Ce livre parle du Crédit Social, mais il est loin d’être une somme créditiste. Le Crédit Social, en effet, est toute une orientation de la civilisation et touche au social et au politique autant, sinon plus, qu’à l’économique.
"On oublie, on ne voit pas, on ne veut pas voir qu’il y a des gens mal logés, des gens mal nourris, des salaires insuffisants, qu’il y a des pays tout entiers qui souffrent de la faim. Ce n’est pas chrétien de penser, à plus forte raison de dire; c’est leur faute..."
Son Eminence le Cardinal Jules-Géraud Saliège
par Pierre Michel Bourguignon
Le texte suivant est tiré de la revue française « Lecture et Tradition », bulletin littéraire, contrerévolutionnaire dont l'adresse est : B. P. 1, 86190-Chiré-en-Montreuil, France. Cette édition d'octobre 1991 donne un bon exposé contre les effets dévastateurs de la télévision, écrit par Pierre Michel Bourguignon. Pour la deuxième fois nous en publions des extraits :
Dieu est le grand absent de la télévision et cela pourrait suffire à sa honte, mais il faut encore savoir que cette absence, loin d'être accidentelle, lui est au contraire essentielle. La télévision, c'est loin d'être un jeu de mots que de l'affirmer, est donc d'abord un écran. Elle tente de cacher aux yeux des créatures la gloire fulgurante de leur Créateur. Elle leur fait oublier par des images mobiles et fugitives l'immuable permanence de Celui qui demeure éternellement... Il est donc inconcevable qu'elle puisse être acceptée, voire tolérée par une conscience chrétienne.
(NDLR : Après avoir démontré comment la télévision est néfaste pour la foi, les bonnes mœurs, la mémoire, l'intelligence et la volonté des usagers, combien elle agit « à la manière sournoise d'une drogue », combien elle rend les enfants vulnérables et mêmes les adultes, l'auteur démontre les effets dévastateurs de la télévision sur la société :)
Ce n'est que du dehors que l'on peut reconnaître que ce sont les fondements de la société qui sont en jeu. Rien de moins. Essentiellement, le mal vient de la substitution permanente, que nous avons (déjà) évoquée, de la fiction à la réalité. Qui se laisse informer par la télévision se condamne à vivre perpétuellement dans l'illusion. Tout ce qu'on lui présente a nécessairement dû être truqué et mis au gabarit pour pouvoir, comme on dit, passer l'écran. Tout devient spectacle.
Déjà par la nature même de l'esprit, l'image est une arme redoutable et doit être manipulée avec précaution. Les anciens le savaient et ce n'est pas l'inhabilité technique, mais la prudence qui a maintenu la statuaire chrétienne, pour ne parler que d'elle, dans une stricte réserve et contre les débordements de l'art antique. L'image, même seulement l'image fixe mais davantage encore lorsqu'elle s'anime, a le pouvoir de fasciner et nous pouvons en accepter le témoignage de Wolfgang von Gœthe qui l'avait utilisée abondamment et à des fins loin d'être recommandables, dans son propre théâtre :
"Vous pouvez prêcher la sottise
Même en écrire à votre guise
L'âme et le corps n'en souffrent point
Et tout en reste au même point
Cette même sottise en image
Réduit par magique apanage
En tenant les sens enchaînés
L'esprit à la servilité."
Marcel De Corte développe cette même idée pour parler du cinéma et, à plus forte raison, de la télévision :
« Les signes de l'écriture (aux yeux des destructeurs de la véritable société) signifient encore trop et font encore trop appel à l'intelligence du réel. Leur puissance d'envoûtement est imparfaite. On peut échapper à leur emprise, comparer, prendre de la distance vis-à-vis du texte, se retrouver soi-même. Cela crée des niveaux parmi les lecteurs. Une sorte d'aristocratie capable encore de jugement risque de naître. Le journal malgré sa tendance au sensationnel, à la rhétorique du choc, est encore un instrument de liaison inadéquat pour les atomes de la société de masse. Il fallait un outil plus idoine.
« Ce que Kafka dit du cinéma s'applique exactement à l'information télévisée :
« Le cinéma gêne la vision. Le rythme précipité des mouvements et le changement rapide des images font que, obligatoirement, ces images échappent à l'œil. Ce n'est pas le regard qui s'empare des images mais celles-ci qui s'emparent du regard. Elles submergent la conscience. Le cinéma - disons la télévision - c'est mettre un uniforme à l'oeil qui jusqu'à présent était nu... L'oeil est la fenêtre de l'âme, – les films, l'actualité filmée, l'information audio-visuelle – sont des volets de fer devant cette fenêtre. » Autrement dit, la télévision est la machine parfaite qui permet de fabriquer les représentations que la masse sans culture absorbe unanime. On impose ainsi à chacun la même image, le même uniforme. L'image empêche la société de masse de se dissocier. »
L'image doit être utilisée au service du verbe, pour l'illustrer, selon l'expression habituelle, et non l'inverse. À la télévision, c'est l'image et le mouvement qui prédominent. La parole leur est asservie, pour autant qu'on la tolère encore autrement que par bribes, qu'elle reste articulée ou qu'elle ne soit pas simplement réduite à des onomatopées.
Il est normal que la destruction physique, intellectuelle, morale et spirituelle des personnes entraîne le délabrement et la ruine de la société. Pour en comprendre le mécanisme de l'étendue, il ne serait pas inutile de s'attarder un peu sur la structure de la véritable société civile chrétienne et sur les éléments essentiels.
L'homme ne naissait pas isolé et encore moins révolté. Il était, quelle que fût sa condition, soumis à une autorité. Autorité surnaturelle de l'Église, en tant que baptisé, autorité de nature dans la cellule familiale. En dehors de la famille, dans la société civile, sa soumission était volontairement reconnue par ce que l'on appelait l'hommage, acte solennel dont la valeur reposait sur le respect de la foi jurée. Chacun se déclarait ouvertement et publiquement l'homme de son supérieur. Par où chacun aussi se grandissait en assurant harmonieusement l'exercice de l'autorité et son cheminement depuis Dieu jusqu'à la créature raisonnable du dernier rang. Rien n'était plus opposé par avance à la « liberté » révolutionnaire et à sa rébellion revendicatrice. Rien non plus qui aidât mieux à renoncer à la concupiscence de l'argent, parce que toute vénalité en était bannie et que ni la valeur ni les effets du contrat ne s'exprimaient en monnaie.
La prétendue société d'aujourd'hui n'est plus qu'un amas pulvérulent d'individus sans autre lien que la force et ses contraintes. La famille est dissoute avant de se former par des dispositions légales démentielles désavantageant le mariage et la procréation, profanant ensuite le sanctuaire domestique lorsque, tant bien que mal, il a réussi à se constituer. Quant à la société civile au sens large, même lorsque par exception des individus restés sains jusqu'à l'âge adulte peuvent encore y entrer, ils n'y trouvent plus le moindre soutien, le moindre appui, la moindre protection, le moindre encouragement à éviter le mal et à pratiquer le bien.
Il saute aux yeux que la télévision est l'instrument de choix pour accélérer la dissolution du lien familial et social. Tout autre facteur mis à part, on voit immédiatement que son autorité de fait, essentiellement anonyme, se substitue tyranniquement à l'autorité de droit et personnelle du chef naturel de la cellule familiale et de l'autorité légitime dans la société civile. Pour mieux dire, la télévision inculque l'esprit de fantaisie (entendons bien par là le parti pris de fantaisie, le principe de ne respecter aucun principe) par le pêle-mêle des images et des idées qu'elle déverse dans les cerveaux. Or, tous les éducateurs savent que la fantaisie est la négation de l'ordre et de la hiérarchie.
Le vide de l'autorité naturelle est aussitôt comblé par l'emprise impitoyable de l'autorité occulte de l'informateur et du déformateur.
En matière de moeurs, l'épreuve en a été faite des myriades de fois. Il n'est plus question, pour une mère de famille qui tolère à son foyer la présence de l'intruse, d'y présider à la garde des mœurs.
Dans la famille, particulièrement contre l'éducation des enfants, le mal est si évident qu'on aurait encore quelques scrupules d'en reparler et d'ajouter encore aux témoignages que nous avons cités plus haut. Mais si les sages de notre époque éclairée voulaient bien, de temps à autre, retourner voir ce que l'on enseignait jadis aux parents chrétiens, ils feraient certainement l'économie d'expériences dans le genre de celles de nos éducateurs modernes désemparés, mais qui se croient tellement plus avancés en science.
« On sait que les petits enfants encore incapables de raison n'agissent guère que par imitation de ce qu'ils voient faire. La nature les a créés imitateurs. C'est ainsi qu'ils apprennent à parler et, quand quelqu'un le fait devant eux, ils regardent fixement le mouvement de ses lèvres et de ses yeux, l'attitude de son corps et l'expression de son visage. Ces images s'impriment dans leur mémoire, et, nouveaux habitants du monde, tout les étonne, chaque chose nouvelle les attire. Ils ressemblent, dit un philosophe, à une toile nue, sur laquelle rien a encore été peint, et où les premières couleurs que l'on applique s'impriment profondément. » (Cardinal Silvio Antoniano : Traité de l'Éducation chrétienne des enfants).
Aussi, lorsque les parents abdiquent devant l'envahissement de la télévision et proposent à leurs enfants ces flots d'exemples plus dépravés les uns que les autres, insipides dans le meilleur cas, que peuvent-ils bien espérer de leurs enfants sinon ce qu'ils en recueillent depuis deux générations ? Ou attendent-ils vraiment que leurs enfants apprennent la vertu par l'exemple permanent de la corruption ?
D'ailleurs, en même temps qu'ils omettent de former leurs enfants, les adultes se déforment eux-mêmes par l'exercice, sans moindre frein, d'un simulacre de liberté. Ils s'imaginent se dégager des contraintes parce qu'ils peuvent évoluer à volonté parmi une multitude de programmes, dans la langue qui leur plaît, de provenances innombrables et sur les sujets les plus divers. Ils oublient seulement qu'ils se meuvent dans un monde totalement illusoire et dérisoire qui leur est imposé. Dans le monde des réalités, ils ne sont pas plus libres que le pantin suspendu au bout de ses ficelles et s'agitant à la commande du montreur.
La partie supérieure de l'âme ne résiste pas au traitement. L'illusion de liberté se muera bientôt en un besoin irrépressible de n'en faire qu'à sa tête. Mais il faudra alors chercher, autant qu'il est possible, dans la richesse matérielle le moyen de satisfaire son exigence. On est ainsi conduit à se soumettre au joug écrasant de Mammon...
Il ne nous reste plus qu'à choisir, ou de mourir de mort avec le grand nombre, ou de vivre à la suite des saints et des amis de Dieu.
Pierre Michel Bourguignon