Ce livre parle du Crédit Social, mais il est loin d’être une somme créditiste. Le Crédit Social, en effet, est toute une orientation de la civilisation et touche au social et au politique autant, sinon plus, qu’à l’économique.
"On oublie, on ne voit pas, on ne veut pas voir qu’il y a des gens mal logés, des gens mal nourris, des salaires insuffisants, qu’il y a des pays tout entiers qui souffrent de la faim. Ce n’est pas chrétien de penser, à plus forte raison de dire; c’est leur faute..."
Son Eminence le Cardinal Jules-Géraud Saliège
Le 22 avril 2010, le projet de loi sur l’euthanasie et l’aide au suicide, présenté à la Chambre des Communes d’Ottawa, en mai dernier, par Francine Lalonde du Bloc québécois, a été renversé par un vote de 258 voix contre 59. Elle avait déjà présenté un projet de loi semblable en 2005 et ensuite en 2008, sans succès. Elle est donc à son troisième échec.
Ce projet de loi demandait un amendement au Code criminel pour permettre l’euthanasie et l’aide au suicide. Réjouissons-nous d’avoir été épargnés de ce projet de loi criminel, mais nous devons continuer la bataille car les ennemis de la race canadienne ne capitulent pas. Le 20 octobre 2005, l’Assemblée des évêques catholiques du Québec, dont le président était Mgr Gilles Cazabon, a publié un document contre l’euthanasie et l’aide au suicide pour s’opposer au projet de loi de Francine Lalonde, de cette année-là. Nous aimons en citer de larges extraits, les titres et sous-titres sont de Vers Demain:
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Jeanne Mance, fondatrice de l'hôpital Hôtel-Dieu de Montréal, 1642-1673 |
Une parabole de Jésus… met en scène un homme volé et blessé par des brigands, gisant sur la route. Passent des compatriotes, un prêtre et un lévite, qui ne s’arrêtent pas… Passe un étranger qui se laisse toucher par le sort de cet homme… La parabole dit: «Il s’arrêta, banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin (éléments de la médecine du temps), le chargea sur sa monture, le conduisit à l’auberge et prit soin de lui.» Il le confia à l’aubergiste: «Prends soin de lui jusqu’à mon retour.» (Luc 10, 34-35).
Les disciples de Jésus ont toujours accueilli cette parabole comme une invitation pressante à se faire proche des malades, spécialement quand ils sont en fin de leur vie. Dès l’origine de notre histoire, en ce pays, des femmes y ont consacré leur vie. C’est le cas des Augustines hospitalières à Québec, de Jeanne Mance à Montréal. Une véritable cohorte de communautés religieuses a assuré jusqu’à tout récemment l’essentiel des services de santé. Elles l’ont fait avec générosité et compétence, avec les moyens matériels de leur temps.
Mais les découvertes de la science et le perfectionnement des techniques ont modifié considérablement les soins médicaux. Des vies sont sauvées ou prolongées qui ne l’auraient pas été autrefois.
En même temps, ces réalisations remarquables posent de nouveaux défis. Les techniques sont-elles devenues envahissantes au point d’être déshumanisantes ? Le désir de guérir risque-t-il de masquer le souci de prendre soin ? Les nouvelles avancées médicales conduisent-elles à retarder la mort à tout prix ? Entre l’acharnement thérapeutique, qui empêche la mort de suivre son cours, et l’euthanasie, qui devance son heure, quels critères permettent de baliser leur choix ?
Aucun critère n’est à la fois plus fondamental et plus universel que celui de la dignité humaine, même si son application n’est pas toujours facile. La reconnaissance de la dignité de chaque malade constitue sans doute la pierre d’assise des décisions qui le concernent et les soins dont on l’entoure.
La foi ouvre sur la dignité humaine un horizon sans limite. Elle affirme que nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1,126). Pour sa part, Jésus nous dit qu’il a partie liée avec toute personne blessée ou malade: «Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites» (Mat. 25, 40). Comment concevoir plus éminente dignité !
Le corps lui-même participe à la dignité humaine. Car l’être humain est unité substantielle de corps et d’esprit. Or, c’est par le corps que la personne est atteinte et que sa dignité est honorée. Quelle que soit cette condition corporelle, on ne voit pas comment lui attribuer des degrés croissants et décroissants de dignité. «L’Académie pontificale pour la vie» (en février 1999) affirme:
«Un être humain ne peut jamais perdre sa dignité, quelle que soit la condition physique, psychologique ou interpersonnelle dans laquelle il se trouve. C’est pourquoi chaque personne mourante mérite et exige le respect inconditionnel dû à chaque personne humaine.» À la suite de Jean-Paul II, il convient de regretter le terme «végétatif» utilisé pour caractériser certains malades: «L’adjectif “végétatif”, dit-il, décrit de façon symbolique un état non pas un malade, dégradant de ce fait sa valeur et sa dignité personnelle.»
La dignité humaine de la personne doit être honorée à toutes les étapes des traitements qu’elle reçoit. C’est d’abord le cas au moment de la décision de recevoir ou non ce traitement. Déjà en 1952, le pape Pie XII disait:
“Le médecin, comme personne privée ne peut prendre aucune mesure, tenter aucune intervention sans le consentement du patient. Le médecin n’a sur le patient que le pouvoir et les droits que celui-ci lui donne, soit explicitement, soit implicitement et tacitement…» Chacun il est vrai, a le devoir de se faire soigner en ayant recours à des soins appropriés; il lui revient de protéger cette vie qu’il a reçue comme un don.
Afin de participer à cette décision, la personne soignée a le droit de connaître sa condition. Ce qui implique généralement un dialogue avec le personnel soignant, souvent aussi avec les proches, dans le respect des règles de confidentialité. Compte tenu de ce dialogue, la personne malade peut décider de refuser un traitement dont les bénéfices ne lui paraissent pas évidents. En respectant cette décision, le personnel reconnaît concrètement sa dignité. Il ne continuera pas moins d’offrir les autres soins appropriés.
Il est possible de donner un sens à la douleur physique et à la souffrance morale. Dans la foi, on peut en faire un moyen de purification intérieure, de participation aux souffrances du Christ et l’occasion d’une offrande totale de sa vie. Mais, comme le rappelait Pie XII: “L’acceptation de la douleur physique n’est qu’une manière, parmi beaucoup d’autres, de signifier l’essentiel: la volonté d’aimer Dieu et de le servir en toutes choses.”
Le respect de la dignité humaine éclaire aussi les relatives au soulagement de la douleur. Terminer sa vie dans la dignité, c’est la terminer de la façon la plus humanisante possible. On peut penser alors à ce qui permet au malade de garder son meilleur état de conscience, de procéder à des réconciliations pacificatrices pour lui-même et les siens, de remplir certains devoirs à l’égard des membres de sa famille, puiser dans les expériences qui ont pu donner sens à sa vie et, enfin, de se mettre en présence de Dieu et de se disposer à la grande rencontre avec Lui, en particulier au sacrement des malades. Un milieu de santé qui favorise pareille démarche rend un service éminent à la personne malade.
Par contre, si la douleur est intense au point d’occuper tout le champ de la conscience, elle peut altérer la dispensation des soins et devenir déshumanisante. C’est pourquoi le corps médical n’hésite généralement pas à prescrire les analgésiques appropriés même si, comme il arrive exceptionnellement, la vie était abrégée. Dans ce cas, la mort ne peut être intentionnelle (autrement ce serait une forme d’euthanasie), mais on accepte d’en courir le risque. Le but recherché est l’apaisement des douleurs. Même alors, on évitera de priver, sans vraie nécessité, la personne malade de la conscience de soi; celle-ci est aussi une expression de la dignité humaine.
Faire vivre à tout prix peut également s’avérer contraire à la dignité humaine et une façon inappropriée de prendre soin. Quand la mort s’annonce inévitable, il devient déraisonnable de s’obstiner à la retarder par tous les moyens. Ce qu’il est convenu d’appeler acharnement ou obstination thérapeutique traduit une perte du sens de la mort alors que l’euthanasie et l’aide au suicide révèlent une perte du sens de la vie. Dans un cas comme dans l’autre, on refuse que la mort survienne à son heure.
Une position morale acceptée depuis longtemps reconnaît que le personnel soignant n’est jamais obligé de prendre des moyens disproportionnés (appelés autrefois extraordinaires) afin de prolonger la vie. Ces moyens disproportionnés ne réfèrent pas seulement à des appareils techniques sophistiqués ou à des procédures médicales complexes. Ils sont à évaluer d’abord du point de vue du malade: des bénéfices qu’il peut en retirer, compte tenu de son état, de ses ressources physiques et morales, des risques et des coûts, etc.
La Congrégation pour la doctrine de la foi dit: “Dans l’imminence d’une mort inévitable malgré les moyens employés, il est permis en conscience de prendre la décision de renoncer à des traitements qui ne procureraient qu’un prolongement précaire et pénible de la vie, sans toutefois interrompre les soins normaux dus au malade en pareil cas.” Ces soins normaux peuvent comprendre l’hydratation et l’alimentation artificielles, s’ils paraissent nécessaires au confort du malade.
Personne ne peut rester insensible au dépérissement souvent dramatique de son corps et à l’amenuisement progressif de ses facultés mentales. Qui n’est pas touché par la peine et la compassion de ceux et celles qui assument la lourde charge d’un parent affecté d’un handicap grave et souvent douloureux ! Des visites dans des centres hospitaliers de soins de longue durée nous laissent souvent le sentiment que, dans beaucoup de cas, la mort serait une heureuse délivrance.
On ne s’étonne donc pas que des personnes et des groupes revendiquent l’euthanasie ou l’aide au suicide au nom de la dignité humaine. Cette revendication est renforcée par le fait que notre culture promeut avec force, parfois sans nuance, la liberté individuelle le respect de la conscience et de la responsabilité personnelle. On pourrait même penser que, puisque Dieu a créé l’être humain en «le laissant à son propre conseil», celui-ci possède une maîtrise absolue sur sa vie.
Mais il importe de tenir ferme à l’interdit du meurtre d’une personne innocente, qui est universel. À sa manière, il indique que la vie de tout être humain mérite d’être protégée car elle est sans prix. Or la vie ne s’exprime pas seulement en termes de libertés individuelles et de conscience personnelle. Elle implique aussi une responsabilité à l’égard des autres.
En effet, dès les premiers instants de notre existence, nous avons été confiés à d’autres qui nous ont accueillis, nourris, vêtus et éduqués. Ils ont pris soin de nous. Nous avons ainsi tissé des liens avec quantité de personnes et nous oublions trop facilement tout ce que nous avons reçu de la société dans laquelle nous vivons. De telle sorte que nous devenons à notre tour responsables d’accueillir les autres et d’en prendre soin. C’est assurément l’une des plus nobles expressions de notre dignité que de nous préoccuper activement du sort de nos semblables.
Or, accepter l’euthanasie ou l’aide au suicide comporte de lourdes conséquences sociales. De fait, à chaque fois que les médias ont présenté un cas d’euthanasie ou d’aide au suicide, beaucoup de personnes et de groupes ont sonné l’alarme sur les graves répercussions de ces gestes. Parmi bien d’autres, quelques-unes méritent d’être signalées.
Pour des associations de personnes handicapées, mettre fin à la vie d’êtres humains sévèrement atteints physiquement ou mentalement envoie un message négatif sur leur propre condition. Alors que plusieurs de ces personnes peinent à reconnaître leur dignité et à garder courage, elles entendent que leur vie à elles aussi ne vaut peut-être plus la peine d’être vécue.
Le même sentiment pourrait être partagé par des personnes âgées en soins de longue durée, qui se considèrent souvent un fardeau pour les autres et pour elles-mêmes. Comment se surprendre qu’elles soient tentées d’en finir elles aussi ?
D’autres ont rappelé l’impact de l’euthanasie et de l’aide au suicide sur la profession médicale. Jusqu’ici entièrement voués à la guérison et au mieux-être des malades, les médecins seraient dès lors perçus comme pouvant aussi donner la mort, à l’encontre de la sagesse du serment multiséculaire d’Hippocrate. Un lien de confiance, si nécessaire à l’heure de la maladie, est alors notablement affecté.
Décriminaliser l’euthanasie et l’aide au suicide, c’est s’engager sur une pente glissante dont nous ne pouvons prévoir jusqu’où elle nous entraînera. Pourtant, l’abolition de la loi prohibant l’avortement est suffisamment révélatrice. Dans un cas comme dans l’autre, ce dont nous sommes certains, c’est que la force gravitationnelle de cette pente mène inévitablement à la perte du sens de la vie et de son prix.
Éliminer quelqu’un à l’heure de sa plus grande fragilité, que ce soit dans le sein maternel ou sur le lit de sa dernière maladie, ne sera jamais une façon appropriée de respecter la dignité de quelqu’un. Ni d’en prendre soin. Ce sont plutôt des gestes d’abandon. Parce que toute personne, étant foncièrement libre, peut s’enlever la vie à tout moment, elle affirme sa dignité de façon éminente lorsqu’elle résiste résolument au suicide.
La bienheureuse Catherine de St-Augtustin, moniale hospitalière de l’Hôtel-Dieu de Québec (1632 -1668). Nous la voyons soigner les pestiférés. |
L’expérience révèle que, face à d’éventuelles demandes d’euthanasie, nous ne sommes pas totalement dépourvus. Nous pouvons d’abord nous assurer que la douleur est soulagée adéquatement, ce qui est possible dans la grande majorité des cas. Souvent aussi quand des patients sont en proie à l’angoisse ou à l’anxiété, leur demande d’en finir s’avère, dans les faits, un urgent appel à l’aide et à l’accompagnement.
Le pire qui puisse leur survenir serait d’affronter leur épreuve dans une solitude totale. De fait, dans nos centres hospitaliers et nos centres de soins de longue durée, beaucoup de malades souffrent de solitude. À l’heure où ils ne parviennent plus à donner sens à ce qu’ils vivent, le regard de bonté d’une personne qui prend soin d’eux possède l’étonnant pouvoir de redonner du sens.
Quand divers symptômes laissent entrevoir la phase terminale de la maladie, plusieurs centres de santé offrent des soins palliatifs. Des maisons, de plus en plus nombreuses, sont spécialisées à cette fin. Les interventions d’ordre thérapeutique sont remplacées par des soins de confort dans un environnement physique et humain respectant mieux la dignité de la personne humaine.
On y mise avant tout sur un accompagnement personnel de qualité, dans le respect de la condition et des croyances des malades. À cet égard, les soins palliatifs constituent une excellente façon de «prendre soin» et de permettre une «mort dans la dignité».
Tant qu’il y aura des personnes au cœur de bon samaritain pour prendre soin des blessés de la vie, il n’y aura pas lieu de désespérer de notre société. Car cette reconnaissance concrète de la dignité de l’être humain est le plus sûr fondement de toute vie en commun.