Ce livre parle du Crédit Social, mais il est loin d’être une somme créditiste. Le Crédit Social, en effet, est toute une orientation de la civilisation et touche au social et au politique autant, sinon plus, qu’à l’économique.
"On oublie, on ne voit pas, on ne veut pas voir qu’il y a des gens mal logés, des gens mal nourris, des salaires insuffisants, qu’il y a des pays tout entiers qui souffrent de la faim. Ce n’est pas chrétien de penser, à plus forte raison de dire; c’est leur faute..."
Son Eminence le Cardinal Jules-Géraud Saliège
Le projet de Loi C-407, visant à décriminaliser l’aide au suicide et l’euthanasie, a été adopté en première lecture à la Chambre des Communes, à Ottawa. La question de l’euthanasie et de l’aide au suicide sera débattue publiquement. Déjà des séances de lavage de cerveau en faveur de ce genre de criminalité sont entreprises par les media d’information. Nous devons toujours nous référer à la morale catholique et à l’enseignement de l’Eglise pour ne pas nous laisser induire en erreur. Il est de notre devoir en tant que citoyens de combattre ces lois criminelles qui conduiront notre race au tombeau et créera un climat d’insécurité pour toute la population.
La «Civiltà cattolica», revue romaine des Pères Jésuites, a publié le 19 novembre 1983 un éditorial sur l’euthanasie. Dans son numéro du 1er avril 1984, «La Documentation Catholique» (5, rue Bayard, 75393 Paris Cedex 8) en a publié la traduction française. Nous en mentionnons des extraits:
Au sens propre, on entend par euthanasie le meurtre intentionnel, réalisé par des méthodes sans douleur, «par pitié»: c’est-à-dire pour mettre fin à des souffrances insupportables, soit pour éviter à une personne une vie de souffrances ou une vie non humaine.
Le geste de celui qui… se tue par une puissante dose de poison pour échapper aux souffrances d’une grave maladie ou à la dégénérescence physico-psychique de la vieillesse, n’est donc pas une euthanasie. C’est un suicide. L’euthanasie, par contre, fait partie de la catégorie de l’homicide, avec la particularité qu’elle est accomplie «par pitié» et sans faire souffrir. Il y a euthanasie lorsqu’on met fin à la vie d’un malade atteint d’une maladie sûrement mortelle pour lui éviter les souffrances finales, soit que cela soit demandé par le malade lui-même ou par sa famille, soit que le médecin agisse de sa propre initiative; soit que l’on mette fin à la vie du malade par une intervention positive (par exemple, en pratiquant sur lui une injection mortelle), soit qu’on le fasse mourir en ne lui donnant pas les soins nécessaires (par exemple, en ne l’alimentant pas). II y a euthanasie lorsque quelqu’un élimine, à la demande des parents ou de sa propre initiative, un nouveau-né gravement handicapé pour lui éviter, ainsi qu’à ses parents, de graves souffrances, soit en le tuant directement, soit en le faisant mourir par manque de nourriture ou d’autres soins qui lui auraient permis de vivre dans des conditions acceptables.
L’euthanasie se situe avant tout au niveau des intentions. Il y a euthanasie quand on a l’intention de mettre fin à la vie d’une personne ou d’en accélérer la mort. Mais il n’y a pas euthanasie lorsqu’on cherche à soulager les souffrances d’une personne arrivée au stade ultime de la maladie, en lui administrant des remèdes qui peuvent accélérer, comme effet secondaire, le processus mortel.
En effet, l’intention du médecin n’est pas de la faire mourir, mais de soulager les souffrances en utilisant des remèdes qui peuvent aussi accélérer la fin. Celle-ci n’est pas voulue directement, mais elle est seulement la conséquence possible et accidentelle d’un geste que le médecin pose avec une intention radicalement différente. En d’autres termes, l’accélération de la mort n’est pas entendue comme un moyen pour soulager les souffrances du malade, mais elle survient accidentellement, sans qu’on ait l’intention de la donner.
On justifie parfois le recours à l’euthanasie par «le droit de mourir avec dignité». Mais existe-t-il un droit de mourir avec dignité? Et d’abord, existe-t-il un droit à la mort?
Relevons, avant tout, que si la mort est, d’une part, un événement inévitable qui fait partie intégrante de la vie de l’homme sur la terre, elle est, d’autre part, un événement dont l’homme n’a pas le pouvoir absolu de disposer, en ce sens qu’il ne peut disposer de sa propre mort comme il l’entend. A proprement parler, il y a le «fait» de la mort, mais il n’y a pas un «droit de mourir», au sens de droit de se donner la mort ou de la donner aux autres de son propre chef. Personne, en effet, n’a le droit de tuer et de se tuer. Personne n’est maître de sa propre mort ni de la mort d’autrui.
Il existe, par contre, le droit de mourir bien et avec dignité, c’est-à-dire humainement et sans souffrances évitables, de façon que soit respectée la dignité propre de l’homme et ne soient pas imposées des souffrances inutiles. C’est-à- dire qu’existe le droit d’être soigné et assisté, de sorte que la mort soit, autant que possible, sereine et sans souffrances excessives; mais il n’existe pas de droit de disposer de sa propre vie, et donc de demander à d’autres personnes qu’elles fassent mourir pour fuir la souffrance ou l’humiliation qui accompagnent la phase terminale d’une maladie mortelle. C’est pourquoi le droit de mourir avec dignité n’entraîne pas le droit à l’euthanasie. La mort, avec les souffrances et les humiliations qui l’accompagnent, fait partie de la condition humaine, et la dignité de l’homme réside dans l’acceptation pleine et courageuse de la condition humaine; elle ne consiste pas à chercher à y échapper. Ce serait un acte de lâcheté.
Au nom de Paul VI, le cardinal Villot écrivait, le 3 octobre 1970, au secrétaire général de la Fédération internationale des associations médicales catholiques:
«Dans nombre de cas, ne serait-ce pas une torture inutile d’imposer la réanimation végétative dans la phase dernière d’une maladie incurable? Le devoir du médecin consiste plutôt à s’employer à calmer la souffrance, au lieu de prolonger le plus longtemps possible, par tous les moyens et à tout prix, une vie qui va naturellement vers sa conclusion.» (Civ. Catt. 1970, IV, 277).
À ce propos, rappelons que, s’il existe un droit à être soigné, il n’existe pas de devoir, pour le malade, de se soumettre à des soins qu'il juge trop onéreux. II est dit dans la Déclaration sur l’euthanasie (5 mai 1980), publiée par la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi, après que Jean-Paul II l’eut approuvée et en eut ordonné la promulgation:
«Chacun a le devoir de se soigner et de se faire soigner.» Mais, «il est toujours permis de se contenter des moyens normaux que la médecine peut offrir. On ne peut donc imposer à personne l’obligation de recourir à un type de soins qui, même déjà en usage, n’est toutefois pas encore exempt de dangers ou est trop onéreux…
«Dans l’imminence d’une mort inévitable malgré les moyens utilisés, il est permis en conscience de prendre la décision de renoncer à des traitements qui ne procureraient qu’un prolongement précaire et pénible de la vie, sans toutefois interrompre les soins normaux dus au malade en pareil cas. C’est pourquoi le médecin n’a pas de raison d’être angoissé comme s’il n’avait pas prêté assistance à une personne en danger.»
Mais il peut aussi arriver que quelqu’un veuille vivre en pleine lucidité sa propre mort, avec les souffrances et les angoisses qu’elle comporte normalement, pour pouvoir ainsi s’unir plus intimement à la passion et la mort du Christ, et que pour cela il demande qu’on renonce à l’utilisation d’analgésiques qui obnubilent et suppriment la conscience. Une telle volonté doit être respectée.
Au-delà du droit à être assisté et soigné, le droit de mourir avec dignité comporte le droit de vivre humainement — en homme adulte et responsable — sa propre mort. C’est le moment le plus important et le plus décisif — et aussi le plus grand — de la vie humaine, tant pour le destin personnel de l’individu que pour ses rapports avec les autres. Dans la mort, en effet, l’homme décide définitivement de son sort éternel; il doit donc avoir la possibilité de se situer consciemment devant Dieu et donc savoir que pour lui la fin de la vie est arrivée. En outre, avec la mort, l’homme rompt tout rapport avec les autres hommes; il doit donc avoir la possibilité de régler ses rapports avec les autres, d’exercer les responsabilités qui sont les siennes et de remplir les obligations qui pèsent sur lui. Mais l’homme ne peut pas vivre de façon adulte et responsable sa propre mort s’il n’est pas informé de la gravité de son état et du danger imminent dans lequel il se trouve. En d’autres termes, le droit de mourir avec dignité comporte le droit d’être informé de la gravité de son état. Ce droit est aujourd’hui généralement négligé. Tant les médecins que les parents font tout pour que le malade ignore la gravité de sa maladie; bien plus, ils le bercent d’illusions et lui laissent espérer une reprise, même dans les cas clairement désespérés. Ils le font par pitié; on doit pourtant dire que la charité et la justice exigent — sauf le cas exceptionnel de personnes souffrant de dépression psychique grave — que le malade, avec délicatesse et tact, soit informé de la gravité de son état.
Une fois clarifiée la notion d’euthanasie, quel jugement moral doit-on porter sur elle? La réponse est claire: entendue au sens rigoureux que nous avons cherché à préciser, l’euthanasie est toujours — qu’elle soit pratiquée sur la demande et avec le consentement de la personne qui en est l’objet ou bien sans son consentement; qu’elle soit pratiquée par administration d’un médicament mortel ou par le retrait des soins nécessaires à la vie — un véritable homicide et donc moralement con- damnable, comme violation de la loi divine «tu ne tueras pas», et offense à la dignité de la personne humaine.
L’Église, non seulement parce qu’elle est chargée d’annoncer et de garder la loi divine, mais aussi parce qu’elle est l’interprète de la loi naturelle, inscrite par le Dieu créateur dans la «nature», c’est-à-dire dans l’être même de l’homme, a toujours affirmé l’immoralité radicale de I’euthanasie. Cette condamnation a été réaffirmée dans la Déclaration sur l’euthanasie déjà citée… Sur le plan éthique, la Déclaration affirme:
«Il est nécessaire de réaffirmer avec une entière fermeté que rien ni personne ne peut autoriser à mettre à mort un être humain, même un fœtus ou un embryon, un enfant ou un adulte, un vieillard, un malade incurable ou un agonisant. En outre, nul ne peut demander ce geste homicide pour soi-même ou pour un autre confié à sa responsabilité, ni ne peut y consentir explicitement ou implicitement. Aucune autorité ne peut légitimement l’imposer ni le permettre. Il s’agit là, en effet, d’une violation de la loi divine, d’une offense à la dignité de la personne humaine, d’un crime contre la vie, d’un attentat contre l’humanité.
«Il pourrait se faire aussi que la souffrance prolongée et insupportable, des raisons d’ordre affectif ou divers autres motifs poussent quelqu’un à croire qu’il peut légitimement demander la mort ou la donner à d’autres. Bien que, en de tels cas, la responsabilité personnelle puisse être diminuée ou même disparaître, cependant l’erreur de jugement de la conscience — même de bonne foi — ne change pas la nature de cet acte homicide, qui en soi reste toujours inadmissible.»
En d’autres mots, le fait que l’homicide soit accompli «par pitié» n’atténue pas la gravité objective de l’acte. D’autant plus que la pitié peut être sincère, mais peut aussi cacher, peut-être inconsciemment, un profond égoïsme, et donc être un prétexte pour échapper à des situations pénibles et onéreuses.
Le mal de l’euthanasie est donc le fait qu’elle est la suppression d’une vie humaine. Le fait qu'une personne se trouve dans le dernier stade de son existence, alors que s’est instauré un processus de mort irréversible, n’ôte pas à l’euthanasie sa malice radicale. En effet, la vie humaine est sacrée et inviolable dans toute sa dignité, de la conception à la mort. C’est pourquoi il n’y a pas de phases — initiale, intermédiaire et finale — où l’homme ait le pouvoir d’intervenir pour interrompre son cours vital. Dieu seul est maître de la vie humaine; ce n’est pas l’homme, ni pour sa propre vie, ni pour celle des autres. Aussi ne peut-il pas disposer à son gré de sa propre vie, ni de celle d’autrui.
C’est là une vérité fondamentale non seule- ment de la conception chrétienne de la vie, mais de toute vision du monde vraiment humaine, c’est-à-dire pour qui l’homme est au centre, comme valeur suprême de la réalité créée. Il est clair, en effet, que seule la seigneurie de Dieu sur la vie humaine en sauvegarde la dignité et l’inviolabilité absolue, parce qu’elle empêche les individus et la société d’en disposer à leur gré. Peut-être ne mesure-t-on pas suffisamment la portée immense de cette affirmation. Parce que, si l’homme, et non pas Dieu, est le maître de la vie humaine, on ne comprend pas pour- quoi l’homme ne pourrait pas disposer à son gré de sa vie, par le suicide, et de la vie d’autrui, par l’homicide; on ne comprend pas pourquoi la société ne pourrait pas éliminer par une «mort douce», en vue du plus grand bien-être de la collectivité, la vie humaine inutile (vieillards, malades chroniques irrécupérables, fœtus, malades incurables, personnes handicapées et difformes, délinquants incorrigibles) qui constitue un poids très lourd pour la société.
On devrait alors justifier l’élimination, accomplie par le nazisme hitlérien dans les années 30, de déficients mentaux, d’estropiés, de fous, de malades chroniques déclarés «sous-hommes» (Untermenschen), «vies sans valeur» (Lebensunwertes Leben), parce que «citoyens improductifs». Si, par contre, on admet que Dieu seul est maître et seigneur de la vie humaine, celle-ci est intouchable dans tous les cas et quelles que soient sa forme, ses conditions, sa valeur en termes d’utilité et de productivité. Donc, dire que Dieu est maître de la vie humaine veut dire que Dieu se pose en défenseur de la vie de tout homme — en premier lieu de tous ceux que leur condition précaire et l’incapacité de se défendre exposent aux attaques des plus forts — et que, pour cette raison, il est le vengeur du sang innocent et punit ceux qui tuent les faibles et les sans-défenses; leur sang «crie du sol vers Dieu» (Gn 4, 10).
Cependant, dire que Dieu est et reste maître de la vie humaine signifie aussi dire que la vie est un don; l’homme est appelé à le conserver et à le faire fructifier, mais ne peut pas en disposer à son gré. En réalité, Dieu a sur toute vie humaine un dessein à accomplir, un dessein mystérieux dont lui seul connaît les modalités et l’achèvement. En intervenant dans le cours de la vie, et en y mettant fin par la mort, l’homme s’arroge le droit de fixer le temps et le mode d’achèvement de ce dessein, attentant ainsi à la souveraineté de Dieu. Dans la Déclaration sur l’euthanasie que nous avons citée, la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi, après avoir dit que la vie «est aussi un don de l’amour de Dieu que (les croyants) sont appelés à conserver et à faire fructifier», fait remarquer que quelques conséquences découlent de cette dernière considération: