Avant de soigner un malade, le médecin doit d'abord trouver de quelle maladie le patient souffre, afin d'appliquer le bon remède. Il en est de même en économie : avant de concevoir la solution de la Démocratie économique, l'ingénieur écossais Clifford Hugh Douglas a tout d'abord correctement diagnostiqué les défauts de base du système financier actuel : l'argent créé sous forme de dette, entraînant des dettes impayables, et le manque chronique de pouvoir d'achat, les consommateurs n'ayant jamais assez d'argent pour acheter les produits qui leur sont offerts.
Une des premières questions à se poser est : d'où vient l'argent ? On pourrait répondre : si tu veux de l'argent, tu n'as qu'à travailler. Mais ton employeur, ton patron, où a-t-il pris son argent ? D'autres répondront : c'est le gouvernement qui fait l'argent, puisqu'on a des billets de banque, émis par la banque centrale du pays (au Canada, la Banque du Canada, par exemple).
Mais la réalité est que le papier-monnaie, qu'on appelle numéraire ou monnaie fiduciaire (ou « cash » en anglais), représente moins de 5 pour cent de tout l'argent dans le pays. L'autre sorte de monnaie, c'est le crédit prêté par les banques commerciales. C'est de l'argent scriptural, électronique, digital, numérique, qui n'existe que sous forme d'écritures comptables dans les ordinateurs des banques et sur la puce de votre carte bancaire, mais qui est accepté et circule partout comme si c'était du papier-monnaie.
Et remarquez que même pour obtenir le papier-monnaie, il faut l'emprunter à la banque, à intérêt. On peut donc dire que tout l'argent qui existe provient d'un prêt bancaire, qui doit être remboursé à intérêt. Et chaque fois qu'un prêt est remboursé, cette somme d'argent cesse d'exister, est retirée de la circulation.
Le défaut fondamental dans ce système est que lorsque les banques créent de l'argent nouveau sous forme de prêts, elles demandent aux emprunteurs de ramener à la banque plus d'argent que ce que la banque a créé. (Les banques créent le capital qu'elles prêtent, mais pas l'intérêt qu'elles exigent en retour.) Puisqu'il est impossible de rembourser de l'argent qui n'existe pas, la seule solution est d'emprunter de nouveau pour pouvoir payer cet intérêt, et d'accumuler ainsi des dettes impayables. C'est ce que Louis Even explique dans la fable de l'Île des naufragés, où il n'existe que 1000 dollars sur l'île, mais le banquier exige le remboursement de 1080 dollars (1000 dollars prêtés à un intérêt de 8 %).
Autre défaut lié à cette création d'argent par les banques : cet argent n'est pas permanent, il ne demeure pas en circulation indéfiniment : il doit retourner à la banque lorsque le prêt vient à échéance et doit être remboursé. L'argent prêté est alors cancellé, disparaît, la banque ne conservant pour elle-même que l'intérêt. Donc, seulement pour maintenir la même quantité d'argent en circulation, il faut emprunter continuellement. À ceux qui disent que si on ne veut pas s'endetter, on n'a qu'à ne pas emprunter, on est obligé de répondre que si personne — gouvernements, compagnies ou individus — n'emprunte de la banque, il n'y aurait pas du tout d'argent en circulation. Dans le système actuel, le choix est ou bien s'endetter, ou bien crever de faim.
D'où vient que les banques puissent ainsi créer, sous formes d'écritures comptables, un substitut, ou équivalent au papier-monnaie ? C'est l'histoire vraie des orfèvres devenus banquiers, qui est d'ailleurs mentionnée dans les livres d'économie, et que Louis Even a expliqué dans son livre Sous le Signe de l'Abondance.
Si on recule plusieurs centaines d'années, au Moyen-Âge disons, la monnaie existait seulement sous forme de métaux précieux, comme l'or et l'argent. Les possesseurs d'or, par peur des voleurs, prirent l'habitude de confier la garde de leur or aux orfèvres (les fabricants d'objets en or ou en argent) qui, à cause du matériel précieux sur lequel ils travaillent, disposaient de voûtes, ou coffres-forts, bien protégés. L'orfèvre recevait l'or, donnait un reçu à celui qui avait déposé l'or chez lui, et conservait le métal pour celui-ci, moyennant une prime pour le service. Le propriétaire de l'or réclamait son bien, en tout ou en partie, quand bon lui semblait.
Le négociant qui partait de Paris pour Marseille ou Amsterdam pouvait se munir d'or pour faire ses achats. Mais là encore, il y avait danger d'attaque en cours de route ; aussi s'appliqua-t-il à persuader son vendeur de Marseille ou d'Amsterdam d'accepter, au lieu de métal, un droit signé sur une partie du trésor en dépôt chez l'orfèvre de Paris. Le reçu de l'orfèvre témoignait de la réalité des fonds. Et pareillement, le fournisseur d'Amsterdam, ou d'ailleurs, réussit à faire accepter par son propre correspondant de Londres ou de Gênes, en retour de services de transport, le droit (les reçus émis par l'orfèvre) qu'il avait reçu de son acheteur français. Bref, peu à peu, les commerçants en vinrent à se passer entre eux ces reçus au lieu de l'or lui-même. Au lieu de l'or, ce sont les reçus de l'orfèvre qui changeaient de main.
Mais l'orfèvre apprit, par expérience, que presque tout l'or qu'on lui avait confié demeurait intact dans sa voûte. Les propriétaires de cet or se servant de ses reçus dans leurs échanges commerciaux, c'est à peine si un sur dix venait chercher l'or chez l'orfèvre. C'est ce qui est à l'origine du système bancaire actuel, qui permet aux banques de prêter plusieurs fois le montant de leurs dépôts, de prêter de l'argent qu'elles n'ont pas dans leurs coffres-forts ou tiroirs, mais qu'elles créent lorsqu'elles accordent un prêt. C'est ce qu'on appelle en termes techniques un système bancaire fractionnaire (les banques n'ayant besoin que de détenir une fraction de leurs prêts en dépôts).
Dans les années 1940, les banques prêtaient en moyenne 10 fois plus d'argent qu'elles en avaient en réserve. Cette proportion a changé depuis. Depuis 1980, la Loi canadienne des Banques permettait aux banques à charte de créer vingt fois le montant de leurs réserves en numéraire (billets de banque et pièces de monnaie). En 1994, le pourcentage d'argent liquide que les banques doivent posséder passait à zéro pour cent ! Ainsi, en 1995, les banques canadiennes avaient prêté plus de 70 fois leurs réserves. Et en 1997, ce chiffre est monté à 100 fois. Aux États-Unis, c'est en 2020 que le pourcentage requis d'argent liquide est passé à zéro.
En d'autres mots, il n'y a plus aucune limite prescrite par la loi. La seule limite à la création d'argent par les banques, c'est le fait que des individus désirent encore être payés avec du papier-monnaie, ce qui oblige la banque à en conserver une certaine quantité dans leurs établissements. Et il existe toujours le risque que trop de clients de la banque se présentent en même temps pour exiger d'être payés en papier-monnaie… que la banque n'a pas.
Alors, on comprend que les banques vont faire tout leur possible pour éliminer tout simplement l'usage de papier-monnaie, en encourageant l'utilisation des cartes de débit, paiement direct, etc., pour en venir finalement à l'élimination complète de l'argent liquide. Elles prêchent l'existence d'une seule forme d'argent, l'argent électronique, digital. Et alors que le papier-monnaie permet de conserver une certaine forme de liberté et d'anonymat, l'existence d'une monnaie uniquement digitale permettra aux banques et gouvernements de savoir tout ce que vous achetez, facilitant ainsi un plus grand contrôle sur la population.
Aujourd'hui, les produits sont offerts à un certain prix. Cela permet aux personnes qui ont de l'argent de choisir les produits qui leur conviennent. Mais qu'arrive-t-il à ceux qui n'ont pas du tout d'argent ? M. Even explique que l'argent distribué, sous forme de salaires, profits, dividendes industriels, constitue du pouvoir d'achat pour ceux qui le reçoivent. Mais :
Même si les banques ne chargeaient aucun intérêt sur l'argent qu'elles prêtent, il existerait toujours un manque de pouvoir d'achat, car jamais l'argent distribué en salaires ne peut acheter toute la production, qui comprend d'autres éléments dans ses prix. L'ingénieur écossais Clifford Hugh Douglas fut le premier à démontrer ce manque chronique de pouvoir d'achat, et à y apporter une solution scientifique, connue sous le nom de Démocratie économique. Douglas explique ainsi ce manque de pouvoir d'achat par ce qu'il appelle le théorème A + B :
Le producteur doit inclure dans ses prix tous ses coûts de production s'il désire rester en affaires. Les salaires distribués à ses employés — appelés « paiements A » — ne sont qu'une partie du coût de production du produit. Le producteur a aussi d'autres coûts de production qui ne sont pas distribués en salaires, mais qu'il doit inclure dans ses prix : les paiements pour les matériaux, les taxes, les frais bancaires, l'entretien et le remplacement des machines, etc. Douglas appelle ces paiements faits à d'autres organisations les « paiements B ».
Le prix de vente du produit doit inclure tous les coûts : les salaires (A) et les autres paiements (B). Le prix de vente du produit sera donc A + B. Alors, il est évident que les salaires (A) ne peuvent acheter la somme de tous les coûts (A + B). Il y a donc un manque chronique de pouvoir d'achat dans le système.
Même si on essaie d'augmenter les salaires pour rattraper les prix, la hausse des salaires sera incluse automatiquement dans les prix, et rien ne sera réglé. (C'est comme l'âne qui court après le navet sur la caricature). Pour pouvoir acheter toute la production, il faut donc un revenu supplémentaire en dehors des salaires, au moins égal à B.
Autre problème : la production ne distribue de pouvoir d'achat qu'à ceux qui sont employés par elle. Et de nos jours, la production provient de plus en plus des machines, de l'automation, des robots, et de moins en moins du travail humain. (Et la récente arrivée de l'intelligence artificielle va éliminer encore davantage d'emplois,) La production augmente alors même que l'emploi nécessaire diminue. Il y a donc conflit entre le progrès qui supprime le besoin de labeur, et le règlement qui ne distribue de pouvoir d'achat qu'à l'emploi. Pourtant, tout le monde a le droit de vivre. Et tout le monde a droit aux nécessités de la vie. Les biens de la terre ont été créés pour tous les hommes, pas seulement pour les employables. Il faut donc un revenu supplémentaire en dehors des salaires C'est ce que ferait la Démocratie économique, comme nous le verrons dans l'article en page suivante.