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Les rassasiés prêchent le sacrifice

Louis Even le dimanche, 15 septembre 1940. Dans Éditorial

Les députés fédéraux ont consacré un temps important de la Chambre et de nombreux discours aux problèmes soulevés par la crise. Nous allions dire les crises.

Nous voyons qu'en effet diverses crises ont retenu leur attention : crise du blé, crise du poisson, crise du charbon, crise du transport, etc. Lisez : trop de blé quand le monde se prive de pain ; trop de poisson quand la ménagère n'en peut avoir ; trop de charbon quand on gèle dans les maisons ; trop de chemins de fer quand des familles se meurent d'ennui dans leur milieu monotone.

C'est au cours d'un débat sur la crise noire — celle de la houille — que, par un tour de force qui lui est coutumier, M. Jean-François Pouliot, député de Témiscouata, trouva moyen d'interjecter cette remarque :

"M. Towers conseille aux Canadiens de se serrer la ceinture, mais lui touche, comme fonctionnaire, un traitement de $30,000 par année. Pratiquez l'économie, vous, les Canadiens, dit-il ; pour moi, je reçois un gros traitement, et je n'ai pas besoin d'économiser." (Débats 1940, page 2804.)

Un traitement de $30,000 par année, près de $600 par semaine, plus de $80 par jour, c'est certainement une somme appréciable. Mais faut-il en vouloir aux gros salaires s'ils sont mérités ? M. Towers est président de la Banque du Canada. S'il représente la bancocratie dans notre pays, il représente le véritable gouvernement du pays : pourquoi alors lui en vouloir de tirer plus de rémunération que ceux qui composent le gouvernement de parade ?

D'autre part, qu'on prêche des sacrifices à la nation, il n'y a pas de mal à çà, non plus, puisqu'elle s'est engagée dans une "croisade" gigantesque, et que toute croisade exige des crucifiements.

Mais que le prêcheur de sacrifices soit celui qui touche $80 par jour, voilà qui s'appelle pour le moins manquer de convenance.

Et cela rappelle une autre remarque consignée aux comptes-rendus officiels de la Chambre des Communes.

Mme Nielsen, représentante de Battleford Nord, s'était attiré les foudres du ministre de l'Agriculture, l'Hon. Gardiner, parce qu'elle avait dépeint la situation de secourus de son comté où des familles de neuf devaient vivre avec vingt dollars par mois, deux dollars pour chacun, alors, dit-elle, qu'un chien errant ramassé sur la rue est pensionné aux frais de trois dollars par mois.

Dénonçant le discours politique fait par le ministre de l'agriculture à cette occasion, M. Johnston, député créditiste de Bow-River, compare le sort des familles de neuf personnes vivant sur un budget de vingt dollars par mois avec le sort de certains messieurs qui ont tiré du gouvernement fédéral actuel $20 à $35 par jour pour leurs simples frais de subsistance :

"Ils (ces derniers) ont dû vivre somptueusement. Pendant que les cultivateurs devaient se contenter de l'eau des marécages, ces messieurs ont dû sabler du champagne. Un tel état de choses n'est ni convenable ni conforme aux bonnes méthodes d'affaires." (Débats 1940, page 2581.)

Les sacrificateurs feraient bien de choisir plus judicieusement les prédicateurs de sacrifices s'ils ne veulent pas trop exaspérer les sacrifiés. D'ailleurs on se demande parfois à quoi riment les sacrifices réclamés en face d'une montagne de biens qui attendent des consommateurs.

Louis Even

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