peuvent plus eux-mêmes payer les services dont ils ont besoin, qu’il s’agisse d’hôpitaux, d’écoles, d’aqueducs, et autres. Mais plus le gouvernement le fait à leur place, plus il taxe. Et plus il taxe, moins les gens sont capables de voir eux-mêmes aux frais de ces services. Et moins ils en sont capables, plus le gouvernement intervient; et plus il intervient, plus il «retaxe».
L’intervention engendre la taxation, et la taxation engendre l’intervention.
— Oh! diront certains, c’est à cause de l’inégalité des fortunes. Le gouvernement paie pour tous, mais il taxe les gros plus que les petits: donc les petits y gagnent.
— C’est là oublier que si les gros sont plus taxés, ce sont eux qui font les prix. Et les petits paient, sous forme de prix, ce que les gros paient sous forme de taxes.
Quelle que soit la complexité du jeu, le résultat est indéniable: le gouvernement se mêle de plus en plus de choses qui ne sont pas, ou ne devraient pas normalement être de son ressort; et le gouvernement coûte de plus en plus cher. Les résultats ne sont guère reluisants.
Pour ne parler que des écoles, dans la province de Québec, jamais on n’y a vu autant de chaos comme depuis que Gérin-Lajoie veut prendre tout en main: hausse de taxes, contribuables révoltés, enfants éloignés de leurs familles, parents mécontents, grèves d’instituteurs, dégradation de l’autorité dans l’esprit des écoliers témoins de pareils gestes, enfants tués sous les roues d’autobus scolaires, etc. etc.
D’ailleurs, gouvernements comme individus souffrent de la même situation. Les administrations locales aussi: municipalités, commissions scolaires, et dans bien des cas de fabriques paroissiales. Toutes aux prises avec le cauchemar financier.
Cette incapacité générale de payer est un fait. D’autre part, personne ne se plaint de l’incapacité physique de produire. Dès que l’argent est là, les écoles poussent, les routes s’élargissent et s’allongent, les services publics sont efficaces, alors que les magasins continuent d’être bien garnis.
Quand tout grince, c’est donc dû unique-ment à une insuffisance de moyens de paiement, et nullement à une insuffisance de main-d’œuvre ou de technique pour produire marchandises et services.
Taxer, c’est rationner: c’est diviser entre les citoyens et le gouvernement, l’argent déjà insuffisant devant la production faite, encore plus insuffisant devant la capacité de production disponible.
Si les moyens de payer étaient, comme ils devraient l’être, au niveau des moyens de produire, il n’y aurait aucune raison de rationner. On ne rationne pas l’abondance, on la distribue. Or, l’abondance existe indéniablement.
Ouvrez n’importe quel journal à nouvelles, La Presse par exemple. Quelle est la nouvelle qui y prend plus de place? Même une nouvelle sensationnelle, telle que l’assassinat d’un président, qui, Dieu merci, n’arrive pas tous les jours, couvre une page, peut-être deux, trois tout au plus. Mais la production à vendre couvre des 30 et 40 pages entières, et l’équivalent d’autres pages entières en additionnant les demi-pages, quarts de pages et autres. Et cela tous les jours. En fait de pages entières, j’en relève au moins 58 dans La Presse d’aujourd’hui (4 mars), sans compter d’autres grosses parties de pages.
L’abondance offerte, c’est la nouvelle quotidienne la plus annoncée.
Et les listes des chômeurs dont le gouverne-ment n’aime pas entendre parler, parce que ça lui donne la migraine, les listes des chômeurs, qu’est-ce que c’est, sinon une autre forme d’abondance? D’abondance non réalisée parce que le mécanisme financier n’est pas du tout en accord avec le mécanisme producteur.
Pourquoi le gouvernement supporte-t-il ce désaccord?
Toute la marge entre la capacité de payer et la capacité de produire constitue une mine où le gouvernement devrait s’approvisionner, en créant les moyens de paiement nécessaires pour établir la parité. Il pourrait, contrôlé par le vote des crédits à cette fin, s’en servir pour le financement qui lui fait défaut.
De toute façon, une fois la capacité de payer mise au niveau de la capacité de produire, il serait facile de pourvoir à la fois aux besoins privés normaux et aux besoins publics justifiés de la population: individus, familles et corps publics à tous les niveaux.
Il n’y aurait plus alors aucune raison pour les gouvernements de se mêler de choses que les individus, les familles, les corps publics locaux seraient capables de régler eux-mêmes.
Y a-t-il un homme politique de la province de Québec, par exemple, qui trouve logique l’empêchement de produire des choses facilement réalisables et dont la population a besoin?
Y en a-t-il un qui trouve intelligent d’attendre de l’argent de New-York ou d’ailleurs, pour pouvoir employer des matériaux et de la main-d’oeuvre de chez nous à de la production répondant aux besoins de chez nous?
Y en a-t-il un qui approuverait la décision de se laisser mourir, en face de nos champs, de nos forêts, de nos richesses naturelles, avec une population compétente et laborieuse, si la province de Québec était seule au monde, donc sans pouvoir obtenir d’argent d’une source étrangère à elle-même?
Si la province de Québec a besoin de 200 millions de dollars pour des travaux publics, quel homme politique du Québec peut prétendre que 200 millions de dollars mis en circulation par un organisme provincial seraient plus inflationnistes que 200 millions mis en circulation par une officine à profit — les deux devant être retournés à leur source dans le même temps et aux mêmes conditions?
Y a-t-il un homme politique pour soutenir qu’il est logique d’endetter la population, globalement, pour ce que la population elle-même produit globalement? Pour ses écoles, par exemple.
Y en a-t-il un pour trouver qu’il y a du bon sens à faire payer à la population ses aqueducs, ou ses écoles, deux fois avant même de les avoir usés une fois?
C’est parce que ces choses-là ont cours, que nous déclarons que le système financier est un système d’escroquerie, de vol sur une grande échelle.
Et c’est parce que les taxes privent les consommateurs de biens privés, que nous appelons les taxes modernes un vol, quand la production peut fournir à la fois les biens d’ordre privé et les biens d’ordre public.
Pourquoi enlever le droit aux produits étalés dans le magasin, pour payer la construction d’un bout de route, quand la production peut fournir à la fois le bout de la route et le flot de produits pour alimenter le magasin ?
Ces considérations s’appliquent à n’importe quelle province du Canada, comme elles s’appliquent au Canada tout entier pour ce qui est de juridiction fédérale.
Qu’on ne vienne pas objecter qu’une province est constitutionnellement paralysée devant une situation financière qui est un outrage au bon sens. La province a constitutionnellement le droit d’emprunter sur son propre crédit. Ce crédit lui appartient donc. Si elle a le droit de se servir de son crédit en s’endettant pour de la production qu’elle fait elle-même, elle a certainement le droit de mettre ce crédit en œuvre sans s’endetter. La mise en circulation de ce crédit est une affaire de comptabilité.
Les conférences fédérales-provinciales où l’on passe son temps à discuter des droits respectifs en matières fiscales, ressemblent à des chicanes entre voleurs pour décider quelle part chacun aura des dépouilles de la victime.
Il serait tellement plus simple de s’en tenir aux juridictions en matières administratives.
Et pour ce qui est des moyens de paiement: Que les crédits financiers soient mis, automatiquement, à la disposition des producteurs, aux lieux où se fait la production, quel que soit le genre de cette production, d’ordre privé ou d’ordre public, de juridiction fédérale ou de juridiction provinciale. Puis, que les moyens de paiement ainsi libérés soient retirés et rendus à leur source, à la mesure de la consommation (de l’usure pour les biens durables), aux lieux où se fait cette consommation.
A défaut d’un accord dans ce sens à l’étendue du Canada, que tout gouvernement provincial assez ouvert au sens du réel, du logique et de l’humain, le fasse à la grandeur de sa province. Les provinces ne se sont sûrement pas groupées ensemble pour se laisser paralyser dans leurs possibilités physiques par des règlements financiers vétustes et insoutenables.