Les mouvements extrémistes — fascisme, nazisme, communisme — recrutent des adeptes ardents parmi les gens de langue étrangère au Canada. Les communistes reconnaissent l'existence de mouvements radicalement opposés, surtout chez les Allemands et les Italiens. Le rapport présenté par P. Phillips au Congrès communiste de Toronto, en octobre 1937, dit :
"Le Consulat allemand et l'organisation nazie allemande (du Canada) sont sous la juridiction directe, des quartiers-généraux de Berlin, comme le démontre le plan de quatre ans des Nazis canadiens signé par le chef de Berlin. Le gouvernement allemand a dépensé des sommes énormes pour promouvoir les activités fascistes et espionner les Allemands résidant au Canada."
Il dit à peu près la même chose des Italiens et de leur Casa de Italia de Montréal et de Toronto.
Mais Phillips constate les progrès communistes des dernières années parmi les étrangers en général et affirme que, dans ces milieux,
"les communistes sont connus parmi les membres nationaux les plus actifs, et leurs opinions sont bien respectées."
Comme bon nombre de ces étrangers travaillent, soit comme hommes de métier, soit comme manœuvres, dans les industries lourdes et autres où l'unionisme s'est développé, ils s'infiltrent dans les unions ouvrières et il n'est pas rare que plusieurs d'entre eux accèdent au rang des officiers. Ce qui permet l'expansion communiste par leur entremise dans les rangs ouvriers même canadiens :
"Des centaines et des milliers de travailleurs nés à l'étranger deviennent membres actifs des organisations unionistes, et plusieurs d'entre eux occupent des positions de commande comme officiers ou fonctionnaires de leurs unions respectives."
Phillips relève aussi le zèle des communistes de cette catégorie. Ils ne manquent aucune occasion de répandre non seulement le journal de leur langue, mais aussi l'organe communiste officiel, Clarion, ces étrangers apprenant généralement de bonne heure la langue anglaise. Ils furent relativement nombreux dans le régiment canadien Mackenzie-Papineau de la brigade internationale au service des rouges en Espagne. Ils firent aussi leur part généreuse aux fonds canadiens affectés à la même cause.
Le rapport entre en détail sur les divers groupes étrangers du Canada.
Voici brièvement quelques statistiques.
Environ 30,000 Russes proprement dits au Canada, dont 8,000 dans des emplois industriels et le reste dans l'agriculture. Trois mille sont des "Russes blancs" opposés au bolchévisme ; on les trouve surtout dans l'Est.
Les Russes progressifs (communistes) ont une organisation ouvrière et paysane comprenant 46 succursales actives, 1,800 membres en règle, dont 350 femmes. Sections féminines, 9. Dans 23 écoles fréquentées par 400 enfants, on enseigne le Russe et... Il existe 4 sections de jeunesse : à Toronto, Montréal, Calgary et Vancouver.
Les Doukhobors du Canada ont trois grandes organisations. L'une d'elles, dite "progressive", est étroitement liée à l'organisation communiste russe et se sert comme organe officiel d'une page du Kanadsky Cudok. Les Doukhobors ont même en Saskatchewan deux groupes intégralement inclus dans le parti communiste canadien.
Les Russes du Canada ont fourni près de 100 soldats au régiment Mackenzie-Papineau et $5000 pour la cause rouge d'Espagne. Cette collection fut faite par les offices du journal Kanadsky Cudok. Ce journal a une circulation de 5,000. Il s'agit toujours du rapport de 1937. On sait que les publications reconnues communistes ont été interdites il y a quelques mois, en vertu des mesures de guerre.
Relativement peu nombreux, mais très ardents. Travaillent surtout dans les mines, où ils sont de bons propagandistes. Leurs principaux centres sont à Sudbury, Kirkland Lake, Hamilton et Windsor. Ils ont à lutter contre l'organisation fasciste formant la ligue canadienne yougoslave.
56 Serbes dans le parti communiste canadien commençaient en janvier 1937 la publication d'un bi-hebdomadaire, Pravda, avec une circulation de 400 à 500.
Population arriérée originaire du fond des Carpathes. Sont surtout dans les industries légères. Moins entamés par le communisme. Cependant les 120 membres de l'organisation Lemko de Toronto, où se trouve une colonie de 1,500, sont actifs et ouverts aux idées progressives (communistes). Les autres colonies sont à Montréal et à Val d'Or. On en trouve quelques-unes peu nombreuses dans l'ouest canadien.
On sait qu'un bon nombre d'Ukrainiens sont catholiques, mais le communisme y fait de profondes entailles.
Environ 400,000 Ukrainiens au Canada, à peu près également répartis entre l'est et l'ouest. Si l'on tient compte des Ukrainiens venus de Pologne, de Russie et d'autres pays, on approche sans doute du demi-million. Ceux qui ne sont pas établis sur le sol travaillent surtout comme manœuvres dans l'industrie lourde et dans le transport.
Phillips prétend que de toutes les organisations travaillant parmi les ukrainiens, la communiste est la plus active, les autres passant leur temps à se chicaner entre elles sur l'espèce de gouvernement qui devrait conduire l'Ukraine.
Le communisme a surtout pénétré parmi les Ukrainiens employés dans l'industrie lourde. Les paysans sont pratiquement intacts.
C'est dans l'Ontario que le progrès communiste est le plus rapide chez les Ukrainiens : 1,098 sur un total de 2,330 membres. Il convient de noter l'avance remarquable d'une année à l'autre : 1933 : 600 ; 1934 : 750 ; 1935 : 1,700 ; 1936 : 2,100 ; 1937 : 2,330.
Le parti souligne le manque de tracts de propagande et les obstacles créés par les frictions politiques très prononcées chez les Ukrainiens.
Les Finlandais sont au nombre d'environ 25,000 au Canada, surtout établis en Ontario, avec Port-Arthur comme centre principal. Ceux du Québec se trouvent à Montréal. Des groupes aussi dans les mines du nord-ouest québécois.
Ils sont 1,000 dans le parti communiste canadien ; aussi 2,500 dans une organisation finlandaise dans laquelle le communisme prévaut.
Les Finlandais sont débrouillards. Ils ont eu leur journal Vapaus pendant vingt ans. Les communistes finlandais en ont aussi établi un en 1935, hebdomadaire sous une forme littéraire, le Liekki dont la circulation atteignait 2,500 à 3,000 en 1937. Puis un trimestriel, le Vapauden Viiri. Les Finlandais sont lecteurs. Il circule aussi parmi eux des traductions de publications communistes, telles que La France d'aujourd'hui et le Front Populaire, de Maurice Thorez.
Il y a parmi les Finlandais des organisations anticommunistes. Le rapport de Phillips les dit plutôt faibles ; mais nous ne serions pas surpris que l'attaque de la Russie contre la Finlande l'hiver dernier ait travaillé en leur faveur, au détriment du communisme.
Plus de 60 Finlandais du Canada sont allés se battre pour les rouges en Espagne. Une contribution de $2,700 a été collectée pour la même cause par la F. O., la même organisation nationale qui compte 2,500 membres, ce qui prouve ses tendances très communistes.
Les communistes finlandais se bornent cependant à l'expansion du communisme parmi leurs nationaux.
Les Polonais sont au nombre d'environ 200,000 au Canada. Apparemment, les communistes ont rencontré chez les Polonais une vive résistance dans des organisations fascistes et catholiques (ils disent "cléricales").
Après des dissensions politiques en Pologne qui se dénouèrent par le massacre de nombreux ouvriers et paysans (disent les communistes), en 1931, les communistes eurent un peu plus de chance. Ils ont formé des groupes de mécontents et ont cherché à contrôler L'Alliance Polonaise. 50 Polonais sont allés se battre en Espagne et les colonies polonaises ont fourni $2,000 à la cause de la révolution. C'est relativement peu, si l'on tient compte du nombre. Que l'on compare avec l'aide finlandaise, alors que les Polonais sont huit fois plus nombreux. L'effet de l'invasion allemande en Pologne a dû être désastreux sur des débuts aussi précaires. L'hebdomadaire communiste en langue polonaise avait en 1937 une circulation de 2,500.
Environ 45,000 au Canada, dont 40,000 Slovaques et 5,000 Tchèques. Peu de travail communiste réussi parmi les Tchèques. Parmi les Slovaques, un peu plus, malgré les obstacles d'une population plutôt nomade. La Fédération Culturelle Slovaque comptait, en 1936, 960 hommes, 115 femmes et 100 enfants. Le journal communiste Hlas L'Udu est celui qui a le plus d'influence parmi les journaux de langue slovaque au Canada. Son titre signifie La Voix du Peuple. Il atteignait en 1937 une circulation de 3,000. Il y a aussi des anticommunistes slovaques et, paraît-il, leurs meneurs ne sont pas doux pour leurs co-nationaux communistes.
Les Croates ne sont qu'environ 15,000 au Canada, surtout établis dans des centres miniers. Gens progressifs. Ils bénéficient sans doute de l'influence des colonies plus nombreuses des États-Unis.
Les Croates "progressifs" ont un journal qui paraît trois fois par semaine, le Slobdna Misso, avec 2,800 abonnés et 3,000 de circulation. Le parti communiste compte 300 membres parmi les Croates. 80 Croates canadiens sont allés se battre en Espagne, et les Croates ont fourni $3,000 à la révolution. Contribution humaine et monétaire imposante pour leur petit nombre.
Environ 60,000 Hongrois au Canada, moitié sur des terres, moitié dans l'industrie. 2,500 sont membres de clubs ou d'une fédération où opère le communisme. Beaucoup de travail par la littérature : livres et brochures publiés par les Hongrois du Canada eux-mêmes, d'autres commandés en Russie. Le Munk a 3,200 abonnés. Pas d'organisations anticommuniste parmi les Hongrois. Seuls les chefs religieux opposent une résistance.
Les Hongrois du Canada ont fourni 80 soldats à l'armée rouge internationale d'Espagne.
Le communisme ne fait pratiquement aucun progrès chez les Allemands et les Italiens.
Les Lithuaniens, au nombre de 8,000, comptent 150 membres dans le parti communiste. Ils travaillent ardemment à leur cause. L'hebdomadaire lithuanien, Liaudies Balsas, compte 1,500 abonnés.
Les Bulgares, environ 7,000, et les Macédoniens, environ 1,000, ont leur journal, Edinstvo. Les éléments "progressifs" ont formé la Ligue Populaire Macédonienne : 7 succursales, 300 membres. Une vingtaine de Bulgares et de Macédoniens du Canada sont allés en Espagne servir la cause de Staline.
Les Juifs, au nombre d'environ 260,000, viennent de différents pays, avec différentes idées en tête. On trouve chez eux des ardents de crédos très opposés. 30 pour cent des Juifs sont des travailleurs ; les autres 70 pour cent vivent de commerce ou d'occupations plus ou moins parasitaires.
À peu près tous appartiennent à des organisations, des loges, etc. Le communisme y a de nombreux adeptes, même dans des groupements dont les chefs sont anticommunistes déclarés. Il semblerait que le Juif a le cou plus raide que ne le prête à croire sa souplesse apparente. Il est aussi adroit à cacher son jeu.
Le rapport de Phillips ne donne pas de précisions sur le nombre ou la proportion de communistes parmi l'élément juif. Il affirme cependant que les Juifs dans l'ensemble sont "progressifs" (toujours dans le sens apprécié des communistes). Il trouve de l'opposition dans l'organisation permanente appelée Congrès Juif Canadien et dans le mouvement sioniste. Ces deux aristocraties s'opposent au travail appelé d'unification que les communistes voudraient accomplir parmi les Hébreux.
Les deux journaux juifs communistes, l'hebdomadaire Derkampf et le quotidien new-yorkais The Morning Freiheit, n'ont pas une grande circulation au Canada.
Cependant, de nombreux Juifs se rendent compte, nous dit-on, que le parti communiste serait le meilleur protecteur des Juifs contre la persécution par l'antisémitisme croissant au Canada, et le meilleur défenseur de l'immigration juive vers notre Dominion. Est-ce l'avis de Jean-Charles Harvey ? Le nombre de Juifs entrés dans le parti de 1935 à 1937 serait considérable.